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Grand cours: LE DROIT (7 de 16)

Publié le 22/02/2012

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4) LES CRITIQUES DU CONTRAT SOCIAL ET L’EMERGENCE DU COUPLE SOCIETE-ETAT DANS LA THEORIE POLITIQUE MODERNE.

- Les libéraux, les contre-révolutionnaires, les anarchistes verront en Rousseau le théoricien de la terreur jacobine. Proudhon (père de l'anarchisme) : « C'est à lui surtout qu'il faut rapporter la grande déviation de 1793 «. On assiste à une multiplication des critiques de la notion de contrat social (Burke, de Maistre – courant contre-révolutionnaire, Constant – courant libéral, etc.) au nom le plus souvent de l’écart entre la démarche théorique des contractualistes et l’expérience historique qui ne donne pas d’exemples pratiques d’association civile. Les théories contractualistes sont accusées d’irréalisme et de confusion entre l’Etat et la société civile. Par là, la notion de contrat reviendrait à appliquer un acte de droit privé à un domaine qui n’est pas le sien.

- Autre point épineux de la doctrine de Rousseau : le problème de l’égalité. Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau a établi qu’il n’existe aucune inégalité naturelle légitime et que l’inégalité n’est que le résultat d’un premier état social, non contractuel. Pour que le contrat fonctionne, il faut que les inégalités de fortune, de position hiérarchqiue soient, sinon abolies, du moins sévèrement limitées. Or, loin d’être un précurseur des théories socialistes, Rousseau conçoit l’organisation économique sur le modèle de l’initiative individuelle et de la propriété privée des moyens de production. La république rousseauiste est une république des producteurs libres. Dans une telle république, la vertu civique doit être plus forte que les appétits égoïstes et les besoins doivent être limités. Une telle position est-elle possible pratiquement ?

- Mais le reproche majeur fait à Rousseau est que le contrat social n’est qu’une construction logique abstraite sans rapport avec la vie réelle des peuples. Le contrat social suppose à son origine la participation effective de tous les citoyens. Le modèle de Rousseau est celui d’une démocratie directe dans laquelle le peuple lui-même, et non ses représentants, exerce le pouvoir (souvenir de la démocratie athénienne). Le contrat rousseauiste ne pourrait valoir pour les grandes nations modernes et pour les unions de nations.

- Mais Rousseau lui-même laisse ouvertes d’autres possibilités. Il y a, en effet, d’un côté la loi fondamentale – la constitution – qui définit les termes du contrat, laquelle doit être le produit de la réunion de toutes les volontés. Il y a aussi, d’un autre côté, les lois courantes, dont la décision peut être laissée aux représentants élus du peuple, qui agissent, entre deux élections, comme ses mandataires. Il est donc possible, à partir de la matrice rousseauiste, de construire une théorie de la démocratie parlementaire représentative. Le problème de la démocratie directe est déplacé vers le problème des modalités pratiques d’exercice de la démocratie directe (référendum, par exemple) et de contrôle des représentants par le peuple.

- Autour de la Révolution française apparaît l’idée selon laquelle la société civile aurait une consistance propre, une existence indépendante de son institution par une quelconque volonté. Critique libérale de Rousseau, telle qu’elle se manifeste chez Constant notamment. Pensée libérale de l’autonomie du social qui rend possible la distinction des droits-libertés (antiétatiques) et des droits-créances (impliquant l’intervention de l’Etat), comme nous le verrons dans la dernière partie du cours sur les droits de l’homme.

- L’opposition Constant-Rousseau se cristallise autour de quelques grands thèmes :

·       L’idée de volonté générale, c’est-à-dire d’une maîtrise de la société par l’homme (notion de souveraineté du peuple) crée les conditions de possibilité d’une dictature nouvelle : la volonté du peuple étant le seul et unique principe de légitimité, il suffit qu’elle soit détournée à leur profit par une assemblée ou un homme pour qu’ils se voient investis d’un pouvoir illimité.

·       La réalité des sociétés modernes possède une consistance propre, elles n’existent pas grâce au pouvoir politique, mais c’est ce pouvoir politique qui existe par elles : ce n’est pas grâce aux lois que les individus entrent e relation entre eux, mais ce sont les lois qui sont l’expression de relations qui leur préexistent. D’où la séparation entre la société et l’Etat.

