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ESPÈCE, substantif féminin.

Publié le 30/08/2005

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ESPÈCE, substantif féminin.  

I.—  Généralement au pluriel. 

A.—  HISTOIRE PHILOSOPHIE (MÉTAPHYSIQUE SCOLASTIQUE).  Image extérieure des objets affectant les sens et y produisant le phénomène de la perception. 

·    Espèces sensibles. Images perçues par les sens (espèces-images) : 

Ø 1.... Locke n'est pas sceptique sur l'existence des corps; malgré sa théorie des idées, il s'en faut bien qu'il soit idéaliste. Loin de là, il se rattache à la grande famille péripatéticienne et sensualiste, dans laquelle la théorie des espèces et des espèces sensibles, avait l'autorité d'un dogme et la fonction de donner et d'expliquer le monde extérieur. Des espèces sensibles, le dix-septième siècle en masse, et Locke en particulier ont fait les idées sensibles, pourvues de toutes les qualités des espèces, représentatives de leurs objets et en émanant

VICTOR COUSIN.  Histoire de la philosophie du XVIIIe.  siècle  tome 2, 1829, page 346. 

·    Espèces intelligibles, espèces-idées. Images ainsi perçues, interprétées en concepts par l'intelligence. Il est certain que les universaux, les espèces intelligibles et les essences des choses n'ont de rapport avec aucune chose actuellement existante (ÉTIENNE GILSON, L'Esprit de la philosophie médiévale, 1932, page 25 ). 

—  Par métaphore, langage courant. Sous les espèces (l'espèce) de. Sous l'image, la représentation d'une personne ou d'une chose. N'est-il pas remarquable de voir le clerc, et sous la haute espèce du métaphysicien, enseigner au laïc que le réel est seul considérable et que le supra-sensible n'est digne que de ses risées? (JULIEN BENDA, La Trahison des clercs,  1927, page 126 ). 

—  Locution figurée. Brouiller, confondre les espèces. Semer la confusion dans les esprits en mêlant les images et représentations qui s'y forment. 

Remarque : Attesté uniquement dans les dictionnaires. 

B.—  Par extension.  THÉOLOGIE CATHOLIQUE.  Pain et vin consacrés au cours de la célébration eucharistique en signe de la présence du Christ offert à la communion du prêtre et des fidèles. Espèces consacrées, eucharistiques, sacramentelles, saintes; communier (communion) sous les deux espèces; les espèces du pain et du vin. La dévotion de Pécuchet s'était développée. Il aurait voulu communier sous les deux espèces, chantait des psaumes (GUSTAVE FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, tome 2, , 1880, page 126 ). Si Jésus vous était indifférent, il vous serait bien égal de consommer ou de ne pas consommer les espèces saintes (GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, En route, tome 1, 1895, page 247) : 

Ø 2. Notre humanité assimilant le monde matériel, et l'hostie assimilant notre humanité, la transformation eucharistique déborde et complète la transsubstantiation du pain de l'autel. De proche en proche, elle envahit irrésistiblement l'univers. C'est le feu qui court sur la bruyère. C'est le choc qui fait vibrer le bronze. En un sens second et généralisé, mais en un sens vrai, les espèces sacramentelles sont formées par la totalité du monde, et la durée de la création est le temps requis pour sa consécration.

PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin,  1955, page 154. 

Remarque : S'emploie plus rarement au singulier Cette pomme n'est pas plus un mythe que l'espèce eucharistique (LÉON BLOY, Journal, 1903, page 200). 

II.—  Au singulier ou au pluriel. 

A.—  TAXINOMIE.  Niveau de la classification des êtres vivants, placé immédiatement sous le genre et comprenant lui-même des sous-espèces et des variétés. Lorsqu'un genre est bien fait, toutes les races ou espèces qu'il comprend, se ressemblent par les caractères les plus essentiels et les plus nombreux (JEAN-BAPTISTE LAMARCK, Philosophie zoologique, tome 1, 1809, page 32) : 

Ø 3. Un genre est naturel, lorsque les espèces du genre ont tant de ressemblances entre elles, et par comparaison différent tellement des espèces qui appartiennent aux genres les plus voisins, que ce rapprochement d'une part, cet éloignement de l'autre ne peuvent avec vraisemblance être mis sur le compte du jeu fortuit de causes qui auraient fait varier irrégulièrement, d'une espèce à l'autre, les types d'organisation.

AUGUSTIN COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique,  1851, page 249. 

—  HISTOIRE NATURELLE.  

