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LE GENIE POETIQUE DE VERLAINE

Publié le 27/06/2011

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AVANT MONS. — A peine le manuscrit des Romances était-il envoyé à Lepelletier que Verlaine envisageait de nouvelles publications. Il fourmillait, disait-il, d'idées nouvelles, de projets vraiment beaux. Il songeait à publier les Vaincus, dont une partie, intitulée Sous l'Empire, devait comprendre le Monstre, le Grognard, la Soupe du soir, Crépuscule du matin, les Loups, parus dans les revues en 1867-1869. Il annonçait un volume — le même peut-être — qui aurait contenu des sonnets, de vieux poèmes saturniens, des vers politiques et quelques obscénités. Parmi celles-ci, il mettait les Amies. Il rêvait surtout de s'essayer à une nouvelle forme poétique dans un volume de Choses, avec la Vie au Grenier, Sous Veau, Vile, le Sable. Chacun de ces poèmes devait comprendre de trois cents à quatre cents vers. Nous ne les possédons pas, et nous n'avons pas les brouillons ou esquisses qui pourraient nous instruire sur eux. Les indications que contient la Correspondance ne sont pas faites pour nous en donner une idée précise. Il s'agissait des choses, de leur bonté, de leur malice, et l'homme en était compète- ment banni. C'étaient, dit encore Verlaine, des paysages purs et simples d'un Robinson sans Vendredi. Ils étaient à la fois très pittoresques et très musicaux. L'Ile était un grand tableau de fleurs et la Vie au Grenier une sorte de Rembrandt.

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« A l'origine de ces idées, comment ne pas reconnaître Rimbaud ? Le « grand damné », c'est lui.

C'est lui, le comteassassiné dans la Grâce, lorsqu'il demande à la comtesse de descendre en enfer avec lui, de ne pas faiblir, derenoncer au bonheur solitaire et banal.

Il avait tout pour être bon chrétien, dit Verlaine, le baptême et la foi.

Mais ila voulu prendre la place de Dieu.

Entreprise dont le poète, à Bruxelles, commence à mesurer l'audace chimérique.

LeDiable ironique raille l'impuissante tentative et rappelle qu'il n'est pas donné à l'homme de devenir Satan.Étroitement apparenté à ce groupe de poèmes par les intentions morales, mais tout différent et infiniment supérieurpar l'art et la beauté, Crimen Amoris fut, nous dit Verlaine, écrit à Bruxelles, aux Petits Carmes, dans les toutpremiers jours de l'emprisonnement.

L'allusion à l'aventure de Londres y est évidente, et le meilleur commentaire deCrimen Amoris, c'est la Saison en Enfer.

L'imagerie vient pourtant de Baudelaire, et l'on a très justement noté ladette de Verlaine à l'endroit des Tentations dans les Petits Poèmes en prose.

Ces démons à la troublante beautéd'androgynes, c'est Baudelaire qui lui en a donné l'idée.

Mais son ambition n'est pas de paraphraser une belle pagedu maître.

Il a voulu raconter, sous une forme symbolique, la grande entreprise de Rimbaud.C'est lui, le plus beau des mauvais anges.

Il avait seize ans lorsqu'il vint à Paris.

Il porte sur lui le signe du désespoir.Rien que l'Absolu ne l'occupe.

Il apporte un message, celui de la libération de l'homme par l'amour.

Que cessel'opposition du bien et du mal, du licite et du défendu, le schisme entêté qui oppose les Saints et les Pécheurs.L'équilibre des deux forces contraires ne suffit pas.

Il faut que le Pire et le Mieux s'absorbent l'un dans l'autre et queles Sept Péchés rejoignent les Vertus théologales.

Alors seulement l'Amour universel régnera.

Le jeune Satan met lefeu au monde.

C'est-à-dire qu'il entreprend de donner à l'humanité l'exemple d'une vie libérée.

Mais lorsque Verlaineécrit Crimen Amoris, il savait déjà que la tentative était manquée.

Manquée au point de ne laisser derrière elle aucunvestige : un vain rêve évanoui.

Maintenant un paysage s'étend : une nuit emplie de clair de lune, dans une plainesemée de bois noirs et d'étangs.

Les choses en repos adorent Dieu.

A la révolte a succédé l'acceptation.Cet étrange mystère est probablement, de tous les poèmes de Verlaine, celui qui peut nous donner l'idée la plusexacte du « système » dont il rêvait à Jehonville.

Cette poésie luxuriante, pleine de flammes et de rubis, cettepoésie musicale, ces rythmes raffinés, ces phrases qui se déroulent onduleuses, insaisissables, voilà qui répond bienaux indications que Verlaine avait données à ses amis vers le mois de mai 1873.

Il adopte ici l'hendécasyllabe donton a pu dire qu'il était la perfection de l'inachevé, qui annonce l'alexandrin, le fait prévoir, puis se dérobe.

Il le rendplus fluide encore en variant de vers en vers la position des césures.