- Dès lors, sur fond d’une adhésion commune aux présupposés subjectivistes du droit naturel moderne, trois modèles de théorie politique se mettent en place au XIXe siècle autour du couple central société-Etat, trois types de discours qui rebondissent sur le problème des droits de l’homme :

1.     la réduction de la société à l’Etat (projet d’un socialisme étatique, que certains qualifient de totalitaire, au sein duquel l’Etat est l’instance qui organise, contrôle et absorbe la société);

2.     la réduction de l’Etat à la société (projet anarchiste d’une suppression totale de l’Etat au profit d’une société harmonieuse);

3.     la coïncidence entre la société et l’Etat est impossible (projet libéral).

- Ces trois modèles politiques sous-tendent trois types de discours sur les différents types de droits de l’homme, comme nous allons le voir dans la partie suivante :

1.     un discours libéral (les droits de l’homme sont réduits aux seuls droits-libertés et constituent les fondements d’une limitation de l’Etat);

2.     un discours socialiste d’inspiration marxiste qui fait des droits-créances, et de l’intervention étatique, un préalable à la réalisation des droits-libertés (qui sont considérés comme secondaires);

3.     un discours anarchiste qui dénonce ces deux types de droits en tant qu’ils supposent en quelque façon l’Etat.

D) LES DROITS DE L’HOMME

1)     DEFINITION ET FONDEMENT

- Les droits de l’homme sont les droits de l’individu dans son rapport à la société et à l’Etat. Parler de droits de l’homme suppose :

1.     que le concept d’homme ait un sens; qu’il y ait donc un homme générique, comme le christianisme l’a rendu possible (concept d’universalité); pour comprendre la genèse de l’idée de genre humain, voir le cours « nature-culture « (site internet ou cours des TL) ;

2.     que l’homme soit l’individu, c’est-à-dire qu’il soit pensable hors de la société (état de nature) comme préalable et condition de la société. L’individu n’est pas un produit de la société au sens où il n’existerait que par elle ; c’est plutôt elle qui est la résultante de l’association des individus. La conscience de soi individuelle est première et l’autonomie qui en découle doit être sauvegardée dans la forme sociale qui est seconde ;

3.     que les individus soient égaux ; comme l’a bien repéré Rousseau, la nature ne produit que des différences mais pas d’inégalités. Les inégalités sont sociales, c’est-à-dire postérieures à l’association. L’égalité en droits relève de la nature même de l’institution de la société ;

4.     que la souveraineté soit l’émanation de l’association et qu’elle découle de la volonté générale et non de la volonté de tous. La démocratie ne doit pas être confondue avec n’importe quelle sorte de dictature plébéienne : elle repose avant tout sur un Etat de droit qui respecte tous les individus et pas seulement la majorité ;

5.     que la plus grande liberté possible comprise comme coexistence des libertés des individus soit le but de l’Etat de droit. La limite de cette liberté est d’une part la liberté d’autrui, d’autre part l’utilité publique (paiement de l’impôt, expropriation), mais cette utilité doit toujours être compensée et justifiée par l’intérêt général d’après une loi. La limite absolue (jamais prise en compte comme droit individuel) est la sécurité extérieure et donc la mobilisation en cas de guerre.

- Les droits de l’homme sont des droits naturels qui n’existent qu’en société. Ils sont antérieurs en droit à la société mais irréalisables en fait hors d’un Etat de droit. Les droits de l’homme n’existent que comme droits du citoyens. Comme Hobbes l’a théorisé, le droit n’existe pas à l’état de nature. L’état de nature est une fiction théorique qui permet de penser la société comme contrat passé entre individus qui veulent vivre en commun sans pour autant perdre leur statut de contractants donc d’hommes libres. Les droits sont dits “naturels” parce qu’ils sont fondamentaux, c’est-à-dire qu’ils servent de fondements légitimes aux sociétés. Ils permettent de résoudre le problème de légitimité de tout régime politique commençant.

- Fondés sur une conception universaliste et égalitaire de l’homme, les droits de l’homme fournissent, dans les Etats où ils servent de référence, un critère pour juger de ce qui, dans un programme politique, un projet de loi, dans l’organisation même de la communauté, n’est pas conforme à ses principes fondateurs. Ils définissent donc des règles générales et des principes de justice pour l’organisation pratique des pouvoirs publics. Les droits de l’homme font en outre partie du droit positif, ils ont une valeur constitutionnelle et constituent une référence ultime qui permet d’apprécier la constitutionnalité des lois : la constitution française, par exemple, commence par une déclaration des droits que garantit la nation. Mais qu’est-ce qui fonde ces droits et leur assure une solidité, une fiabilité universelle ? Autrement dit, les droits de l’homme constituent-ils une évidence ou un problème ?