1. ZOOLOGIE.  Ensemble d'êtres vivants possédant des caractères anatomiques, morphologiques et physiologiques communs, qui reproduisent entre eux des êtres semblables et également féconds : 

Ø 4. On a appelé espèce, toute collection d'individus semblables qui furent produits par d'autres individus pareils à eux. Cette définition est exacte; car tout individu jouissant de la vie, ressemble toujours, à très-peu près, à celui ou à ceux dont il provient. Mais on ajoute à cette définition, la supposition que les individus qui composent une espèce ne varient jamais dans leur caractère spécifique, et que conséquemment l'espèce a une constance absolue dans la nature.

JEAN-BAPTISTE LAMARCK, Philosophie zoologique, tome 1, 1809, page 54. 

Ø 5. La génération étant le seul moyen de connaître les limites auxquelles les variétés peuvent s'étendre, on doit définir l'espèce, la réunion des individus descendus l'un de l'autre ou de parens communs, et de ceux qui leur ressemblent autant qu'ils se ressemblent entre eux...

GEORGES CUVIER, Le Règne animal, Paris, Déterville, tome 1, 1817, page 19. 

Ø 6. Flourens fait remarquer avec raison que ce signe secret de la reproduction annonce l'unité d'espèce chez les animaux à travers les plus grandes dissemblances de formes, tandis que les plus grandes ressemblances de formes n'indiquent rien sur (ce) point quand la faculté de reproduction manque. C'est ainsi que le bouledogue et la levrette de manchon, quoique deux animaux d'un aspect si différent, se reproduisent, tandis que l'âne et le cheval, qui se ressemblent au point de se confondre presque à l'oeil, ne peuvent faire qu'un mulet improductif.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondanceavec Arthur de Gobineau (1843-1859), 1852, page 197. 

Ø 7. Si nous ne tenons pas compte d'animaux tels que le chat et l'abeille qui ne modifient pas profondément l'existence humaine, nous pouvons compter sur nos doigts les espèces domestiques importantes. Quand nous aurons énuméré les chiens, les vaches, les moutons, les chèvres, les cochons, les chevaux, les ânes, les chameaux et les rennes, nous en aurons presque épuisé la liste.

ROBERT HARRY LOWIE, Manuel d'anthropologie culturelle,  1936, page 52. 

SYNTAXE : a) [Suivi ou précédé d'un adjectif] Espèce animale, antédiluvienne, bovine, canine, chevaline, commune, domestique, fossile, inférieure, protégée, sauvage, supérieure, vivante, zoologique; grande, petite espèce. b) [Suivi d'un déterminant introduit par de] Espèce de mammifères, de poissons, de reptiles; espèces d'insectes, d'oiseaux. c) [Suivi d'un substantif] L'espèce méduse, l'espèce bouvreuil. d) [Précédé d'un déterminant] Classification, conservation, croisement, division, évolution, origine, propagation, reproduction de l'espèce (des espèces). e) Espèces en voie de disparition. 

2. BOTANIQUE.  Espèce botanique, cultivée, fruitière, végétale; espèce de plantes, de végétaux, d'arbres : 

Ø 8. Heureux d'avoir enfin appris, hier, le nom de la curieuse plante dont j'élève ici, dans sept pots grande quantité de rejetons. C'est une des trente-six espèces connues de « kalanchoé(s) «, crassulacées, toutes tropicales. Elle a cette particularité de se reproduire, non seulement par graines (sans doute), mais aussi bien, ou mieux, par rejetons...

ANDRÉ GIDE, Journal,  1942, page 150. 

·    Espèce linnéenne. Espèce définie par Linné dans la classification des végétaux (et ensuite des animaux). Les débuts de la génétique (...) ébranlèrent (...) la notion d'espèce linnéenne (Histoire générale des sciences (sous la direction de René Taton)  tome 3, volume 2, 1964, page 772 ). 

·    Spécialement, généralement au pluriel.  Variété(s) de plantes utilisées soit en infusions soit en décoctions et dont chaque mélange possède des vertus thérapeutiques et curatives qui lui sont propres. Espèces amères, apéritives, diurétiques, émollientes, pectorales, purgatives : 

Ø 9. C'est l'époque de l'année où les plantes sont en plein développement, c'est le moment où on les cueille pour les tisanes; ce sont entre autres les fameuses « herbes de la Saint-Jean «, composées de vingt-cinq espèces différentes, d'une valeur officinale reconnue et dont on fait, en outre, des croix que l'on cloue aux portes des étables (Île-de-France).

