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Les Femmes savantes de Molière. ACTE II. SCENE VII : PHILAMINTE, CHRYSALE, BELISE

Publié le 12/07/2011

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CHRYSALE. Vous êtes satisfaites, et la voilà partie; Mais je n'approuve point une telle sortie: C'est une fille propre aux choses qu'elle fait, Et vous me la chassez pour un maigre sujet.

PHILAMINTE. Vous voulez que toujours je l'aye à mon service Pour mettre incessamment mon oreille au supplice? Pour rompre toute loi d'usage et de raison. Par un barbare amas de vices d'oraison ; De mots estropiés, cousus par intervalles, De proverbes traînés dans les ruisseaux des Halles?

BÉLISE. Il est vrai que l'on sue à souffrir ses discours! Elle y met Vaugelas en pièces tous les jours; Et les moindres défauts de ce grossier génie Sont ou le pléonasme ou la cacophonie.

CHRYSALE. Qu'importe qu'elle manque aux lois de Vaugelas, Pourvu qu'à la cuisine elle ne manque pas? J'aime bien mieux pour moi, qu'en épluchant ses herbes Elle accommode mal les noms avec les verbes, Et redise cent fois un bas, ou méchant mot, Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot. Je vis de bonne soupe, et non de beau langage. Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage; Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots. En cuisine peut-être auraient été des sots.

PHILAMINTE. Que ce discours grossier terriblement assomme! Et quelle indignité pour ce qui s'appelle homme D'être baissé sans cesse aux soins matériels, Au lieu de se hausser vers les spirituels! Le corps, cette guenille, est-il d'une importance, D'un prix à mériter seulement qu'on y pense? Et ne devons-nous pas laisser cela bien loin?

CHRYSALE. Oui, mon corps est moi-même, et j'en veux prendre soin Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère. Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, Qu'une femme étudie et sache tant de choses. Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie. Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés, Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse. Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien. Leurs ménages étaient tout leur docte entretien Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles, Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles. Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs: Elles veulent écrire et devenir auteurs. Nulle science n'est pour elles trop profonde, Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde: Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir, Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir; On y sait comme vont lune, étoile polaire, Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire; Et, dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin, On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin. Mes gens à la science aspirent pour vous plaire, Et tous ne font rien' moins que ce qu'ils ont à faire: Raisonner est l'emploi de toute ma maison, Et le raisonnement en bannit la raison: L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire; L'autre rêve à des vers quand je demande à boire. Enfin je vois par eux votre exemple suivi, Et j'ai des serviteurs et ne suis point servi.

L'ensemble. — A propos d'une servante renvoyée par Philaminte, son mari Chrysale, homme de bon sens, mais de caractère faible, proteste au nom de la justice et de la bonne organisation de la maison. Philaminte et sa belle-sœur Bélise font voir leur manque de vraie intelligence en exigeant d'une servante ce qui n'est ni de son devoir, ni de son métier, ni de sa condition. De même, les théories spiritualistes, belles peut-être en soi, quand elles sont bien comprises, que défend Philaminte, perdent leur valeur à être exposées par une personne égarée par l'orgueil et manquant complètement de jugement. Au contraire, les idées de Chrysale, un peu trop terre- à-terre sans doute, ou paradoxales, s'expliquent quand on pense à la triste vie menée si longtemps par le pauvre homme, victime d une telle femme ! Si Chrysale fait parfois preuve, dans ce discours, d'une exagération que ne peut partager Molière, on ne saurait nier qu'il n'exprime parfois des sentiments très justes. Il comprend d'une façon élevée le rôle des femmes en leur confiant la formation des enfants et le soin du foyer, mais il ne songe pas que plus une femme sera solidement instruite, plus son intelligence sera développée, mieux elle sera apte à remplir cette grande tâche. Chrysale se plaint surtout de son malheur particulier, c'est ce qui le touche le plus. Molière met en valeur, ici, la désorganisation d'une maison dont la femme ne connaît pas son devoir. Il traite donc, en somme, une question sociale de premier ordre.

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