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Fabliaux et contes du Moyen Age

Publié le 22/02/2012

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Parmi tant d'anonymes, nous sommes particulièrement heureux de retrouver Jean Bodel (encore que nous ne soyons pas sûrs qu'il s'agisse de l'auteur des très sérieux Congés) et Rutebeuf (encore que nous n'ayons sur son existence que les renseignements qu'il a bien voulu nous donner). On s'est plu à voir jadis, dans les fabliaux sans auteurs, un exemple de littérature authentiquement orale qu'un beau parleur, à défaut d'un barde inspiré, improvisait pour un public de circonstance. On les rapprochait donc des contes populaires rapportés de génération en génération dans les familles, jusqu'à être recueillis (par les frères Grimm). Au début de ce siècle, on a pensé que les fabliaux trahissaient l'amertume d'une classe d'intellectuels errants n'ayant pu s'intégrer à la société. C'est le sens qu'il faudrait donner au « gentil clerc » (« Le pauvre mercier »), homme instruit. Cependant, les fabliaux ne font étalage ni de la culture antique, ni des allusions théologiques qui formaient le bagage culturel de l'époque. Si nous ignorons qui sont les Cortebarbe (« Les trois aveugles ») ou les Durand (« Les trois bossus »), leur origine et leur raison sociale, tous prétendent, ne serait-ce que le temps du récit, avoir vocation de conteur, avec toute la publicité qui s'impose (prologue des « Perdrix », catalogue des « Deux chevaux »). Si le boniment évoque celui du camelot ( « Le prêtre et les deux coquins »), la morale finale fait du poète l'égal du prêtre en chaire au moment du sermon ; la façon abrupte dont tous se terminent par un « salut » à l'auditoire fait penser à un « amen ». Le Moyen Age a cru bon d'attribuer à Villon lui-même ses farces d'écolier ; même s'il n'a pas toujours la verve poétique du vrai Villon ou de Rutebeuf, l'auteur d'un fabliau est toujours conscient de son art. Il entend faire une démonstration qu'on pourrait comparer aux disputes rhétoriques des professeurs de Sorbonne, ou au très courtois « jeu parti » (« Les deux chevaux »).

« 2.

Une intrigue linéaire Oralité, linéarité, efficacitéNous sommes en présence d'une littérature qui porte la marque de son oralité.

Les fabliaux, comme les chansons degeste, commencent par une invocation (« Seigneurs »).

Leur intrigue est linéaire, sans retour en arrière, sansélément qui, annoncé à l'avance, pourrait être oublié par l'auditeur.

Ils sont tous bâtis sur un instant que l'auteurpeut accélérer ou retarder au maximum (comme la larme qui, après d'immenses sermons, remplit le barillet).

Lesaccessoires apparaissent successivement pour ménager un effet de 'surprise : c'est la bûche qu'on met au feu quifait fondre le lard (« Le prévôt à l'aumusse ») ou les coffres où cacher les bossus.Les contes, même inclus dans les romans, sont destinés à être racontés (n'oublions pas qu'au Moyen Age, on lisaittoujours à voix haute, et non « dans sa tête »).

S'il faut représenter au public des décors merveilleux qu'on n'a passous les yeux, au contraire des décors d'auberge des fabliaux (le château avec son lac ou le harem du sultan), onne s'attarde pas à des descriptions inutiles.

L'efficacité prime (le château domine le lac, donc le père ne peut pasmanquer de voir ses enfants ; Almeria est dans une île, donc la fuite en bateau sera toute indiquée). 3.

Les personnages Les personnages, comme ceux de la comédie italienne, appartiennent à une typologie fixée.

Ils n'ont pas plus depersonnalité que les héros des contes.

Ils sont anonymes, ou portent des noms consacrés comme les animaux deRenard : Richard le seigneur (« Le pauvre merder »), Constant le curé toujours semblable à lui-même (« Brunain »),Thibaut, Régnier, Robin, des prénoms très courants, qui peuvent être l'occasion d'un jeu de mots (Brifaut-brifaudé).Ce sont des représentants du monde urbain et rural : marchands âpres au gain, paysans veillant nuit et jourjalousement sur leur bien, plus exceptionnellement, un chevalier grugé par son domestique.

Le jongleur, héros d'unfabliau, est sous-représenté dans ce volume.