- La doctrine des droits de l’homme est issue du droit naturel moderne. Nous avons vu que l’Ecole moderne du droit naturel est fondée sur des théories individualistes et contractualistes : l’Etat est fondé sur un contrat social; sa finalité est d’assurer à chacun la sécurité et les moyens de rechercher son propre bonheur. Cette théorie est à la base de la conception des droits de l’homme, conçus comme un moyen de protéger les individus contre les empiétements de l’Etat. Elle est une théorie des libertés à l’égard de l’Etat.

- Les droits de l’homme apparaissent comme une unité, découlant d’une idée de l’homme, et comme une pluralité, une liste de droits, dont l’Etat doit assurer la réalité. L’article 1 de la Déclaration française de 1789 fait de la liberté l’essence de l’homme, liberté qui est un titre à avoir des droits : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits «. L’article 2 précise que la fonction de toute « association politique « est la « conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression «. C’est parce que ces droits appartiennent à la nature de l’homme qu’ils sont “imprescriptibles” (qui n’est pas susceptible de prescription, la prescription étant le délai au terme duquel on ne peut plus poursuivre l’exécution d’une obligation ou la répression d’une infraction) et “inaliénables” (Préambule). Ils s’imposent à toute autorité politique quelle qu’elle soit.

- Selon Rousseau et Kant, ces droits sont fondés sur la liberté et la raisonnabilité de l’homme : la liberté est l’unique droit inné que possède l’individu, elle est la condition d’acquisition de tous les autres droits : il n’y a de droits (propriété, libre communication, etc.) que pour un être libre; l’homme se définit comme un être raisonnable, perfectible, de sorte que le droit naturel repose sur la conscience qu’a l’individu de sa propre nature d’être raisonnable.

- Pour Kant, cette conscience est une conscience morale : conscience d’un devoir, celui de respecter en autrui comme en soi-même la liberté et la dignité de l’être raisonnable; l’individu se reconnaît un devoir de soumettre ses intérêts purement égoïstes à la loi de la raison en lui; et cette loi lui enjoint de ne rien vouloir qui ne soit admissible et acceptable par tous. A l’égard d’autrui, ce devoir est un devoir de respect absolu de la personne humaine (toujours considérer autrui comme une fin en soi). Les droits de l’homme sont fondés, en nature, dans le sentiment qu’a l’individu de sa propre dignité. Ils reposent également sur le principe d’égalité, dans la mesure où ils sont fondés sur la relation de personne à personne : autrui a des droits parce qu’ils est mon égal en tant que personne, et ses droits sont les miens parce que je suis son égal.

- Les droits de l’homme sont ainsi définis de manière différente, suivant l’extension qu’on donnera à ce principe d’égalité : les droits civils et politiques, appelés également droits-libertés, exigent, en effet, que tous les citoyens jouissent des mêmes libertés; les droits sociaux, ou droits-créances, exigent la réduction de l’inégalité des situations.

2)     DROITS CIVILS, POLITIQUES ET SOCIAUX

- La première déclaration des droits de l’homme de 1789 consiste essentiellement en « droits à faire quelque chose « : liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, liberté d’opinion, liberté de pratiquer la religion de son choix, etc. Il s’agit de droits civils et politiques, ou droits-libertés, définissant pour l’individu des possibilités intellectuelles (liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de culte…) ou physiques (liberté du travail, liberté du commerce, liberté de réunion…).

- La révolution de 1848 inaugure une ère nouvelle en posant, pour la première fois, la question des droits sociaux ou droits-créances: volonté d’apporter un complément  aux principes de 1789 rendu nécessaire par la révolution industrielle et l’apparition du problème de la condition ouvrière. Double influence du marxisme et du catholicisme social. L’Etat va se proclamer responsable sinon du bonheur, du moins du mieux-être de tous les citoyens, envers qui il se reconnaît des devoirs.

