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LE GOUT (selon Diderot)

Publié le 07/07/2011

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Cette étude sur le goût est extraite d'un Essai sur la peinture, écrit par Diderot en 1765 et publié seulement en 1795. On étudiera : a) comment Diderot justifie l'existence du goût ; b) comment il le définit ; c) la part qu'il accorde dans le goût à la raison et à la sensibilité.

Si le goût est une chose de caprice, s'il n'y a aucune règle du beau, d'où viennent donc ces émotions délicieuses qui s'élèvent si subitement, si involontairement, si tumultueusement au fond de nos âmes, qui les dilatent ou qui les serrent, et qui forcent, de nos yeux, les pleurs de la joie, de la douleur, de l'admiration, soit à l'aspect de quelque grand phénomène physique, soit au récit de quelque grand trait moral ? ... Qu'est-ce donc que le goût ? Une facilité, acquise par des expériences réitérées, à saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui le rend beau, et d'en être promptement et vivement touché. Si les expériences qui déterminent le jugement sont présentes à la mémoire, on aura le goût éclairé ; si la mémoire en est passée et qu'il n'en reste que l'impression, on aura le tact, l'instinct. ... De l'expérience et de l'étude, voilà les préliminaires et de celui qui fait et de celui qui juge. J'exige ensuite de la sensibilité. Mais, comme on voit des hommes qui pratiquent la justice, la bienfaisance, la vertu, par le seul intérêt bien entendu, par l'esprit et le goût de l'ordre, sans en éprouver le délice et la volupté, il peut y avoir aussi du goût sans sensibilité, de même que de la sensibilité sans goût. La sensibilité, quand elle est extrême, ne discerne plus ; tout l'émeut indistinctement. L'un vous dira froidement : « Ceci est beau. « L'autre sera ému, transporté, ivre ; il balbutiera ; il ne trouvera point d'expressions qui rendent l'état de son âme. Le plus heureux est, sans contredit, ce dernier. Le meilleur juge ? c'est autre chose. Les hommes froids, sévères et tranquilles observateurs de la nature, connaissent souvent mieux les cordes délicates qu'il faut pincer : il font des enthousiastes sans l'être... La raison rectifie quelquefois le jugement rapide de la sensibilité ; elle en appelle. De là tant de productions presque aussitôt oubliées qu'applaudies ; tant d'autres ou inaperçues ou dédaignées, qui reçoivent du temps, du progrès de l'esprit et de l'art, d'une attention plus rassise, le tribut qu'elles méritaient.

Diderot.

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