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Faut-il apprendre à penser ?

Publié le 12/09/2005

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De la sorte, en apprenant à penser l'enfant apprend également des pensées : ses idées ne sont donc pas a lui, mais celles qu'on lui a inculquées. L'enfant reçoit ainsi par son éducation des idées et des concepts qui se combinent dans son esprit et constitueront sa pensée. Il y aura donc, en fonction des éducations différentes, des pensées et des modes de pensée différents. La pensée asiatique, par exemple, différera de la pensée française, et, à l'intérieur d'une même civilisation, la pensée différera d'une classe ou d'un groupe social à un autre. Imaginons deux ouvriers à qui on fournirait des matériaux et des outils pour construire un objet de leur choix : chacun d'eux ne construira pas forcément le même objet, en raison des différentes pensées, idées et matériaux qu'on leur a fournis. En principe, chacun se sert de sa pensée comme il l'entend, toutefois, il se trouve limité par son éducation : il se servira de son outil, donc de sa pensée, comme on lui aura appris à s'en servir. C'est là le conditionnement de l'esprit. Ce conditionnement peut revêtir des formes spectaculaires. Prenons l'exemple du nazisme : à travers la propagande gouvernementale, la population allemande dans sa nouvelle majorité fut conditionnée en sorte qu'elle « pensât » en conformité avec les orientations idéologiques, notamment antisémites, du régime hitlérien. On peut affirmer qu'on « apprend » réellement à « penser ».

« ».Mais s'il apparaît qu'on apprend bien à penser, peut-on pour autant réduire cet acte à une « méthode » deraisonnement ? L'expression « apprendre à penser » a fait se confronter deux grands philosophes : Descartes et Leibniz.

PourDescartes l'art de penser se renvoie à l'esprit et aux parcelles innées de raison que chaque homme possèdenaturellement.

Descartes propose un discours de la méthode et fait donc une place à l'art du raisonnement droit,mais la méthode qu'il préconise est en rapport avec la méthode originaire et fondatrice : celle de la conversion del'esprit et du doute volontaire.

La méthode ne rend que plus « apte » celui qui a le don d'inventer : elle nousperfectionne, mais elle n'est pas améliorable.

Dans le Discours de la méthode, Descartes écrit : « Ainsi mon desseinn'est pas d'enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais de faire voir en quellesorte j'ai tâché de conduire la mienne.

» Il n'y a donc pas de procédés communicables pour aboutir à l'invention.

Pour Leibniz au contraire de Descartes, la méthode doit être une technique.Apprendre consiste à faire un inventaire exact de toutes les connaissancesacquises mais dispersées et mal rangées.

Au lieu de confier la méthode auhasard, comme le fait Descartes, il faut formaliser l'ordre des raisons par dessignes concrets que chacun pourra combiner selon certaines règles d'où lapossibilité d'apprendre à inventer.

Alors que la méthode de Descartes se veutun art d'inventer, l'art combinatoire leibnizien veut une clef de l'art d'inventer.Leibniz écrit : « Il est manifeste que si l'on pouvait trouver des caractères ousignes propres à exprimer toutes nos pensées, aussi nettement etexactement que l'arithmétique exprime les nombres, on pourrait faire entoutes les matières en tant qu'elles sont sujettes au raisonnement tout cequ'on peut faire en arithmétique et en géométrie ».

On le constate doncl'expression « apprendre à penser » est le lieu d'une controverse dansl'histoire de la philosophie entre Descartes et Leibniz, pour qui la définitionmême du mot « méthode » relativement à cet « apprendre à penser » esttendu entre l'apprentissage technique et la conversion de l'esprit.Cette tension de l'apprentissage dans ce « dialogue » entre Descartes etLeibniz soulève donc la question de savoir si l' « apprendre à penser » renvoieà une histoire ou à un développement. On comprend désormais la signification des attaques de Hegel contre lecalculemus leibnizien, contre l'extériorité du calcul en général, et la nécessité, pour apprendre à penser de ne réduire en aucun cas le penser à un art de bien raisonner, à une limitation par unêtre extérieur auquel la pensée s'appliquerait.

Ce que Hegel critique donc dans la conception leibnizienne del'apprendre à penser, c'est qu'elle ne présente du « penser » qu'une conception technicienne, l'objet d'un véritable «apprendre » se confirmant lui-même en tant que tel par son inscription dans une « histoire », voire dans un progrès.Pour Hegel, inscrire l'apprendre à penser dans une histoire ne peut se faire qu'au prix d'une « dérivation » de l'actede penser dans l'acte de connaître ou de raisonner.

Or, l'acte d'apprendre se confond en quelque sorte avec lepenser lui-même, ou plutôt apprendre est le processus même de la pensée en devenir.

Si bien qu'on ne peut séparerl'acte de pensée et l'acte d'apprendre comme si ce dernier précédait la pensée en tant que telle.

Si l'apprendre àpenser ne renvoie pas à une histoire, c'est qu'il est plutôt de l'ordre d'un développement : il ne s'agit pas seulementdans l'apprendre à penser d'appliquer à une représentation la forme d'un savoir ou d'un jugement, mais de manifesterce qui rend raison de tout jugement, et qui est toujours déjà là, d'aucun temps ni d'aucune époque.

Soit un exemple: efforçons-nous de penser la liberté, c'est-à-dire de dépasser les diverses représentations ou les divers jugementsque nous pourrions en former.

C'est le travail de transformation d'une représentation en pensée : a) lareprésentation de l'opinion : être libre, c'est faire ce que l'on désire.

b) la représentation du jugement : être libre,c'est faire ce que l'on veut.

c) La pensée de la liberté : être libre, c'est exprimer une libre nécessité.L'apprendre à penser se présente donc bien comme un travail qui s'appréhende comme un processus dedéveloppement, par lequel le penser s'affirme contre la représentation et le jugement.

La pensée est donc elle-même un processus d'apprentissage, dans le sens où il n'y a de véritable apprendre que l'apprendre à penser.

L'acted'apprendre ne précède donc pas la pensée, de la même manière que l'acte de pensée n'est pas extérieur àl'apprentissage : apprendre à penser n'est en fait pas autre chose que le processus de la pensée effective.

PourHegel, pensée et apprentissage sont fondamentalement unis en ce qu'ils relèvent d'un même processus, dans lequell'esprit, l'effectif, est à lui-même son propre sujet.

Si l'on peut encore parler d'apprentissage avec Hegel, c'est àcondition de préciser que celui-ci est inséparable de la pensée dans laquelle il s'accomplit, c'est-à-dire qu'il ne vientni avant elle ni après elle, mais avec elle. En définitive, nous pouvons dire que tout homme possède la faculté de penser, mais que la pensée n'est au seuil dela vie de chaque homme qu'à l'état de simple possibilité.

A sa naissance, l'homme peut potentiellement penser, maisil doit apprendre à réaliser effectivement sa pensée et la développer jusqu'à atteindre la pensée conceptuelle : laforme la plus achevée.

L'apprentissage joue donc un rôle déterminant dans l'acquisition de la pensée, ce qui pose legrave problème du conditionnement des esprits, car en apprenant à penser l'homme apprend des schémas et desmodes de pensée dont il risque de rester prisonnier.

Quoiqu'il en soit, l'effort d'apprendre à penser permet l'ouverturesur deux illusions fondamentales : l'homme ne sait pas penser par lui-même ; il lui faut véritablement apprendrel'acte de penser ; apprendre ne consiste pas simplement à acquérir un savoir ou à accumuler des connaissances ; etque cet acte n'est ni antérieur ni postérieur à la pensée mais lui est associé.. »

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