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L'expression de la sensation chez Colette

Publié le 03/03/2011

Extrait du document

En route vers la Provence « Sur la route au nord d'Avignon, nous avons traîné le demeurant d'une chaleur poisseuse, datant de Paris, de l'aube urbaine sourde et sans brise. La Bourgogne cuisait à l'étouffée sous un singulier brouillard, qui mouillait d'eau tiède mains et visages et présageait la chaleur de Lyon, où nous passâmes muets et altérés, pressés de toucher Vienne, anxieux surtout d'atteindre un certain point innommé et connu, un petit mamelon modeste, après lequel il semble chaque année que la route facile, le ciel peu à peu éclairci, le paysage à grandes ondes n'aient plus d'embûches. C'est un point que ne marque aucun village, que nous ne savons désigner que par ces mots : « Tu sais bien, cet endroit, après Valence, cet endroit où on entend la cigale! « « Car au sommet de la colline, dès les premiers cent mètres d'une pente déroulée vers le sud, s'allume une seule cigale, minuscule et fidèle jalon, chantante braise qui proclame juillet et le Midi. Isolée, nous distinguons qu'elle a une grosse voix de chevreau, des bêlements un peu espacés. Elle est collée à un jeune platane, à moins que, sur le premier mûrier, elle ne boive, par ses beaux yeux de myope, sa cuirasse brune et tous ses tympanons, le soleil. Elle est la seule pour qui nous freinons, par gratitude : « Écoute-la! « Plus loin, nous n'entendrons que cette sorte de silence assourdissant, cette frénétique et universelle pulsation qui accorde son rythme pendant la sieste à celle de notre sang échauffé par l'eau marine lourde de sel, le vin frais, l'ail blanc, le poivre noir, nous n'entendrons plus, par millions et millions, que les cigales... « (colette, Journal à rebours.) Dans un commentaire composé, vous vous montrerez particulièrement attentifs à l'enregistrement et à l'expression des sensations qui donnent à ce texte toute sa saveur. 1. Ici, organes qui font office de caisse de résonance.

Analyse du libellé • On vous demande un « commentaire composé «, ce qui commande nécessairement la forme de votre travail, qui sera celle d'une composition française, mais peut signifier aussi qu'on autorise, sous cette forme, une étude complète du texte, dans tous ses aspects littéraires.

« 2 a) Par opposition, la deuxième partie du paragraphe ne contient que deux sensations visuelles : éclairci (clartéprogressive par opposition à brouillard), grandes ondes (mouvement large et libre, qui exprime par des lignes lalibération de l'étouffement et de l'angoisse : cf.

anxieux), b) En dehors de l'étude des sensations, on pourra noter lafaçon dont Colette traduit la familiarité avec le paysage : alliance de mots (innommé et connu), vocabulaire qui*humanise la nature (modeste, plus d'embûches), brusque passage au style direct, emploi répété du démonstratif(souligné par tu sais), et devant cigale, habilement rejeté en fin de paragraphe, article défini qui a son sens denotoriété (la cigale bien connue, toujours la même) sans perdre tout à fait sa valeur généralisante (le type même del'espèce cigale). 3 Deux sensations : a) Le chant de la cigale.

Il est rendu d'abord d'une façon impressionniste.

L'ordre de la phrasequi commence par les compléments circonstanciels de lieu, fait attendre le verbe, et permet, en autorisantl'inversion, de le faire jaillir brusquement.

Ce verbe est visuel et non auditif : cette transposition (continuée parchantante braise) permet d'abord de faire sentir, plutôt que la nature de la sensation, la vivacité de son apparition,puis son caractère incisif, lancinant, et enfin lie le chant de la cigale à une nouvelle impression de chaleur cette foissèche.

