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LA FILEUSE DE PAUL VALERY

Publié le 06/04/2011

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Lilia..., neque nent

Assise, la fileuse au bleu de la croisée

Où le jardin mélodieux se dodeline; x Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée. Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline

Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,

Elle songe, et sa tête petite s'incline. Un arbuste et l'air pur font une source vive

Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose

De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive. Une tige, où le vent vagabond se repose,

Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,

Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose. Mais la dormeuse file une laine isolée; Mystérieusement l'ombre frêle "se tresse Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée. Le songe se dévide avec une paresse

Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

La chevelure ondule au gré de la caresse... Derrière, tant de fleurs, l'azur se dissimule, Fileuse de feuillage et de lumière ceinte : Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle. Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,

Parfume ton front vague au vent de son haleine

Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

De l'Antiquité à la Pléiade, de la Pléiade à nos jours, combien de fileuses ont été chantées par les poètes ! Ronsard prophétise Hélène « dévidant et filant «, Hugo et Théodore de Banville dépeignent Hercule filant aux pieds d'Omphale, Samain rêve de Clydie, la « blanche fiancée « au col de cygne, dévidant un écheveau de soie, Henri de Régnier oppose une fileuse endormie dans l'ombre « tiède et bleuâtre « au potier encore au labeur : ce ft'est donc pas dans le sujet du poème qu'il faut chercher l'originalité de Valéry, mais dans la manière avec laquelle il a traité ce thème traditionnel.   

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« rêve; les deux dernières rapprochent personnage et décor dans les dernières lueurs du crépuscule.

Un vers isoléreprend l'image initiale ; entre ces deux moments, la scène s'est déroulée : le sommeil s'est emparé de la fileuse,l'ombre a envahi la chambre et le jardin.

Dans cette composition simple et souple, le poète a réalisé plus qu'untableau : il a donné la sensation d'une durée. Explication littérale. Strophe 1. Le premier vers pose le personnage dans son attitude et fixe la couleur dominante ; l'ellipse du verbe, la syntaxeassouplie donnent à chaque élément sa valeur relative : les plus importants sont assise et bleu ; la croisée n'est quesecondaire par elle-même : c'est le moyen pour relier les deux paysages : l'intérieur de la pièce et le jardin.

Enrevanche, pour mettre en évidence l'effet coloré, le poète a utilisé un procédé familier aux Anciens, repris par laPléiade, puis par les Parnassiens et les Symbolistes : l'adjectif substantivé bleu est rehaussé par un nom,complément précédé par de3 qui correspond au génitif latin. Au vers 2, un effet de surprise est produit par l'épithète insolite mélodieux appliqué au jardin.

S'agit-il du chant desoiseaux ou plutôt de l'harmonie réalisée par les arbres, les fleurs, la lumière, véritable symphonie ? Pourquoi le jardinpersonnifié se dodeline-t-il comme un enfant ivre de sommeil ? Est-ce parce que les feuillages agités par la brisedessinent sur la vitre des ombres mouvantes? N'est-ce pas plutôt un artifice du poète, qui a reporté sur le jardin leverbe s'adressant à la jeune fille ? La fileuse, étourdie par le mouvement et le bruit régulier, avant de plonger dans le sommeil, dodeline de la tête, etses yeux vacillants ainsi que ceux d'un ivrogne, croient voir le paysage osciller. Le vers 3 explique la scène par le simple rapprochement du présent qui ronfle, et du passé l'a grisée.

Le verberonfle, sonore et familier, traduit le ronronnement monotone du rouet avec beaucoup plus d'exactitude que le rauquemurmure employé par Henri de Régnier pour sa propre fileuse.

C'est le rythme bruyant du rouet, qui provoque chez lajeune fille une véritable ivresse, l'écarté de l'action, et l'introduit dans le domaine du rêve.

Dans cette premièrestrophe, les éléments descriptifs sont encore nombreux; «le précis à l'indécis se mêle» pour composer un tableaucoloré et expressif. Strophe 2. La seconde strophe complète le portrait; comme dans la première, les trois vers sont commandés par le premier mot,qu'ils développent; d'une strophe à l'autre, les notations se correspondent : Lasse, symétrique de assise, l'explique.Les tours, le vocabulaire sont plus spécifiquement symbolistes.

Le mouvement du premier vers est coupé par laproposition participiale ayant bu l'azur, mais prolongé par l'enjambement Chevelure; l'inversion à ses doigts si faiblesévasive permet de mettre en relief les deux mots importants du vers en les plaçant l'un au début, l'autre à la fin.Evasive est employé au sens actif : qui échappe.

Le sens n'est pas obscur : la laine moelleuse de la quenouilletombe des mains de la fileuse ; sa masse évoque une chevelure caressée par des doigts câlins, mais l'épithète câlineest reportée de la main sur la laine, de la cause à l'effet, déplacement si fréquent dans les poèmes symbolistes qu'ildevient un procédé mécanique.

L'expression la plus obscure, celle qui doit effaroucher le profane et enthousiasmerl'initié est manifestement « ayant bu l'azur ».

Le verbe bu, concret, réaliste même, est associé de façon étrange àl'immatériel azur; il a été suggéré par le grisée de la première strophe, à moins que ce ne soit l'inverse ; de toutefaçon, l'impression d'ivresse s'en trouve renforcée.

L'azur est l'absinthe qui a enivré la fileuse, mais qu'est-ce quel'azur? Depuis le célèbre poème de Mallarmé : « De l'éternel azur la sereine ironie Accable, belle indolemment comme les fleurs, Le poète...

» l'azur est devenu le mot de ralliement des Symbolistes, sans être pour cela plus accessible.

Sous sa formematérielle, c'est ici le bleu de la croisée, que la fileuse a aspiré avidement comme une effluve de vie, mais c'estaussi, sous sa forme idéale, tous les désirs d'évasion, tous les rêves de la jeune fille.

Le poète l'entendait chanterdans les cloches, la fileuse le cherche au delà de sa chambre, du rouet, dans un espace plus vaste, dans un avenirmoins monotone.

Peut-être comme la Clydie de Samain est-elle une fiancée « oppressée — Des premières langueursde sa jeune saison », qui songe au temps « qui viendra de quitter la maison ». La strophe se termine par l'évocation de la fileuse penchant la tête : la griserie la faisait dodeliner, le sommeill'incline. Strophes 3 et 4. Ces 6 vers sont consacrés au jardin, qui n'est pas décrit, mais esquissé à la manière des peintres impressionnistespar des taches lumineuses et deux éléments stylisés, Varbuste et la rose.

Le poète a voulu éviter la banalité destableaux romantiques et il a tenté le rare; la comparaison de l'arbuste en fleurs avec une source, qui loin de plongerdans l'obscurité du sol, s'épanouit de toutes ses fleurs blanches dans le bleu du ciel, est heureuse et suggestive; onne saurait en dire autant de l'emploi du nom abstrait perte pour évoquer les pétales dispersés par le vent.

Tellequelle la strophe rappelle par sa préciosité les vers musicaux et les tons suaves de Mallarmé, ces « blancs bouquetsd'étoiles parfumées » d'Apparition et ce « blanc jet d'eau soupirant vers l'Azur » de Soupir.

La strophe 4 est plus. »

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