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Grand cours: LE DROIT (8 de 16)

Publié le 22/02/2012

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3.     Critique relativiste

- Cette critique relativiste, la plus redoutable et inexpugnable, est dirigée contre l’universalité des droits de l’homme.  Ces droits renvoient à une certaine conception de l’homme qui est née en occident et qui ne vaudrait que pour ceux qui appartiennent à cette culture.

- Le relativisme est une doctrine très séduisante et fort utile, qui fonde le principe de la tolérance et du respect des autres, comme l’a si bien montré Montaigne dans Les Essais.

- Le relativisme semble d’abord avoir de son côté les sciences humaines (l’ethnologie et la sociologie notamment) qui nous apprennent que les cultures sont diverses et spécifiques : la culture est considérée comme l’ensemble des pratiques, des croyances, des institutions qui font l’unité d’un peuple ou d’un groupe social.  Idée d’une relativité des cultures : elles sont toutes spécifiques, aucun critère ne permet de décider si l’une est supérieure à l’autre; les droits de l’homme sont l’expression d’une culture occidentale; il est donc illégitime d’en tirer argument pour condamner certaines pratiques qui ont un sens dans d’autres cultures. Ainsi la soumission de la femme dans certains pays, la pratique des mutilations sexuelles ne pourrait - elles être condamnées au nom des droits de l’homme puisque ce serait une sorte de « racisme culturel « que de dénoncer une culture différente qui possède ses valeurs propres. Le refus de l’ethnocentrisme empêche de juger; la compréhension de l’univers culturel impose d’accepter. Définition de la tolérance comme acceptation inconditionnelle des différences.

- La position relativiste est implicitement celle du positivisme juridique : la réduction du droit au fait, le refus d’une norme du droit – le droit naturel – s’appuient généralement sur le constat de la variabilité des systèmes de droit, suivant les Etats, les traditions nationales, les religions, etc. Vouloir ramener cette diversité à des principes communs, c’est se comporter de manière purement extérieure et manquer la compréhension de chaque système de droit positif.

- La question que pose la critique relativiste est de taille : l’idée de liberté et d’égalité entre individus est-elle universalisable ? Au nom de l’égalité entre les cultures, peut-on accepter ailleurs l’inacceptable chez soi (l’excision des filles, la soumission des femmes, le travail des enfants, l’esclavage, etc.) ? L’attitude morale contraint-elle à respecter les différences entre les cultures ou à dénoncer des violences qui restent immorales quand bien même elles seraient le produit d’une autre culture ? La compréhension de la culture de l’autre conduit-elle à l’acceptation de tout ou y a-t-il des valeurs transcendantes aux cultures et à leur relativisme ?

3.2 - Les limites de ces critiques. Défense des droits de l’homme

- Nous limiterons cette partie à la mise en évidence des dangers et paradoxes du relativisme qui semble être la position critique la plus difficile à infirmer.

- Le relativisme peut conduire à une position d’acceptation de l’ordre existant. Il peut même devenir, au nom de l’exotisme, un auxiliaire du sous-développement. Si l’on ne peut pas juger le droit, au nom de quoi va-t-on refuser des lois manifestement inacceptables ?

- Certes, la relativité des cultures est un fait. La compréhension d’une culture est un principe de non-violence et de tolérance. Mais la tolérance et l’acceptation des différences ne sont pas les seules valeurs morales. La liberté, le respect de la dignité humaine sont sans doute des valeurs bien plus fondamentales. Comprendre, connaître ne signifient pas accepter ; la connaissance ne saurait se substituer  au jugement, la science ne remplace pas la morale (comprendre les causes, les circonstances d’un crime n’implique pas de l’accepter, comme le montre le fonctionnement d’un procès judiciaire). Or, le relativisme aboutit justement à cette idée que le nazisme, l’intégrisme religieux sont compréhensibles et donc acceptables.

- Cette question du relativisme nous invite à réfléchir sur la signification de la tolérance puisque, sur le plan moral, c’est au nom de la tolérance que le relativisme prétend se justifier. Or, être tolérant, est-ce tout tolérer ? En réalité, même pour un esprit tolérant – et surtout pour lui ! – il y a de l’intolérable, de sorte que la tolérance sans limite paraît synonyme d’indifférence ou d’acceptation passive de tout. Donnons un exemple.

- Sur le plan politique, une mentalité tolérante, c’est-à-dire démocratique, ne risque-t-elle pas de se condamner à disparaître si elle admet comme tolérables les opinions et les actes qui cherchent à la contester ou à la détruire (faut-il accorder la liberté aux ennemis de la liberté ?) ? L’intolérance ne peut que se fortifier si elle ne rencontre pas d’obstacles (voir, en France, le débat sur les responsabilités quant à l’émergence politique et électorale des organisations d’extrême-droite). Etre tolérant ici, c’est ne reconnaître comme admissibles que les formes « faibles « de l’intolérance, capables de s’insérer dans un débat, et compatibles avec la démocratie et le respect de la personne humaine.