PIERRE-LOUIS MENON, ROGER LECOTTÉ, Au Village de France, tome 1, 1954, page 113. 

B.—  Autres domaines. 

1. BIOLOGIE, CHIMIE BACTÉRIOLOGIE.  Corps, substances simples ou composées ayant des propriétés identiques. Il est fort probable qu'il y a eu évolution génétique des espèces chimiques (RAYMOND RUYER, Esquisse d'une philosophie de la structure,  1930, page 313 ). Tous les virus d'une espèce donnée ne sont pas de taille uniforme (PAUL MORAND, Aux Confins de la vie,  1955, page 47 ). 

2. MATHÉMATIQUES.  Ensemble de figures ou de formes géométriques semblables. Un genre de solides compris dans la classe des prismes, et comprenant l'espèce du cube (AUGUSTIN COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique,  1851, page 334 ). 

3. MÉDECINE.   [Appliqué aux maladies]  On classe les maladies ou espèces morbides en genre, ordre, espèce, exactement comme les espèces animales ou végétales (CLAUDE BERNARD, Principes de médecine expérimentale,  1878, page 97 ). 

4. MINÉRALOGIE.  Espèces minérales cristallines. Ensemble de minéraux ayant même composition chimique et même structure cristalline. L'argonite, le marbre, la craie, qui sont autant d'espèces pour le géologue, sont pour lui identiques comme corps chimiques (CLAUDE BERNARD, Principes de médecine expérimentale,  1878 page 83 ). 

C.—  Courant, généralement au singulier. L'espèce humaine ou absolument l'espèce. L'espèce humaine est âgée d'un million d'années à peu près (PIERRE ROUSSEAU, Histoire des transports,  1961, page 7 ). 

—  Plus spécialement. 

1. [Envisagée relativement à la notion d'individu]  Dans une famille animale, les individus sont identiques (...) dans l'espèce humaine chaque individu veut être étudié et approfondi pour lui-même (JULES VUILLEMIN, Essai sur la signification de la mort,  1949, page 66) : 

Ø 10. Les Pharisiens et les Esséniens méditèrent, après Moïse et d'après lui, sur l'individualité de chaque homme considérée relativement à l'espèce; et, tandis que Moïse avait surtout enseigné l'unité de cette espèce et le lien éternel, au point de vue virtuel et divin, de l'individu, dans sa vie présente et en tant que vivant actuellement, avec cette espèce, ils ont fait pour ainsi dire aux hommes particuliers ou aux individus la répartition de la vie spécifique et collective, affirmant non seulement ce que Moïse avait affirmé, c'est-à-dire l'unité de vie entre l'individu et l'espèce, mais encore la vie éternelle de l'individu dans l'espèce. 

PIERRE LEROUX, Humanité, de son principe et de son avenir, tome 2, 1840, page 662. 

2. [Envisagée relativement à la notion de genre ou de race dans l'humanité]  Les peuples qui habitent ces terres sont en général de l'espèce des nègres (Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU) tome 1, 1797, page 115) : 

Ø 11.... que la fatalité soit mise directement dans une certaine organisation de la matière ou dans la volonté de Dieu qui a voulu faire plusieurs espèces humaines dans le genre humain et imposer à certains hommes l'obligation, en vertu de la race à laquelle ils appartiennent, de n'avoir pas certains sentiments, certaines pensées, certaines conduites, certaines qualités qu'ils connaissent sans pouvoir les acquérir, cela importe peu au point de vue où je me place qui est celui de la conséquence pratique des différentes doctrines philosophiques.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondanceavec Arthur de Gobineau (1843-1859), 1853, page 202. 

SYNTAXE : Conservation, devenir, dignité, origine, perpétuité, propagation, unité de l'espèce. 

·    Rare. L'espèce homme (pour l'espèce humaine). Qu'était-ce donc que ce premier homme, sinon l'homme même, l'espèce homme, l'humanité? (PIERRE LEROUX, Humanité, de son principe et de son avenir, tome 2, 1840 page 505 ). 

Par extension.  [Suivi d'un substantif de qualité]  Le père Malgras (...) était dans l'espèce journaliste et dans l'espèce homme un accident (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Charles Demailly,  1860, page 20 ).  Confer aussi l'espèce commis-voyageurs (Stendhal, Lamiel, 1842, page 169), l'espèce escroc (Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, 1866 page 165), l'espèce princes-marchands (Larbaud, Barnabooth, 1913, page 291). 