Du côté des femmes, on a soit des mères, toujours vieilles, sales etméchantes (qu'on rapprochera de la reine des enfants-cygnes), soit des épouses gourmandes et acides.

On voits'esquisser la thématique de la malmariée, qui rapproche le fabliau du roman d'épreuves.

On trouve égalementl'enfant, absent en général de la littérature médiévale.

Nous voyons fourmiller une population qui aurait disparu sanslaisser de traces, et que nous rattacherions de nos jours à la petite délinquance : mendiants à demi voleurs ouquêteurs, tricheurs, clercs errants, écoliers, tout le monde de la « Coquille » qu'évoque Villon.

Mais la figure quidomine, c'est celle du religieux, curé ou moine, prompt à venir se jeter dans la gueule du loup, vicieux etcalculateur, cherchant à abuser de tous en profitant de sa petite supériorité intellectuelle. 3.

Le style des écrivains 1.

La verve de l'improvisateurLe poète est avant tout un conteur qui ne doit pas lasser son auditoire.

Les passages en style direct qui font de luiun acteur, utilisant toutes les ressources du parler quotidien, injures : « Maîtres truands » (« Les trois aveugles »),blasphèmes : « Par le cul Dieu » (« Les deux coquins ») et invocations : « Nomini Seigneur Dieu » (« Les trois bossus») à tous les saints du Paradis, alternent avec le style indirect qui commente et oriente le récit : dans « Le prêtrequi eut une mère malgré lui », la rage de la vieille est suggérée plutôt qu'elle n'est exprimée ; dans « Les perdrix »,l'impatience de la cuisinière, entrecoupée de remarques psychologiques très fines, nous met l'eau à la bouche.L'auteur adapte son style à son propos : économie des mots si l'intrigue est bâtie sur une confusion sémantique : «Estula ?/Je suis là », pour monter en épingle le jeu de mots : « En entendant parler de suspendre, qu'on allait pendreson fils.

Elle en fut toute retournée » (« Le prêtre qui eut une mère malgré lui »).

Au contraire, dans « Le chevalierau barisel », le repentir qui se passe de mots et occupe une fraction de seconde est encadré par des sermons, desdialogues et une partie narrative assez considérable.

Le texte ne doit pas alourdir le jeu de scène qui fait l'essentieldu fabliau : effroi du prêtre qui n'ose s'attarder pour reprendre son vêtement d'exorciste (« Estula »), innocencecomplète du bossu qui va être assassiné et monte tranquillement l'escalier (« Les trois bossus »).

Et pour rendrel'éclair — en général plutôt malhonnête — qui illumine la conscience des personnages, sans tomber dans un granddiscours qui, en exposant les causes détruirait tout effet de surprise, le poète préfère l'ellipse très expressive : aumoment où il agit, le personnage semble ignorer les conséquences de ses gestes, être comme sous l'emprise dequelque chose : « La dame répondit aussitôt : vous n'aurez pas besoin d'aller bien loin » (« Le paysan médecin ; «Prenez votre grand couteau qui a bien besoin d'être affûté » (« Les perdrix ») ; « Si l'on ne monte pas sur lui, il estimpossible de lui passer le mors » (« Le prêtre et les deux coquins »).

Les interventions de l'auteur qui prend plaisir àmontrer chacun sous un jour défavorable, pour être volontairement comiques « Il ne lui est guère possible de bougerou de tomber », à propos du cadavre (« Le prêtre »), relèvent toutefois du très sérieux statut de l'écrivain médiévalqui a vu et qui ne saurait décrire que ce qu'il a vu.

L'auteur d'un simple fabliau se compare ainsi aux plus grands(Villon aurait, dans ses poèmes, écrit ses aventures d'écolier ; dans le Dolopathos, c'est Virgile lui-même qui réciteles contes) ; ce prestige donne une autre dimension au texte : on y retrouve la concision des formules épiques : « Illui fait jaillir la cervelle et l'abat mort » (« Les trois bossus »), et la brièveté nécessaire à l'exemplum religieux. 2.

Un art consomméL'analyse des contes (prenons «- Les enfants-cygnes »), met en évidence la rigueur de la construction de textessimples en apparence : le merveilleux féerique trouve un contrepoint rigoureux dans une analyse psychologique très. »

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