- Ces droits sociaux vont être inscrits dans les Constitutions, notamment après 1945 : déclaration soviétique des “droits du peuple travailleur et exploité” (1918) ; mention, dans la Constitution de l’URSS stalinienne (1936), des “droits économiques et sociaux” (droits au travail, au repos, à l’instruction, etc.); en France, c’est dans le Préambule de la Constitution de 1946 que les droits-libertés sont complétés par la proclamation des droits sociaux (“droit d’obtenir un emploi”, “droit de défendre son emploi par l’action syndicale”, droit de grève, etc.); Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies (droits-libertés des art. 3 à 21, droits économiques et sociaux des art.22 à 27 : droits à la sécurité sociale; au travail, droit au repos, droit à un niveau de vie suffisant, etc.).

- Ces droits sociaux signifient que chacun peut exiger de l’Etat qu’il lui donne l’instruction, un travail, la possibilité d’avoir des soins de qualité, etc. On peut penser le lien entre les droits-libertés, ou droits formels, et les droits-créances comme le passage de la reconnaissance formelle de la liberté à la liberté effective dans l’Etat. Mais ces droits peuvent aussi entrer en contradiction et déboucher sur deux conceptions opposées de l’Etat.

- En effet, l’apparition, à côté des droits-libertés, des droits-créances, a introduit d’importantes modifications dans la conception des rapports entre société et Etat. Les droits civils et politiques participent d’une théorie des limites de l’Etat, conçu comme devant se borner à garantir aux citoyens le maximum de possibilités d’action compatibles avec l’existence d’une société; les drois civils sont des libertés que l’Etat garantit à tout homme, qu’il soit citoyen ou non : égalité devant la loi, sécurité, protection contre l’arbitraire du pouvoir, propriété, liberté de conscience et d’opinion; les droits politiques confèrent un pouvoir à l’individu considéré comme citoyen : participation à l’éléboration de la loi, droit de consentir à l’impôt. Ces droits permettent de défendre la liberté individuelle à l’égard de l’Etat.

- Cette conception s’articule sur la représentation d’un Etat minimum se bornant à protéger l’autonomie des citoyens. Les droits sociaux impliquent au contraire que l’on attende de l’Etat la capacité de fournir des services, d’intervenir dans la sphère sociale, notamment pour assurer une meilleure répartition des richesses et corriger les inégalités Þ Etat-Providence capable de contribuer, par des prestations positives, à la naissance de cette “sécurité matérielle” garantie à chacun.

- De là un clivage entre la tradition libérale et la tradition socialiste : la perspective libérale souligne le danger de toute politique qui se préoccupe de faire le bonheur des hommes; refus des droits-créances, idée que l’affirmation des droits sociaux est un premier pas en direction d’un Etat tentaculaire, sinon totalitaire. La perspective socialiste qui insiste sur les droits sociaux, et n’attache qu’une importance relative aux droits-libertés considérés comme des droits purement formels; valeurs de la justice sociale privilégiées.

- Pourtant, il n’y a pas d’opposition entre les droits civils et politiques, et les droits sociaux, et ce pour trois raisons (nous reprendrons ici l’analyse de P. Canivez, in Eduquer le citoyen ?) :

1.     Fondement moral des droits de l’homme : reconnaître à autrui la qualité de sujet, c’est lui reconnaître ipso facto le droit à l’éducation ; l’un des droits fondamentaux de tout homme, avec la liberté, est d’avoir les moyens intellectuels de la liberté. Or, l’éducation, si l’on veut qu’elle soit efficace, suppose les droits sociaux, c’est-à-dire un minimum d’aisance matérielle.

2.     Le problème n’est peut-être pas de défendre l’individu contre l’Etat, dans la perspective libérale, condamnant ainsi les droits sociaux, mais de défendre l’Etat de droit qui doit intervenir pour garantir l’éducation et l’instruction de tous. L’intervention de l’Etat dans la vie sociale fait partie des garanties du respect des droits de l’homme. Dès lors, le respect des droits de l’homme se confond avec la revendication de l’Etat de droit. Les droits de l’homme sont à la fois une idée morale et une conception politique : ils définissent une certaine conception de l’Etat, fondée sur le respect inconditionnel de la personne ; il s’agit de pousser l’Etat à s’organiser en vue d’un respect toujours plus grand de l’égalité des individus en tant que sujets;

3.     Passé un certain degré de développement, un Etat qui veut rester puissant ne peut pas se permettre de nier les droits de l’homme : ces derniers sont la condition fondamentale de la participation active des citoyens à l‘effort collectif; intégrer les individus dans la société, en liant les droits sociaux à un travail qui, pour être performant, doit être perçu comme un intérêt. Ici le respect des droits de l’homme  répond à une nécessité sociale et à un calcul politique (rappelons que ce point a été développé par Kant à propos de la possibilité de la paix mondiale, in Idée d’une histoire universelle…).

