Devoir de Philosophie

Epictète et le bonheur dans la maîtrise de soi

Publié le 17/04/2009

Extrait du document

« Il y a des choses qui dépendent de nous et d 'autres qui ne dépendent pas de nous. Ce qui dépend de nous, c'est la croyance, la tendance, le désir, le refus, bref tout ce sur quoi nous pouvons avoir une action. Ce qui ne dépend pas de nous, c'est la santé, la richesse, l'opinion des autres, les honneurs, bref tout ce qui ne vient pas de notre action. Ce qui ne dépend pas de nous est, par sa nature même, soumis à notre libre volonté; nul ne peut nous empêcher de le faire ni nous entraver dans notre action. Ce qui ne dépend pas de nous est sans force propre, esclave d'autrui; une volonté étrangère peut nous en priver. Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d'autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d'un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l'âme inquiète, tu t'en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d'autrui ce qui réellement dépend d'autrui, tu ne te sentiras jamais entravé dans ton action, tu ne t'en prendras à personne, tu n'accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne pourra t'atteindre. » Epictète, Manuel
Le premier paragraphe établit une séparation radicale entre ce qui est à notre portée et ce qui est hors de notre pouvoir. La première partie du texte se déploie en trois étapes : Epictète insiste sur la nécessaire partition, pour conquérir " un îlot inexpugnable d'autonomie au centre du fleuve immense des événements " (Pierre Hadot, La citadelle intérieure, p. 99-100), entre les actes de notre âme et les circonstances extérieures ("Il y a des choses…nous"). La seule chose qui dépende véritablement de nous est notre intention morale, le sens que nous donnons aux événements (" Ce qui dépend de nous…action "). Ce qui ne dépend pas de nous et est, par conséquent, indifférent, correspond au destin, au cours de la nature, aux actions des autres hommes (" Ce qui ne dépend pas…action "). 

« En effet, la "croyance" désigne le jugement que nous portons sur les choses par un acte de la pensée découvrantleurs relations; il s'agit véritablement d'un jugement sur la valeur accordée à l'objet d'une action.

"Le désir " est unmouvement à l'égard d'un bien futur; il s'intègre dans la notion plus générale de " tendance " qui signifie l'inclinationà la vie raisonnable.

Quant au " refus", Epictète entend par là l'aversion, la répulsion se produisant à l'endroit decertains objets ou de certains êtres.

Toutes ces choses dépendent de nous en ce sens qu'elles relèvent de notreraison, de notre pouvoir de juger.

Epictète suggère donc ici que le pouvoir de l'individu en quête de liberté résidedans le fait que ses jugements et opinions proviennent de lui seul, de sorte que la liberté consisterait en pouvoirabsolu de juger. Quelles sont alors ces choses qui nous échappent et s'avèrent hors de notre portée, indifférent ? " La santé, larichesse, l'opinion des autres, les honneurs ".

Toutes ces choses ont en commun de ne pas provenir de notreoeuvre, de ne pas relever de notre jugement, c'est-à-dire de notre liberté.

Ce qui ne dépend pas de nous, c'est cequi ressortit au cours général de la Nature.

" La santé ", qui relève en partie du corps et de sa sensibilité, quiéchappe à notre volonté et qui dépend de facteurs multiples que nous ne choisissons pas; "la richesse", " leshonneurs ", nous pouvons certes essayer de les acquérir, mais le succès définitif ne dépend pas tout à fait de notrevolonté; "l'opinion des autres ", enfin, dont nous sommes la plupart du temps victimes (exemples de l'outrage, de laréputation), et qui témoigne de notre aliénation au regard ou au jugement d'autrui.

Toutes ces réalités étrangèressont en nous comme des tyrans qu'il convient de détruire si nous voulons gagner notre liberté. Epictète, en distinguant les choses qui dépendent de nous et celles qui sont hors de notre portée, délimite donc uncentre d'autonomie dont l'âme est le principe directeur.

D'une part, tous les événements naturels extérieurs, quitombent sous la loi de la causalité universelle; d'autre part, la raison et sa puissance intérieure d'assentiment quilibère l'âme de l'individu et le rend maître de lui-même.

La liberté, le vrai moi, mais aussi le bien moral, résident dansla volonté.

Tout part du sujet et de la volonté libre, tout est affaire de jugement.