·    Le génie de l'espèce. L'ensemble des caractères distinctifs propres à l'espèce humaine. Avec la passion amoureuse, l'homme (...) remplit les desseins du génie de l'espèce (JULES DE GAULTIER, Le Bovarysme,  1902, page 194 ). 

·    L'espèce femelle ou absolument l'espèce. Jamais je ne conviendrai avec une dame qu'elle a raison : c'est donner à votre invincible espèce trop d'avantage sur nous (JOSEPH, COMTE DE MAISTRE, Correspondance, tome 1, 1793, page 44 ). 

3. Locutions diverses. 

—   Généralement péjoratif. 

·    [Avec ellipse du déterminant]  (De) la pire espèce. Un militaire qui trahit, un traître en uniforme... C'est la pire espèce de toutes! (EUGÈNE SCRIBE, Bertrand et Raton,  1833, I, 6, page 133 ). 

·    De ton (son, votre, cette) espèce. Comme toi (lui, elle, vous). Nul rapport entre ceux-là et moi, je ne suis pas de leur espèce (HENRI DE MONTHERLANT, Pasiphaé,  1936, page 118 ). Jl'aperçois qui discute le bout de gras avec autre zozo de son espèce (RAYMOND QUENEAU, Exercices de style,  1947, page 78 ). 

—   [Quelquefois avec une valeur laudative]  De la grande, de nouvelle espèce. Philosophe de la grande espèce (HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Philosophie de l'Art, tome 1, 1865, page 252 ). 

—  De toute espèce. De toute condition, de toute sorte : 

Ø 12.... je n'ai jamais senti de haine en moi contre mon prochain de toute espèce.

Moi. —  Qu'entendez-vous par votre prochain de toute espèce?

Lui. —  Je m'entends, monsieur : je veux dire les hommes, les choses, les bêtes, et même les arbres et les plantes, tout ce qui est notre parent de corps ou d'âme, enfin, monsieur, ici-bas, tout ce qui est proche de nous, tout ce qui habite ou tout ce qui compose ce monde où Dieu nous a mis comme j'ai mis ces animaux dans cet enclos pour vivre en paix et en amitié autour de moi.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,  1851, page 433. 

Remarque : S'emploie plus rarement au pluriel pour désigner aussi bien des animés que des inanimés concrets ou abstraits. Quatre rangées de voitures de toutes sortes, de toutes espèces (EDMOND ET JULES DE GONCOURT, Journal, 1870, page 597). Des oiseaux de toutes espèces (PAUL MORAND, Londres, 1933, page 269). 

4. [Appliqué par restriction à une personne, généralement en mauvaise part] 

a) Vieilli.  (C'est) une sotte, une pauvre espèce. Une personne sans grand mérite, ni valeur morale. Pauvre espèce! toute l'ambition d'un vilain est d'avoir un bel attelage de boeufs et un beau fumier (PROSPER MÉRIMÉE, La Jacquerie, 1828, page 261 ). 

—  Absolument. 

·    Homme mal élevé, ou de basse condition. Quand les femmes s'affichent, ce n'est presque jamais pour un honnête homme, c'est pour une « espèce « (NICOLAS-SÉBASTIEN ROCH, DIT DE CHAMFORT, Maximes et pensées,  1794, page 40) : 

Ø 13. C'est à cette même époque [le XVIIIe.  s.] que paraît le terme nouveau d'espèce, par où l'on exprime le contraire des qualités qui constituent l'honnête homme. Je n'oserais pas affirmer qu'on ne pût trouver ce mot chez les écrivains du siècle précédent. Je ne me rappelle pas l'y avoir jamais vu; en revanche, je le rencontre sans cesse dans les livres de Chamfort, de Duclos, de Rivarol.

FRANCISQUE SARCEY, Le Mot et la chose,  1862, page 149. 

·    Femme entretenue, ou de mauvaise réputation. Un homme (...) passant sa vie à jouer, à ripailler (...) le soir assis au boulevard à côté d'une espèce (ALPHONSE DAUDET, Les Rois en exil,  1879, page 128 ). 

b) Locutions (rares) En l'espèce de. En la personne de. Elle n'hésita pas (...) à demander la protection des Turcs, en l'espèce de l'Atâbeg d'Alep Zengi (RENÉ GROUSSET, L'Épopée des Croisades 1939, page 134 ). 

D.—  Par extension. Une (toute, chaque, cette) espèce de. 

