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LA FORME OU LA PLASTIQUE DE LA PIECE "IPHIGENIE" DE RACINE

Publié le 09/04/2011

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iphigenie

   Ordonnance du sacrifice. Un autre secret d'Iphigénie, c'est sa forme ou sa plastique. Plus que toute autre, l'action de cette tragédie suppose des ensembles puisqu'il y faut prévoir l'ordonnance d'un sacrifice, et, à ne la considérer que d'un point de vue assez particulier, on pourrait croire que le principal souci des personnages, c'est la place qu'ils occuperont près d'un autel qu'on ne voit pas et qui peut aussi bien servir à une immolation qu'à un mariage. Des inquiétudes de préséance agitent certains; rien n'égale le dépit de Clytemnestre quand elle apprend qu'Agamemnon se propose de l'éloigner de la cérémonie. La scène, où vont et viennent les futurs assistants de cette cérémonie, peut être considérée comme la coulisse du spectacle sacré; c'est là qu'on en discute les préparatifs, et, d'abord, la question essentielle : aura-t-il lieu ?

iphigenie

« Il l'attend à l'autel pour la sacrifier. (III, 5) C'est la simplicité même de la foudre; mais quelle confession difficile ! et au prix de quels tourments intérieurs Arcasa-t-il atteint cette simplicité-là ? Chacune des interruptions suivantes va dessiner l'expression d'un visage fort différent du visage voisin.

Regardons-les : Achille parle le premier : Lui ! L'étonnement l'emporte; Lui le Père, Lui le Roi; les deux traits qui le définissenteussent dû lui interdire un tel projet.

Sa fille! continue Clytemnestre, c'est le scandale de la nature et de la chair ;Mon Père ! s'écrie Iphigénie, protestation de même origine, mais transposée en surprise respectueuse; Eriphilepousse le dernier cri : O ciel! quelle nouvelle! et c'est une renaissance du cœur. Ainsi la vie et la mort illuminent ou assombrissent ces faces avides de nouvelles, glaise idéale pour l'ébauchoir de ladestinée.

Quel décor vaudra jamais le spectacle offert par ces regards égarés qui s'entrecroisent, ces bras qui déjàesquissent des gestes de défense, de menace, de malédictions ou d'actions de grâces, ce tremblement du corpstout entier qui se communique aux longs plis des péplums !Une fois l'assemblée de ces personnages dissociée par le coup de tonnerre, voici un groupe qui se reforme:Clytemnestre aux genoux d'Achille, Iphigénie à ses côtés; plus éloignées, pour mieux observer, Eriphile et sasuivante ; plastique de la supplication : Achille promu dieu par le désespoir d'une mère, une femme âgée aux genouxd'un jeune homme : Une mère à vos pieds peut tomber sans rougir. (III, 5) Achille, le supplié par excellence, et qui verra à ses pieds Priam chargé d'années ! Ne semble-t-il pas que, par lapose qu'il donne à son personnage, Racine retrouve sa vérité essentielle, et qu'il restitue au public du XVIIe sièclel'Achille éternel? Et ce sera tout à l'heure le tour d'Iphigénie de lui adresser des prières. Le caractère français répugne, dit-on, à la génuflexion, ou plutôt ne la réserve qu'à Dieu; c'est peut-être augroupement des personnages sur la scène et aux postures qu'ils prennent les uns à l'égard des autres, qu'onreconnaît le plus la filiation antique de nos tragédies. Supplication d'Iphigénie.

La prière d'Iphigénie à son père n'est pas qu'en paroles ou en sous-entendus; elle est toutce que nous avons dit et disons encore, mais elle est aussi, au point de vue où nous sommes placés, uneanticipation ou une rétrospective en images de toute une vie.

Voici l'avenir immédiat, sombre et sanglant, résumédans l'inclinaison d'un cou gracile offert au couteau, puis le foyer quelques mois plus tôt, la préparation de la guerrede Troie mise à la portée de l'adolescence, la cérémonie du mariage discrètement évoquée, mais à plusieurs reprises,enfin le deuil des survivants par deux fois souligné.

Ces visions, n'en doutons pas, demeureront dans l'espritd'Agamemnon et peupleront ses rêves, ainsi que le spectacle de sa fille à ses genoux, dans une atmosphère chargéed'électricité où Clytemnestre et Achille préparent leurs scènes respectives. Les soixante-huit vers de Clytemnestre nous livrent, dans toute sa pureté, la plastique de l'imprécation.

Tout lethéâtre appartient à la reine; sa puissante stature se balance au rythme de gestes qui brassent les malédictions,dénoncent les coupables, sacrifient les justes victimes, découvrent les responsabilités; n'oublions pas qu'elle est enrobe pourpre, que tous ses sursauts, ses haut-le-cœur, ses dégoûts sont comme prolongés et accompagnés dubruissement de ses longs plis; c'est toute une marée sanglante qu'elle fait monter autour d'Agamemnon enattendant de l'assassiner; n'assiste-t-on pas ici à une sorte de meurtre moral et comme à une orchestration del'avenir ? Nous n'aurions entre tous ces coups de hache ou de poignard que l'embarras du choix.

C'est Tisiphone etMégère tout ensemble, mais aussi la plus diserte des Erinnyes; si le noir sied à Electre, c'est en rouge queClytemnestre porte le deuil. Plastique des adieux.

Que dire enfin de la plastique des adieux, noble et fière quand Iphigénie s'adresse à son fiancé(V, 2); ce n'est plus une fille aux genoux de son père, c'est la vierge guerrière qui annonce le triomphe et en ouvrele chemin; vraie victoire de Samothrace aux ailes déployées, aux seins conquérants.

Le ton change quand Achillepersiste à vouloir sauver sa fiancée malgré elle, mais l'esprit de décision demeure; la voici qui dessine à l'avance lesuicide altier d'Eriphile : C'est déjà trop pour moi que de vous écouter.

Ne portez pas plus loin votre injuste victoire ; Ou, par mes propresmains, immolée à ma gloire, Je saurai m'affranchir, dans ces extrémités, Du secours dangereux que vous meprésentez... (V, 2) Mais il s'agit de prendre congé d'une mère, une désolation infinie enveloppe les derniers conseils, un geste de pitiéadoucit les impératifs, et c'est en confondant ses parents dans une commune compassion qu'elle se jette dans les. »

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