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Fénelon a reçu d'un ami intime et sûr une lettre où celui-ci déplore l'exil irrévocable : Cambrai auquel le Prélat est condamné (1699). - L'Archevêque répond à son ami.

Publié le 10/02/2012

Extrait du document

Monsieur,

Je demeure extrêmement touché de la lettre que vous m'avez fait l'honneur

de m'adresser, ainsi que des sentiments d'estime et d'amitié que vous

me témoignez. Si j'étais dans la situation douloureuse que vous croyez, de

telles consolations seraient bien efficaces pour ramener le calme dans une

âme troublée; mais, grâce à Dieu, mon coeur n'est pas ulcéré et je n'ai nulle

difficulté de me faire à ma situation nouvelle....

« cation de Mgr le duc de Bourgogne m'a été le sujet de consolations intimes, que la bonté du roi et la délicatesse de Mgr le Dauphin ont encore aug­ mentées en me facilitant l'accomplissement de ma tâche.

J'ai la conscience d'avoir apporté à cette mission tout le soin, toutes les lumières et la pru­ dence dont je suis capable, et Dieu a béni mes efforts.

L'esprit du jeune prince s'est orné des connaissances convenables à son rang; son âme s'est fortifiée contre les séductions de la vie de cour; son cœur s'est préparé aux grands devoirs et a envisagé sans trouble les plus graves responsa­ bilités.

On dit - et de cela .on me fait un crime -que j'ai enseigné à Mgr le duc de Bourgogne le~ maximes d'une politique audacieuse et téméraire.

Est-il donc téméraire de rappeler à un prince que le peuple doit être gou­ verné et non pressuré? que la puissance a été confiée aux grands afin qu'ils en usent pour le bien de leurs sujets? que le plus beau titre d'un souverain est non celui de victorieux, mais celui de père? enfin, qu'en dehors des guerres justes et nécessaires, toute entreprise de conquête est une illusion fatale à celui qui la nourrit et aux peuples qui la subissent? On me reproche d'avoir élevé Mgr le duc de Bourgogne dans l'horreur des combats : c'est une imputation calomnieuse; mais je me suis peu appliqué à développer en lui l'amour de la gloire, persuadé que les exploits de son illustre aïeul sont à cet égard la plus éloquente des leçons.

Les princes n'ont que trop de propension à imiter Alexandre ou César; il n'est donc pas besoin qu'on leur remette sans cesse en l'esprit les triomphes de ces immortels rava­ geurs.

La guerre traîne après elle un trop lugubre cortège de misères, elle fait couler trop de larmes et de sang, elle sème trop de ruines même dans le pays vainqueur pour qu'on y doive exciter les enfants des rois.

Celui-là n'est pas le plus grand qui a rassemblé plus de provinces sous son sceptre, mais qui a le plus efficacement protégé la religion, le mieux établi le règne de la justice et de l'équité, le mieux fait prospérer le commerce et l'in­ dustrie, et rendu plus florissants les arts et les lettres.

Voilà ce que j'ai dit et m'en peut-on blâmer? Dieu veuille qu'on n'ait jamais suivi d'autres maximes! Des bruits d'alliances et des menaces de guerres se répandent partout, alors que nos provinces ruinées, nos campagnes affamées auraient besoin d'une longue paix pour se refaire.

Je reçois ici chaque jour des misérables qui me demandent des secours : qu'adviendrait-il d'eux si une nouvelle lutte absorbait encore toutes les ressources du royaume? Loin de moi la pensée d'accuser Sa Majesté de rêver de chimériques entreprises; mais alors même qu'elle tirerait l'épée pour une cause juste, c'est là une éven­ tualité qu'on ne saurait me défendre de déplorer.

Je ne puis sans effroi regarder du côté de l'Espagne, sachant tout ce qu'il faudra de sang pour terminer en ce pays les difficultés qu'on y dit être imminentes.

On m'affirme que des personnes imprudentes ou malintentionnées s'auto­ risent de ce que j'ai dit ou écrit pour me desservir auprès du roi; j'ai trop confiance en la droiture des intentions de Sa Majesté pour croir qu'on puisse ou intercepter ma correspondance avec Mgr le duc de Bour gogne, ou y mettre fin.

Le prince s'est depuis longtemps ·habitué à un grande liberté de relations avec moi; de mon côté, je ne lui ai rien cach des vérités que j'ai pensé devoir lui être utiles, et tout le monde com prendra que l'intimité se permette des épanchements, des appréciations des conseils, où il serait injuste de chercher un tout autre sentiment qu le désir du bien.

Quoi qu'il arrive d'ailleurs, j'ai la conscience d'avoir agi pour le mieux. »

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