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LA FONTAINE : « LES QUATRE AMIS » ?

Publié le 23/06/2011

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Les quatre amis des premières pages de Psyché sont peut-être des personnages de fantaisie ; mais ceux mêmes qui les croient peints d'après nature doivent convenir qu'il n'y a aucune raison sérieuse de reconnaître en Ariste Boileau, en Acante Racine, en Gélaste Molière. Rien non plus ne permet de penser que La Fontaine et ces trois poètes aient jamais « lié une espèce de société «. Mais il !es a connus tous trois ; il a eu avec chacun d'eux des relations assez capricieuses et sur lesquelles nous sommes loin de tout savoir. Parmi bien des obscurités essayons de dégager ce qui est sûr ou vraisemblable.

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« Aux quatre amis fantômes de 1664 faut-il substituer les trois amis de 1674 ? Ce serait fermer les yeux à trop defaits et à trop de textes.

En 1674 précisément a paru L'Art poétique.

Je ne vais pas jusqu'à penser avec Boudhorsque La Fontaine soit l'ennemi des règles et je ne vois aucune raison sérieuse de lui attribuer l'admirable préface duRecueil de poésies chrétiennes où était proclamée dès 1671 la vanité de toutes les poétiques.

Mais si Boileau a puavoir des motifs de principe pour exclure la fable de son deuxième chant (Rapin n'en parle pas non plus dans sesRéflexions), comment expliquer qu'à la fin du chant IV où sont cités, parmi les poètes qui honorent le siècle de Louis,non seulement Corneille et Racine, mais Benserade et Segrais, le nom de La Fontaine ne soit même pas prononcé ? Ilfaut bien admettre que Boileau ne range pas le fabuliste parmi les maîtres.

Et, s'ils ont pour communes protectricesles deux soeurs Mortemart, La Fontaine a lui-même une protectrice autrement active, cette duchesse de Bouillonqui, en 1677, dans la guerre des deux Phèdre, se déchaînera contre Racine et Boileau et les menacera de labastonnade.La même année, nommés historiographes du roi, ils deviennent tous deux personnages officiels, tandis que l'auteurdes Contes (La Reynie avait fait saisir ceux de 1674) continuait à mener une existence assez libre.

Depuis 1672d'ailleurs, il est l'hôte de Mme de La Sablière et vit dans la société de la rue Neuve-des-Petits-Champs où Boileaudoit être mal vu.Par la suite, l'amitié semble s'être maintenue assez étroite entre La Fontaine et Racine.

Boileau et La Fontaine setrouveront, au contraire, presque toujours dans des camps ennemis.

Quand le fabuliste se présente à l'Académie,ses ennemis votent pour Boileau.

Boileau prend parti sous main pour Furetière contre lequel La Fontaine s'acharne.Lorsqu'éclate la Querelle, c'est à Huet, un ennemi de Boileau, que La Fontaine adresse l'épître où il se déclare pourles Anciens.

En 1690-91 il donne trois fables inédites au Mercure Galant, journal des ennemis de Boileau.

Dans laSatire X qui paraît en 1694, Joconde est traité de « conte odieux ».On n'a donc pas lieu de célébrer en termes attendris l'amitié des deux poètes ; mais on ne saurait non plus parlerd'hostilité, au moins déclarée.

La Fontaine, dans les dernières années de sa vie, allait à Auteuil 27 et retrouvaitencore Boileau à Paris chez Racine et à Reims chez Maucroix.

Le chanoine semble avoir oublié les anciennespicoteries ; depuis 1683 au moins, il correspond avec Boileau cordialement.

Quand La Fontaine meurt, tous deuxs'entretiennent de lui sans apparence de gêne : « notre défunt ami, notre cher ami ».

Boileau laisse pourtantentendre qu'il ne le fréquentait guère dans les derniers temps de sa vie.Ainsi, entre le satirique et le fabuliste des relations plus ou moins lâches se sont maintenues jusqu'au bout, mais lasympathie littéraire semble avoir été des plus tièdes.

Il est difficile de ne pas soupçonner quelque malice dans lescompliments du bonhomme quand il assurait Boileau que « les deux vers de ses ouvrages qu'il estimait davantage »étaient ceux qui, dans l'épître I, se rapportent à la manufacture des « points de France ».

Quant à Boileau, commela plupart de ses contemporains, il n'a jamais vu en La Fontaine qu'un marotique d'ailleurs agréable (Vile Réflexion surLongin) et il pensait lui faire honneur en le plaçant au rang de Voiture et de Sarrasin (Lettre à Perrault, 1700).Résumons-nous.

La Fontaine et Boileau ont fait presque en même temps leurs débuts dans les lettres ; diversescirconstances ont pu les rapprocher.

Mais ils sont d'une autre génération et n'ont fréquenté que par accident lesmêmes milieux.

Ce n'est pas un hasard si Boileau a eu pour adversaires déclarés l'un des patrons de La Fontaine,Chapelain, et ses plus anciens amis, Madeleine de Scudéry, Pellisson, Saint-Evremond, Charpentier, Brienne, CharlesPerrault, sans parler de la duchesse de Bouillon et de Mme de La Sablière.Sur les principes mêmes de la poésie, leur accord est tout superficiel.

On sait de reste que Boileau n'a pas inventé ladoctrine classique et que les principes généraux qu'il formule dans sa poétique s'étaient imposés depuis un demi-siècle à tous les écrivains français.

Bien avant que le satirique eût rien publié, La Fontaine, dans la préface del'Eunuque, dans la lettre à Maucroix où il parle de Molière, invoque comme un autre la simplicité, la bienséance, lavraisemblance, la nature.

Mais quand il descend de ces principes aux lois particulières des genres qu'il considèrecomme siens, il se trouve en conflit avec Boileau.

Celui-ci, qui n'a jamais publié sa Dissertation sur Joconde et quisans doute s'est repenti de l'avoir écrite, dès qu'il devient le moraliste des Epîtres, le législateur du Parnasse,condamne les « dangereux auteurs » qui « trahissent la vertu sur un papier coupable ».

Quand il s'agit de la fable, ilss'entendent moins encore.Tout ce qui est le génie propre de La Fontaine, son apparent abandon, ses grâces nonchalantes, son goût de ladiversité et son habileté à réduire les styles les plus divers « dans un juste tempérament », son penchant pour le «galant », le « merveilleux », le « fleuri », son épicurisme littéraire, son tour d'esprit gaulois, ses audaces et sessourires, cet art sensuel qui lui permet dans les fables, sans décrire un paysage, d'en rendre la tiédeur, les reflets etles parfums, tout cela, héritage épuré, savamment ménagé, de ses maîtres du siècle précédent, n'est pas seulementétranger à Boileau, mais répugne à sa nature plus encore qu'à ses principes.Il n'était peut-être pas inutile de rappeler ces faits ni de formuler ces remarques d'évidence, puisqu'il y a encoreaujourd'hui des critiques pour reprendre à leur compte la formule que Sainte-Beuve s'est pourtant repenti d'avoirmise en circulation : « Il y a deux La Fontaine, l'un avant et l'autre après Boileau ».Tout au plus, par ses résistances, par son incompréhension, ses censures indirectes, le satirique a-t-il pu amenernotre poète à prendre une conscience plus claire de sa nature profonde et à s'engager plus résolument dans savoie.

En ce sens, on peut, si l'on veut, faire honneur à Boileau de l'audace qui a valu à notre poésie le deuxièmerecueil des Fables.. »

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