1. Sorte, catégorie, variété de. 

a) [Le complément déterminant désigne un animé] :

Ø 14. Deux espèces d'hommes sont aujourd'hui le fléau de la société : d'une part, ce sont ces vieux écoliers de Diderot et de d'Alembert qui se plaisent encore aux moqueries sur la Bible, aux déclamations de l'athéisme, aux insultes au clergé; de l'autre, ce sont ces esprits bornés et violents qui disent la religion en péril, parce que nous avons une charte, parce que les divers cultes chrétiens sont reconnus par l'État et surtout parce que nous jouissons de la liberté de la presse.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Essai sur la littérature anglaise, tome 1, 1797, page XLVIII. 

b) [Le complément déterminant désigne un inanimé concret ou abstrait]  Le bienheureux gastronome peut arroser tout cela d'au moins trente espèces de vins à choisir (JEAN-ANTELME BRILLAT-SAVARIN, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante,  1825, page 291 ). Chaque espèce de gouvernement a son caractère propre (FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 1825, page 33 ). 

2. [Avec une valeur d'approximation]  Catégorie de personnes ou de choses que l'on a du mal à définir ou à classer. 

a) [Le déterminant désigne un animé]  Un personnage d'une soixantaine d'années qui avait une espèce de figure d'homme d'affaires et l'air d'un coquin (VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 333 ). Une espèce de savant, un membre de je ne sais quelle académie (OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 48) : 

Ø 15. C'était une espèce de géant roux, aux cheveux plantés droit sur le crâne, aux pieds et aux mains monstrueux, et qui avait dans tout son corps cette gaucherie particulière aux êtres démesurés.

ÉMILE MOSELLY, Terres lorraines,  1907, page 257. 

b) [Le déterminant désigne un inanimé concret]  Sur sa tête une espèce de petit bonnet de veuve, ou de béguin d'enfant ou de pensionnaire en pénitence (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND,Mémoires d'Outre-Tombe, tome 4, 1848, page 427 ). C'est le tombeau d'un évêque dont j'ai oublié le nom, personnage gras et barbu, vautré dans une espèce de baignoire (JULIEN GREEN, Journal,  1935, page 17) : 

Ø 16.... après m'être aventuré sous une espèce de porte cochère dans une espèce de cour terminée vers la gauche par une espèce de corridor, j'ai débouché tout à coup sur une assez grande place parfaitement obscure et déserte.

VICTOR HUGO, Le Rhin,  1842, page 82. 

Remarque : On peut rencontrer dans la langue populaire le tour en espèce de, raccourci pour en une espèce de.  Un jeu d'dames en papier avec des pions en espèce de pain à cacheter (HENRI BARBUSSE, Le Feu, 1916, page 190). 

c) [Le déterminant désigne un inanimé abstrait]  Une espèce de pudeur l'empêchait de raconter nûment ce qu'avait été là-bas sa vie de chaque jour (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Le Pénitencier, 1922, page 791 ). Une espèce de rage le dévorait, noire et féroce (HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes,  1931, page 200 ). 

SYNTAXE : Une espèce d'admiration, d'amour, d'angoisse, de bonheur, de colère, de culte, de curiosité, de délire, d'effroi, de fierté, de fièvre, de folie, de fureur, de honte, d'horreur, d'ivresse, de sourire, de stupeur, de terreur. 

3. [Avec une valeur de renforcement, le tour espèce de remplit souvent une fonction adjectif] 

—  Familier ou péjoratif. 

a) [Dans des phrases affirmatives ou négatives]  C'est une espèce d'andouille à qui j'ai mis un marron (GEORGES MOINAUX, DIT GEORGES COURTELINE, Un Client sérieux,  1897, 2, page 30 ). 

b) [Dans des phrases exclamatives, sert à renforcer une injure]  Voulez-vous bien lâcher mon cheval, espèce d'enflé! (ALPHONSE DAUDET, Le Nabab,  1877, page 55) : 

Ø 17. Il me raconte avec enthousiasme le courage de B. qui, dans le métro, lorsqu'il voit un curé, a soin de se mettre contre lui, puis après quelques instants, à voix très haute :

« Est-ce que vous avez bientôt fini de me tripoter comme ça? espèce de salaud! vieux cochon!... et dire qu'on confie des enfants à des êtres pareils... «

ANDRÉ GIDE, Journal,  1931, page 1071. 

c) [Dans des phrases négatives, en particulier dans le tour aucune espèce d'importance]  On est comte ou on n'est pas comte, ça n'a aucune espèce d'importance (MARCEL PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs,  1918, page 722 ). 

