Les Enfants terribles
Publié le 05/04/2013
Extrait du document
Jean Cocteau écrivit Les Enfants terribles en 1929 à la clinique de Saint-Cloud, alors qu ' il subissait une cure de désintoxication. Parallèlement, il rédigea ce qui apparaît aujourd ' hui comme un de ses meilleurs livres, Opium. Né en 1889 et mort en 1963, Cocteau s' est mû, au cours de sa vie, à travers les plus grands courants intellectuels et arti stiques de son temps, chacun apportant à sa plume un peu de son originalité.
«
Jean Cocteau joua un
rôle important , non
seulement au sein du
monde littéraire, mais
aussi dans
le domaine
cinématographique , en
mettant en scène ses
écrit s
L'Aigl e à d eux
tê tes, Orphée et
La Belle et la Bête ,
par exemple.
«Le premier coup d'œil sur la chambre
surprenait.
Sans les lits,
on l'eût prise pour un débarras.»
~------- EXTRAITS
La chambre
Ils traversèrent une salle à manger en
contournant la table
et entrèrent à droite
dans la chambre des enfants.
Cette cham
bre
contenait deux lits minuscules , une
commode , une cheminée
et trois chaises.
Entre les deux lits, une porte ouvrait sur un
cabinet de toilette-cuisine où l'on pénétrait
aussi par
le vestibule.
Le premier coup d'œil
sur la chambre surprenait.
Sans les lits,
on l'eût prise pour un débarras.
Des boîtes,
du linge, des serviettes -éponges jonchaient
le sol.
Une carpette montrait
sa corde.
Au milieu de la cheminée trônait un buste
en plâtre sur lequel on avait ajouté
à l'encre
des yeux et des moustaches ; des punaises
fixaient partout des pages de magazines , de
journaux, de programmes, représentant des
vedettes de films, des boxeurs, des assassins.
Les âmes de l'enfance
Il est de ces maisons, de
ces existences qui stupé
fieraient les personnes
raisonnables.
Elles ne
comprendraient pas qu'un
désordre qui semble à peine
devoir continuer quinze
jours puisse tenir plusieurs
années.
Or ces maisons,
ces existences probléma
tiques se maintiennent bel
et bien, nombreuses, illé
gales, contre toute attente.
Mais, où la raison n'aurait
pas tort, c'est que si la
force des choses
est une
force, elle les précipite vers
la chute.
Les êtres singuliers et leurs actes asociaux
sont
le charme d'un monde pluriel qui les
expulse .
On s'angoisse de la vitesse acquise
par le cyclone où respirent ces âmes
tragiques et légères.
Le crime
Élisabeth descendit les marches.
Elle portait
un peignoir éponge attaché
à la ceinture par
une cravate.
Ce
peignoir pendait et la
gênait.
Mais elle descendait
par machine,
habitée d'un mécanisme dont elle n'enten
dait que la rumeur.
Ce mécanisme la
manœuvrait, empêchait
le bord du peignoir
de se mettre sous ses sandales, lui com
mandait de prendre
à droite, à gauche, lui
faisait ouvrir, fermer les portes.
Elle se sen
tait un automate, remonté pour un certain
nombre d'actes et qui devrait les accomplir
à moins de se briser en route.
Son cœur bat
tait
à coups de hache, ses oreilles tintaient,
elle ne pensait aucune pensée conforme
à ce
pas actif.
Les rêves font entendre de ces pas
lourds qui approchent et qui pensent, nous
donnent une démarche plus légère que le
vol , combinent ce poids de statue
et l'ai
sance des plongeurs sous
l'eau.( ...
)
Dès lors la
jeune femme ne devait plus
s'interrompre.
Le génie de la chambre
se substituait
à elle, la doublait comme
n'importe quel génie s'emparant d'un
homme d'affaires lui dicte les ordres qui
empêchent la faillite, d'un marin les gestes
qui sauvent le navire,
d'un criminel les
paroles qui établissent un alibi.
Grasset, 1990
« Seule à la maison,
Elisabeth prenait au
coin des meubles une
attitude hautaine.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Ce roman est plus beau que les autres,
il devient comme une confidence, il a les
libertés, les surprises du laisser-aller, il a les
lumières de la fièvre, la fragilité du verre de
la convalescence.
» Michel Cournot,
le Monde, 13 septembre 1984.
«Pourquoi ce roman nous fascine-t-il ?
(
...
)
C'est qu'il s'arrête sur le passage privilégié
du monde de l'enfance et du monde de
l'adulte, passage fabuleux entre deux continents,
limbe inquiétant où rien encore
n'est définitif, déterminé, mort; tout est
imaginable, incarnable.
Tout est jouable,
même les beautés les plus effrayantes.
»
Jean-Christophe
Barbaud, cité dans
le Quotidien de Paris, 15 et 16 septembre
1984.
«Il [Cocteau] avertit toujours qu'il n'est
pas de symboles dans ses ouvrages,
seulement des personnages, des actes et
des actions.
»Michel Cressole, Libération,
numéro spécial, octobre 1983.
« La vie de ce vif-argent suit un tracé
capricieux, allant de la frivolité à la gravité,
de la fantaisie au drame, annonçant des
modes, innovant, précédant l'événement
dont
il s'échappe vite dès lors qu'on tente
de l'enfermer dans
un rôle d'instigateur
patenté.
" Cocteau n'est jamais très
longtemps là où on croit pouvoir le
définir.", disait Apollinaire.
» Pierre Kyria,
cité dans
le Monde, 8 décembre 1989.
1 photo Ta ll / Sip a-lcono 2, 3, 4, 5 gr av.
de Guy Do llian , Faya rd, 1930 / Paris, B.N.
CO CT EAU 03.
»
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