- Si l’on définit la tolérance comme le principe fondé sur l’égale liberté et dignité des convictions qui exige de ne pas contraindre une opinion lorsqu’elle est contraire à la sienne, la tolérance suppose la réciprocité. Lorsque celle-ci n’est pas établie, l’intolérable apparaît (camps d’extermination, génocides, tortures, etc.). La tolérance n’est pas synonyme d’un relativisme absolu des valeurs qui n’aboutit qu’à la disparition de toute exigence éthique. Si les comportements s’enracinent bel et bien dans des cultures différentes, cela ne signifie pas que tout doit être justifié. Doivent demeurer intolérables les pratiques qui mettent en cause l’intégrité de la personne humaine. La tolérance se veut du côté de la raison et de l’universalité.

- Il ne suffit donc pas de prendre en compte la relativité des cultures, il faut reconnaître également l’universalité de certains principes éthiques dont la validité n’est pas limitée au domaine d’une culture donnée. Ces principes, ces normes sont posés comme transcendants, dès lors qu’ils sont définis, non comme un fait, mais comme un idéal dont il faut sans cesse se rapprocher. De même, les sciences humaines ne peuvent rien démontrer contre une exigence de liberté puisqu’elles reposent elles-mêmes sur la certitude - ni démontrée ni démontrable - que la liberté et l’universalité sont possibles. Les sciences humaines ne peuvent nier la certitude de la liberté et le devoir de la préserver qu’en niant leur propre fondement.

- Il est dès lors possible de concilier la science et le droit : la compréhension scientifique n’implique pas l’approbation inconditionnelle. La relativité des cultures et les droits de l’homme ne se situent pas sur le même plan. Notre façon de vivre comporte, en effet, un certain arbitraire, de sorte qu’on peut la comparer avec d’autres modes d’existence. Mais les principes de jugement fondés sur le respect de la personne nous servent pour juger de notre propre façon de vivre. Le principe moral qui sert de critère fonde un jugement critique. Il ne définit pas un mode d’existence parmi d’autres. Il ne nous dit même pas quel mode d’existence il faut adopter (cela dépend de l’inventivité, des goûts propres à l’individu…).

- Ce principe critique définit ce qui, dans notre façon de vivre aussi bien que dans n’importe quelle autre, est inacceptable. Les droits de l’homme ne promettent rien : principes d’évaluation critique, ils permettent de déterminer ce qui n’est pas acceptable; ils ne fournissent aucun programme d’action; ils déterminent les critères qui permettent de juger. Ils reposent sur un critère comparable à celui de la loi qui prévoit, par exemple, des sanctions pour « non assistance à personne en danger « (Code pénal, art. 63). L’obligation d’assistance ne contient pas la promesse que tous les accidents seront sauvés. Mais on peut être condamné pour n’avoir rien tenté.

- Enfin, on peut remarquer qu’un accord, au moins formel, est possible sur la définition d’une éthique universelle, malgré la diversité des civilisations et la relativité des cultures. La Déclaration universelle de 1948, par exemple, a été adoptée à une quasi-unanimité (aucun Etat n’a voté contre, et huit seulement, contre quarante-huit, se sont abstenus), même si, bien évidemment, il y a une distance entre l’affirmation des principes et la réalité des pratiques. Les droits de l’homme, en somme, ne sont pas une culture; ils définissent les principes formels qui permettent de juger des cultures, à commencer par la nôtre.

Conclusion :

- Le droit désigne donc non seulement l’ensemble des lois existantes qui se forgent dans le temps et dans l’espace au gré des rapports de forces, mais aussi un principe évaluatif qui définit le légal et le légitime. L’idéal  étant que le légal et le légitime coïncident, sans pour autant que le légitime perde sa fonction évaluatrice et critique. Qu’il ait son fondement dans quelque ordre transcendant (Dieu) ou immanent (nature) ou dans la volonté consciente et raisonnable des hommes (les doctrines du contrat social), le droit a pour fonction de faire régner la justice et l’ordre dans la cité, en garantissant la coexistence des libertés. Si le droit et la justice ne s’épuisent pas dans le droit positif, on peut lire dans les droits de l’homme une incarnation authentique de l’exigence d’universalité et de distanciation critique par rapport à la sphère du fait. En ce sens, la justice est bel et bien la vertu et la norme du droit. La question du fondement du droit débouche alors sur celle de la nature de la justice. 

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