Remarque : La valeur adjectivale que peut prendre le tour espèce de se traduit quelquefois dans la langue parlée (plus rarement dans la langue écrite) par l'accord du mot avec son complément Un espèce de tuberculeux (LOUIS-FERDINAND CÉLINE, Voyage, 1932, page 329). Cet espèce de Jean-Foutre (MAURICE DRUON, Les Grandes familles, tome 1, 1948, page 164). Cet espèce de beau garçon (LOUIS ARAGON, Le Roman inachevé, 1956, page 242). 

III.—  Généralement au singulier.  [Avec une valeur abstraite]  Nature, essence, qualité d'une personne ou d'une chose. Je ne sais de quelle espèce est l'amitié que le brave homme (...) peut avoir pour vous (ALFRED DE MUSSET.  dans Le Temps , 1831, page 66 ). 

A.—  Expressions diverses, du langage courant. 

·    En espèce de (rare). En qualité de. On l'avait fait demander non pour soigner, mais pour constater, en espèce de notaire (MARCEL PROUST, Le Côté de Guermantes,  1921, page 342 ). 

·    De cette espèce. C'est la vertu récompensée et autres gentillesses de cette espèce (CHARLES-JULIEN LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ, Journal,  1805, page 10 ). 

·    De nouvelle espèce. D'une nouvelle nature. Une foi humaine d'une espèce toute nouvelle (CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 4, 1859, page 82 ). Des sensations d'espèce neuve (JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 81 ). Une sorte de pudeur de nouvelle espèce (PAUL VALÉRY, Variété IV,  1938, page 169 ). 

·    De la première, de la seconde espèce. Les péchés de la seconde espèce sont plus graves (JACQUES RIVIÈRE, Correspondance [avec Alain-Fournier] , 1906, page 322 ). 

B.—  Emplois techniques. 

1. DROIT.  Point particulier et litigieux sur lequel il s'agit de statuer. Un juriste dirait : voilà des « espèces «. Un casuiste : des « cas « (CHARLES MAURRAS, L'Avenir de l'intelligence,  1905, page 25 ).  Cas d'espèce. Cas non prévu par la loi et qui doit être spécialement examiné. Par extension, langage courant. Un système de primes à étudier dans chaque cas d'espèce (GEORGES BRUNERIE, Les Industries alimentaires et leur organisation rationnelle,  1949, page 176) : 

Ø 18. Le pouvoir judiciaire est, en fait, et beaucoup plus que le pouvoir gouvernemental, préposé à l'exécution des lois, puisque juger c'est, à l'occasion d'un différend, appliquer la loi à un cas d'espèce.

GEORGES VEDEL, Manuel élémentaire de droit constitutionnel,  1949, page 160. 

·    L'espèce du crime, du délit. Sa nature. Éclairés sur l'espèce des délits et des crimes à réprimer et disposant d'une échelle assez élastique de peines, les tribunaux apprécieront (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre,  1956, page 178 ). 

—  Locution prépositive. Dans, en l'espèce. Dans le cas juridique présent. Considérant qu'en l'espèce, Lagoupille (...) ne semble avoir scandalisé la moralité des clients (...) [le Tribunal] acquitte Lagoupille (GEORGES MOINAUX, DIT GEORGES COURTELINE, Un Client sérieux, 1897, page 78 ).  Par extension, langage courant.  En la circonstance. La Jérusalem du Diable, qui, dans l'espèce, se trouvait être le palais épiscopal de Nancy (MAURICE BARRÈS,La Colline inspirée,  1913, page 155 ). 

2. MATHÉMATIQUES.  D'une espèce donnée. Dont la nature est connue. Courbes de la première espèce (HENRI LEBESGUE, Intégration, et recherche des fonctions primitives,  1904, page 3 ). L'équation intégrale de deuxième espèce (Les Grands courants de la pensée mathématique.  1948, page 416 ). Grandeurs d'une même espèce (NICOLAS BOURBAKI, Éléménets d'histoire des mathématiques, 1960, page 157 ).  Triangle donné d'espèce. Dont la mesure des trois angles est connue (attesté dans la plupart des dictionnaires généraux). 

·    PHYSIQUE.  Mouvement perpétuel de deuxième, de troisième espèce (confer Raymond Ruyer, La Cybernétique et l'origine de l'information,  1954, page 13 et 28 ). 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 14 891. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 29 685, b) 20 020; XXe.  siècle : a) 13 789, b) 18 978. 

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