3)     CRITIQUES ET DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME

3.1 – Critiques des droits de l’homme

- Loin d’être une évidence, les droits de l’homme ont été et sont toujours contestés. Venues d’horizons divers, on peut grouper ces critiques en trois catégories :

1.     Critiques traditionalistes et naturalistes 

- Les doctrines racistes ou fascistes notamment. La déclaration des droits de l’homme est un artifice humain qui contredit les hiérarchies naturelles et sape le principe d‘autorité nécessaire à la cohésion sociale.

2.     Critiques du formalisme des droits de l’homme

- Des courants très divers constituent ce courant critique qui reproche aux droits de l’homme leur abstraction. L’homme est toujours le produit d’une histoire, et cette histoire n’est pas universalisable. D’une part, l’homme en général n’existe pas : il n’existe que des peuples qui ont des traditions et des histoires spécifiques ; d’autre part, le droit ne peut être que positif, c’est-à-dire relever d’une certaine dynamique nationale, d’un certain esprit qui n’est jamais transposable. Enfin, chaque pays est à un moment de son histoire, et ne peut prétendre faire table rase du passé et tout reconstruire brutalement. L’idée de droits anhistoriques d’un homme général et donc abstrait serait une pure fiction intellectuelle déconnectée de la réalité. Fiction dangereuse puisqu’elle n’envisage pas les devoirs que chacun a envers la communauté à laquelle il appartient.

- C’est notamment la critique qu’adressent Marx et les anarchistes aux droits de l’homme. Les droits de l’homme sont purement formels et sont vides de tout contenu effectif. Ils sont un des éléments de l’idéologie dominante et tendent à entretenir la fiction de l’universel que prétend incarner l’Etat bourgeois.

- Ces droits redéfinissent l’homme comme “homme égoïste” et “séparé de la communauté” ; l’homme devient une “monade isolée, repliée sur elle-même”. La liberté est à comprendre comme indépendance, c’est-à-dire séparation, repliement sur la propriété dont la sûreté est également assimilée à un droit. Les droits de l’homme sont en fait ceux du propriétaire. Cette nouvelle conception de l’homme correspond à la spécificité du mode de production capitaliste en tant qu’il se différencie du mode précédent. Les droits de l’homme ne sont pas transcendants à l’histoire mais en sont un produit ponctuel appelés à être dépassé.

- En conséquence,  ces droits ont beau prétendre valoir pour tous, ils ne valent que pour ceux qui possèdent quelque chose. Quel sens peut bien avoir le droit à la sûreté et à la propriété quand on ne possède rien et que l’égalité n’est que formelle ?

- La distinction de la société et de l’Etat, de l’homme et du citoyen, sur laquelle reposerait l’idéologie des droits de l’homme est contestée. Marx condamne, dans la société bourgeoise, l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat qui s’exprime notamment par la séparation des droits de l’homme et des droits du citoyen. La distinction de l’homme et du citoyen n’a lieu en réalité que pour garantir plus sûrement le libre jeu des intérêts privés qui continuent de régir les relations entre les hommes. La société bourgeoise reste, malgré la générosité de ses intentions affichées, une société égoïste, orientée vers le profit privé et fondée sur des rapports de force qui tendent à isoler les individus les uns des autres. Il s’agit pour Marx de soumettre la société civile au principe de l’intérêt commun dont l’Etat prétend se faire l’instrument, de réintégrer le civil dans le politique, la société dans l’Etat, permettant ainsi la disparition de l’Etat comme sphère distincte de la société.

- La position libérale entend, au contraire, protéger la distinction entre société et Etat, ce pour quoi la référence aux droits de l’homme doit être mobilisée. En effet, la valorisation de la division entre société et Etat implique la présence insistante, dans la tradition libérale, d’un discours sur les droits de l’homme, ces derniers étant considérés comme des limites capables de prévenir les risques d’une confusion totalitaire entre le civil et le politique. Mais référence aux seuls et authentiques droits de l’homme qui sont les droits-libertés. Refus de l’idée de justice sociale considérée comme inégalitaire.

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