Devoir de Philosophie

L'esthétique surréaliste

Publié le 08/02/2011

Extrait du document

Julien Gracq déclare dans son ouvrage sur André Breton (1948) : «On ne peut comprendre profondément le surréalisme si l'on ne se rend compte qu'il a été, à tort ou à raison, une folie de la poésie, au sens où on a parlé d'une «folie de la Croix«, qu'autour de la révélation poétique s'est centré grâce à lui un phénomène d'effervescence, de valorisation contagieuse et exorbitante qui l'apparente de très près aux états aigus de la transe religieuse.« Et Julien Gracq appuie son affirmation sur ces lignes extraites du Déshonneur des poètes (1945) de Benjamin Péret : «Si l'on recherche la signification originelle de la poésie, aujourd'hui dissimulée sous les mille oripeaux de la société, on constate qu'elle est le véritable souffle de l'homme, la source de toute connaissance et cette connaissance elle-même sous son aspect le plus immaculé. En elle se condense toute la vie spirituelle de l'humanité depuis qu'elle a commencé de prendre conscience de sa nature ; en elle palpitent maintenant ses plus hautes créations et, terre à jamais féconde, elle garde perpétuellement en réserve les cristaux incolores et les moissons de demain. Divinité tutélaire aux mille visages, on l'appelle ici amour, là liberté, ailleurs science.« Pourtant, en 1955, dans son livre sur la Philosophie du surréalisme, (Flammarion), Ferdinand Alquié croyait pouvoir affirmer que pour les surréalistes, la poésie n'aboutit à aucune connaissance transcendante : «Jamais le surréalisme ne fait tout à fait sienne l'idée selon laquelle l'émotion esthétique implique un savoir supérieur au savoir scientifique. Bien plus que connaissance, l'art est pour lui position de valeurs. Et sans doute la conscience humaine passe-t-elle vite de la position de valeurs à l'affirmation théorique : ainsi s'explique notre adhésion au rêve, ainsi naissent les délires, où l'affirmation des valeurs désirées par le malade, et nécessaires à sa vie, entraîne la croyance en l'existence d'un monde où de telles valeurs seraient réalisées. Mais le surréalisme, s'il utilise le rêve et le délire, n'y succombe pas. L'adhésion à l'imaginaire n'est jamais complète, ou plutôt elle se donne à la conscience pour ce qu'elle est, et non pour une saisie de la réalité. Elle apparaît donc comme belle, et en son sein, la beauté est reconnue comme beauté. La beauté surréaliste, c'est l'imaginaire même, refusant d'être rapporté à autre chose que soi, et de se dépasser vers une fin qui lui serait transcendante.« En rapprochant les divers textes précédents vous vous interrogez sur les buts profonds du Beau surréaliste. Dans quelle mesure l'attaque suivante de Valéry vous semble-t-elle viser le surréalisme et dans quelle mesure vous semble-t-elle pertinente : «Une partie importante de la littérature moderne s'est donnée à communiquer - non l'état final des impressions, l'état d'avoir saisi, débrouillé, organisé, démêlé - mais l'état initial, celui d'avoir à comprendre, de retarder sur le choc, - l'état problématique, confus, sentimental et sensoriel. Au lieu d'écrire les formules, elle écrit les données, sous forme de fonctions implicites - un peu comme les définitions modernes se font par postulats indépendants et non plus par une seule phrase.« (Ce texte de P. Valéry est cité par R. Bray dans La Préciosité et les Précieux : en se reportant à cet ouvrage, p. 358, on trouvera les éléments d'un fécond parallèle entre «poésie valéryenne«, préciosité et surréalisme.)

Vous semble-t-il exact que le surréalisme ait contribué à une promotion de l'attitude critique : «Il est enfin un domaine où le surréalisme est intervenu de façon oblique, et qui conditionne au moins notre façon de lire (et de le lire) : c'est la critique. Loin de rendre toute critique impossible, il lui a assigné une pratique nouvelle, fondée sur la qualification morale, et il a déployé une activité critique considérable, encore que peu mentionnée. Par la polémique, le pamphlet et parfois même le sabotage, le surréalisme a voulu purifier les mœurs de son époque. Il a exprimé les raisons théoriques d'une condamnation tant du roman positiviste que de la littérature prolétarienne ou du réalisme socialiste. Exigeant une critique passionnée, le surréalisme compare l'appréciation esthétique à l'acte érotique. On peut dire qu'elle a toutes les caractéristiques de l'amour. De fait, elle est une synthèse des positions du mouvement.« (Henri Béhar et Michel Carassou, Le Surréalisme, L.G.F., 1992.) Expliquez, illustrez et commentez cette analyse de Claude Abastado sur la fonction surréaliste des objets : «Ustensiles ou «œuvres d'art«, ils ont en général un rôle pratique, rassurant, dans un univers dont les rapports sont fixés une fois pour toutes par la conscience collective. Mais on peut changer cette fonction, opérer une substitution, inventer un usage «humoristique«. La foire à la brocante est, par principe, le lieu où les objets changent de destination. Le «dépaysement« des objets a plusieurs conséquences : tout d'abord, il désarticule l'équilibre du monde, crée un univers «paranoïaque« (où l'on entre et dont on sort à volonté - ce qui permet l'attitude «critique«). Il est ainsi une défense contre «l'envahissement du monde sensible par les choses dont, plutôt par habitude que par nécessité, se servent les hommes. Ici comme ailleurs, traquer la bête de l'usage«. La prolifération des objets tue la conscience et la croyance à la vie ; substituer à leur valeur de convention une valeur de représentation, c'est retrouver la sensibilité au réel dans son intégrité, et suggérer qu'au-delà de son sens immédiat, le monde recèle des significations latentes. D'autre part, l'usage «humoristique« des objets rend manifestes les tensions inconscientes. Les objets échappant au «principe de réalité«, se soumettant au «principe de plaisir«, trouvent une nouvelle fonction comme révélateurs de la subjectivité ; ils accèdent, dit Breton, à une autre existence par le rapport qu'ils entretiennent avec l'intimité du moi.« {Introduction au Surréalisme, Bordas, 1971.)   

Liens utiles