Nulle constance donc, rien qui permette deprévoir le rythme et de trouver, dans l'accomplissement de cette attente, une satisfaction paresseuse.

Comme l'adit un excellent critique belge, Marcel Thiry, Verlaine fait s'évanouir le poème pour que jaillisse, pure enfin, la poésie.A la même époque, durant les premiers temps de la prison, Verlaine a composé d'autres pièces.

Il les recueillera plustard dans Parallèlement.

L'une d'elles, qui s'intitulait alors Promenade au Préau nous apporte la plus précieuseindication.

Lorsqu'il l'envoya à Lepelletier, Verlaine la fit précéder de cette remarque : « Ça, c'est le vieux système :trop facile à faire et bien moins amusant à lire, n'est-ce pas ? » Nous prenons donc le poète sur le fait.

Avec cettemaîtrise de l'expression, ce détachement qui lui permettent d'adopter à volonté tel ou tel registre, il s'amuse àcomposer, dans le même temps, selon deux « systèmes » différents, et lorsque nous comparons Promenade aupréau à Crimen Amoris par exemple, ou à Invocation (le futur sonnet de Luxures), nous comprenons enfin qu'elle futl'exacte signification de ces découvertes poétiques que Verlaine annonçait de Jehonville à ses amis, au printemps de1873.

Car Promenade au préau est une œuvre charmante.

Placée à la suite des Romances sans Paroles, elle y feraitbonne figure.

Elle abonde en notations pittoresques et fines.

Son rythme évoque la marche des prisonniers, le bruitde leurs sabots sur les pavés de la cour.

C'est de l'excellente poésie impressionniste.

Mais précisément Verlaine arompu avec l'impressionnisme.Après en avoir épuisé les ressources, il en découvre maintenant les limites.

Il y a mieux à faire au poète que denoter des impressions.

Il faut atteindre, au-delà, l'âme mystérieuse des choses, il faut par delà les apparencespousser jusqu'à la réalité, qui est esprit.

Plus profondément que la sensation, le poète doit saisir, en lui-même, latragédie de l'homme, pénétrer jusqu'à ces retraites où l'âme choisit entre le bien et le mal, entre l'acceptation et larévolte ; il doit peindre ces déchirements, ces espoirs de liberté, ces défaites qui font le pathétique de notredestinée.

Entre cette vie secrète de l'âme et celle des choses il appartient au poète de dégager, de découvrir lesmystérieuses correspondances.

Le monde sensible n'est plus, pour Verlaine, la matière de notations pittoresques.

Ildevient le miroir de son destin, l'image de ses désastres et de ses espérances.

Dans l'œuvre de Verlaine, le véritablesymbolisme, non plus le jeu amusant des synesthésies, mais la poésie de l'invisible et des au-delà, est né en 1873.A l'origine de ces idées, nous devinons Rimbaud.

Le plus intime confident de celui-ci, Delahaye, a mis l'accent sur savolonté de rendre à la poésie la signification qu'elle avait perdue.

Il ne voyait dans l'art, a dit Delahaye, qu'un moyend'exposer aux foules l'idée de révolution par la fraternité et l'amour.

Il n'avait que dédain pour les gens de lettres etles esthètes.

Esthètes, à coup sûr, les Parnassiens à la façon de Mendès.

Mais esthètes aussi les amateursd'impressions à la manière de Mérat.

La poésie était quelque chose de plus sérieux, elle était œuvre sacrée,accomplissement d'une mission, elle était révélation.

De ces idées de Rimbaud, Verlaine a recueilli tout ce que sonpropre tempérament d'homme et de poète était capable d'accueillir.D'autre part Rimbaud lui a révélé certains écrivains dont il avait fait trop peu de cas jusqu'alors.

Nous le savons defaçon positive pour Marceline Desbordes-Valmore.

C'est Rimbaud qui a « forcé » Verlaine à lire toutes les œuvres dela poétesse, alors qu'il croyait qu'elles étaient seulement « un fatras avec des beautés dedans ».

Nous pouvonspenser que c'est encore Rimbaud qui lui a ouvert les yeux sur les vraies valeurs de l'École romantique.

On sait queldédain les Parnassiens affichaient pour Lamartine et Musset.

Ce sont ces deux poètes que Verlaine placemaintenant le plus haut.

Non pas, nous le soupçonnons, le Lamartine des Méditations, mais le poète trop peu lu dela Chute d'un Ange.

Verlaine éprouve pour lui, au printemps de 1873, une admiration définitive.

Il le mettra plus tardaux côtés de Baudelaire.

Citant les plus grands poètes de notre littérature, il citera désormais Lamartine et Musset.Il ne nommera jamais Victor Hugo.

Dans Marceline Desbordes-Valmore, il goûta le flot continu d'images, le librejaillissement où s'exprimait une âme noble et sensible.

Il remarqua avec une particulière attention l'emploi del'hendécasyllabe.

Et c'est à elle qu'il emprunta le distique, si peu pratiqué, si émouvant pourtant, la forme quicorrespond le mieux, chez nous, aux versets des Psaumes dans la Bible.. »

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