Puis la nature de la sensation est précisée, maintenant pour l'ouïe, grâce à une comparaison qui nuance(bêlements un peu espacés) une impression d'abord générale et quelque peu étonnante (grosse Voix df: chevreau),b) La description de la cigale : une seule notation de couleur (brune); trois métaphores, les deux premières visuelles(cuirasse, et yeux de myope, qui, en plus de la grosseur des yeux, marque en quelque sorte le caractère humain dela cigale), la dernière sonore (tympanon, terme de musique, au pluriel, fait de la cigale une sorte d'orchestre decaisses de résonances).

On remarquera, accessoirement, la façon dont nous est suggérée l'extase voluptueuse dela cigale par deux images : elle est collée, à moins quelle ne boive.

Le verbe boire est séparé par une longue série decompléments de moyen de son complément direct le soleil, rejeté anormalement en fin de phrase, ce qui rompt lerythme habituel, et met en valeur le mot qui marque le point culminant des sensations de chaleur et d'éclat (cf.

laprogression : brouillard, éclairci, s'allume, braise, soleil).

Dans la phrase suivante, le brusque passage au style directisole Ecoute-la, suivi d'une pause, qui fait le silence autour du chant unique. 4 Ce silence extasié, différent du silence accablé du début, deviendra un silence assourdissant : l'alliance de cesdeux termes auditifs est reprise par deux adjectifs abstraits : universelle rappelant silence puisque le chant descigales emplit la nature et abolit tout autre bruit, frénétique introduisant un rythme fou dans le bruit qui assourdit.Puis ce rythme se ralentit et devient plus régulier, c'est ce que marque pulsation, pris dans son sens général debattement (= rythme), mais avec la connotation que lui attache son sens spécial le plus fréquent (« battement dupouls »).

Ce mot annonce ainsi l'accord qui se fait entre le rythme de la sensation auditive et celui de la sensationinterne du mouvement du sang.

A partir du mot sang, s'ouvre une sorte de parenthèse qui développe échauffé (motqui explique physiologiquement le battement, et s'accorde avec l'impression générale de chaleur) par un bouquet desensations provençales contrastées : opposition entre une sensation du toucher (lourde de sel) et une sensationgustative et tactile (frais); entre deux couleurs (blanc, noir); la phrase résume en même temps un programme devacances dans le Midi.

On étudiera enfin le rythme de cette dernière phrase.

Il se caractérise par une succession determes qui forment trois groupes : a) jusqu'à pulsation, on a une impression d'élargissement due à l'ampleur croissante des éléments rythmiques : Plus loin, (2) | nous n'entendrons (4) | que cette sorte I de silence assourdissant, (3 + 7) || cette frénétique etuniverselle pulsation (4 + 5+3) Les assonances sont graves en an, o, on, ou, avec l'opposition de quelques i, é ou u; b) puis jusqu'à noir, le rythme devient un peu plus rapide et vif : qui accorde son rythme (3 + 3) // pendant la sieste (4) // à celle de notre sang (7) // échauffé par l'eau marine (3 + 4) // lourde de sel, (4) // le vin frais, (3) // l'ail blanc, (2)// le poivre noir (4) Les oppositions entre sonorités graves et claires sont reprises fréquemment (o-i; en-è; è-an-é; o-i-ou-è ; etc.). c) Après la reprise syntaxique du verbe, le rythme se ralentit en trois parties à peu près régulières, à sonoritésgraves, comme si la pulsation se dissolvait dans l'ampleur du silence assourdissant : nous n'entendrons plus (5) ||par millions et millions (6) // que les cigales (4). III Essai de synthèse ou conclusion.

Prédominance des sensations tactiles et auditives.

La vue sert : a) à donnerdes harmoniques; b) à transposer le son; c) à marquer des étapes dans l'éclairement progressif du paysage; d) àdécrire la cigale.

Le goût et les sensations internes donnent des harmoniques.

L'odorat est absent.

Procédés :alliances de mots; métaphores; accord et reprises de termes sur des registres différents; effets de rythme.

Art desuggérer derrière la sensation : une progression; un paysage; la familiarité avec la nature; un mode de vie; un plaisirqui naît peu à peu.. »

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