Ce premier paragraphe souligneainsi que ce ne sont pas les choses en tant que telles qui nous troublent, mais nos représentations des choses,l'idée que nous nous en faisons, le discours intérieur que nous énonçons à leur sujet.

Dès lors, comment définir laliberté et le bonheur, sachant que tout notre pouvoir se fonde sur nos jugements et nos opinions ? Le deuxième paragraphe élabore une théorie de la liberté intérieure : ce qui dépend de nous est libre et sansempêchement.

Deux idées importantes sont ici développées : les choses qui relèvent de notre volonté sontvéritablement en notre pouvoir et ne sauraient être subordonnées à la volonté des autres (" Ce qui dépend…action"); au contraire, tout ce qui appartient à l'ordre des réalités extérieures est indifférent et peut tomber sous lepouvoir d'autrui (" Ce qui ne dépend pas…priver ").

Il s'agit de bien mettre en évidence ce qui est véritablement denotre ressort, de circonscrire précisément le périmètre de notre action et de notre liberté intérieure, de façon quechacun puisse oeuvrer en vue du bien. Le paragraphe précédent a recensé les choses qui dépendent de nous, c'est-à-dire les réalités sur lesquelles nouspouvons exercer une action.

Epictète précise que ces choses sont par nature libres, au-dessus de toutempêchement ou obstacle : "croyance, tendance, désir, refus" ne peuvent nous aliéner, échappant à l'emprised'autrui.

Que peut bien faire, en effet, une volonté étrangère contre mes jugements et représentations ? Moi seuldécide de ce que je veux.

Autrui peut certes me contraindre à réaliser telle ou telle chose, il peut même user de laforce à mon endroit, mais, en aucun cas, il ne me fera vouloir cette contrainte.

Je découvre ainsi que je possèdeune volonté absolument libre, que je dispose en quelque sorte d'un domaine de pouvoir et de liberté, qui est toutintérieur à moi-même et qui est fermé à l'emprise des autres.

La liberté désigne ici ce pouvoir absolu de la volontéqui choisit, adhère, donne ou non son assentiment.

Citadelle intérieure inexpugnable qui dévoile les pouvoirsprodigieux du sujet face à l'ordre imposant du monde. Ainsi " la libre volonté " dont nous parle Epictète dans le deuxième paragraphe consiste-t-elle en un acted'évaluation, en un pouvoir de juger : relier tous nos actes, nos désirs et les actions qu'ils entraînent à l'opinion quenous formons à propos des buts que nous poursuivons.

Notre liberté réside bel et bien dans nos opinions que nousvalorisons par notre assentiment.

Moralité: l'âme est véritablement libre de juger des choses comme elle veut. Dès lors, " Ce qui ne dépend pas de nous est sans force propre, esclave d'autrui; une volonté étrangère peut nousen priver ".La deuxième phrase du second paragraphe est construite très exactement sur le modèle de la première:Epictète y définit les caractéristiques de ces choses qui sont, par nature, indifférentes, c'est-à-dire qui ne relèventnullement de notre volonté.

Ces choses qui nous sont extérieures sont d'abord " sans force propre ": elles nepossèdent en elles-mêmes aucune valeur, elles se révèlent en quelque sorte dans leur nudité, si nous prenonsconscience que c'est nous, par nos jugements, qui leur attribuons telle ou telle valeur.

C'est dire que les choses enelles-mêmes ne peuvent nullement nous offusquer et pénétrer dans notre "citadelle intérieure ", ce réduit inviolablede liberté : elles ne touchent pas notre moi, elles restent aux portes, à l'extérieur de notre liberté; en elles-mêmes,elles ne sont ni bonnes ni mauvaises car ce qui nous trouble, ce sont les jugements que nous portons sur elles.Epictète donnera plus loin l'exemple de la mort qui n'est terrible que parce que nous la jugeons effrayante (Cf.Manuel, V ). Epictète entend donc dépouiller les objets ou les événements des fausses valeurs que les hommes ont l'habitude deleur attribuer et qui nourrissent craintes et superstitions.

Il précise également que ces choses qui sont " sans forcepropre ", qui ne dépendent pas de nous à proprement parler, sont, en même temps, " esclaves d'autrui ".

" Autrui "incarne ici le domaine de l'extériorité, de l'altérité; il représente une autre conscience, une autre volonté que je nepuis également tout à fait soumettre et qui, si je n'y prends garde, peut m'aliéner.

Son pouvoir porte sur ces choses. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles