Les exaltantes vertus de la solitude
Publié le 20/06/2012
Extrait du document
A la recherche du temps perdu n'est pas seulement quête du passé, effort pour reconstruire, grâce aux sortilèges de la mémoire involontaire, c l'édifice immense du souvenir «, mais est surtout une tentative pour sauver, par la grâce de l'Art, le temps qui a été perdu. C'est le récit d'un long apprentissage: longtemps détourné de lui-même par les plaisirs et les rites compliqués de la vie mondaine, absorbé dans de douloureuses amours - tel celui qu'il éprouve pour Albertine, ela Prisonnière «, qui. lui échappe sans cesse - le narrateur, sous le choc répété de souvenirs involontaires qui l'affranchissent de l'ordre du temps perçoit enfin que «la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.«. Mais il n'a pas perdu son temps, puisque « les matériaux de l'Oeuvre littéraire c'était ma vie passée. Désormais affermi dans sa vocation, le narrateur se retire dans sa chambre pour se consacrer tout entier à l'Art...
«
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hommes qu'une circonstance contingente et par conséquent
négligeable ne forçait pas à rester chez eux.
Certains beaux
jours, il faisait si froid, on était en si large communication
avec la rue qu'il semblait
qu'on eût disjoint les murs de la
maison, et
chaque fois que passait le tramway, son timbre réson
nait comme eût fait un couteau d'argent frappant une maison
de verre.
Mais c'était surtout en moi que j'entendais avec
ivresse
un son nouveau rendu par le violon intérieur.
Ses
cordes sont serrées ou détendues par de simples différences de la
température, de la lumière extérieures.
En notre
être, instrument
que l'uniformité de l'habitude a rendu silencieux,
le chant
nait de ces écarts, de ces variations.
source de toute musique :
le temps qu'il fait certains jours nous fait aussitôt passer d'une
note à une autre.
Nous retrouvons l'air oublié dont nous
aurions pu deviner la nécessité mathématique et que pendant
les premiers instants nous chantons sans le reconnaître.
Seules
ces modifications internes, bien que venues du dehors, renou
velaient pour moi le monde extérieur.
Des portes de communi
cation depuis longtemps condamnées se rouvraient
dans mon
cerveau.
La vie de certaines villes, la gaîté de certaines prome
nades
reprenaient en moi leur place.
Frémissant tout entier
autour de
la corde vibrante, j'aurais sacrifié ma vie d'autre
!(Jis et ma vic à venir, passées à la gomme à effacer de l'habi
tude, pour cet état si particulier.
Si je n'étais pas allé accompagner Albertine dans sa longue
course,
mon esprit n'en vagabondait que davantage et, pour
avoir refusé de goûter avec mes sens cette matinée-là, je
jouissais
en imagination de toutes les matinées pareilles, passées
ou possibles, plus exactement
d'un certain type de matinées
dont toutes celles du
même genre n'étaient que l'intermittente
apparition et que j'avais vite reconnu; car l'air vif tournait de
lui-même les
pages qu'il fallait.
et je trouvais tout indiqué
devant
moi, pour que je pusse le suivre de mon lit, l'évangile
du jour.
Cette matinée idéale comblait mon esprit de réalité per
manente,
identique à toutes les matinées semblables, et me
communiquait une allégresse que mon état de débilité ne dimi
nuait pas : le bien-être résultant pour nous beaucoup moins de
notre bonne santé que de l'excédent inemployé de nos forces,
nous pouvons y
atteindre, tout aussi bien qu'en augmentant
celles-ci, en restreignant notre activité.
Celle dont je débordais,.
»
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