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Grand cours: LE DROIT (14 de 16)

Publié le 22/02/2012

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3)     Les fonctions de la peine

- La peine est censée remplir une double fonction sociale et individuelle :

3.1 - Fonctions sociales

- La neutralisation du sujet, sa mise hors de capacité de réitérer l’acte déviant. La peine a un rôle tranquillisant pour le corps social, elle est une « thérapeutique de l'exclusion « (F.J. Pansier, op.cit., p.38). La sanction éliminatrice est invoquée au nom de l’intérêt social d’éviter pour l’avenir délits et crimes.

- L’intimidation abstraite. Idée que la peine aurait un effet dissuasif sur les autres membres du corps social et en particulier sur les délinquants potentiels. Valeur d’exemple de la peine mise en évidence par Protagoras et par Sénèque : « Nemo prudens punit quia peccatur est, sed ne peccetur « (le sage ne punit pas parce qu’une faute fut commise, mais pour qu’il ne soit plus commis de faute). Il s’agit de faire un exemple, de décourager les imitateurs éventuels des crimes commis en leur montrant à quoi ils s’exposent (exemple de la peine de mort : dans certains pays, après l’exécution, on laissait le cadavre publiquement exposer plusieurs jours, afin de faire réfléchir et d’intimider). La peur du châtiment est censée constituer un mobile puissant capable de détourner du mal

- Le rétablissement de l’équilibre social : l’infraction commise a créé un trouble à l’ordre public ; la peine a pour fonction de rétablir l’équilibre rompu par l’infraction et tend à neutraliser toute tentation de réaction primaire de vengeance. Thèse défendue notamment par Hobbes : le droit de punir est consenti aux dirigeants afin de permettre de respecter l’engagement de sûreté publique et de paix sociale.

3.2 - Fonctions individuelles

- L’intimidation concrète : la peine, par la souffrance vécue qu’elle inflige, dissuade le condamné de commettre un  nouveau délit. Définition de la peine à mettre en relation avec la notion d’expiation conçue par les penseurs chrétiens. Assimilation entre le délit pénal et la faute religieuse.

- La rééducation qui peut passer par l’amendement moral (l’individu coupable doit expier le mal qu’il a commis par un autre mal de même ordre, ce qui suppose l’aveu de l’infraction et son repentir). La sanction rééducatrice, la plus satisfaisante sans doute, est celle qui est généralement adoptée de nos jours. Platon déjà remarquait que le coupable lui-même devrait réclamer le juge comme le malade réclame le médecin. Vertu expiatoire de la sanction : « Quelque injustice, petite ou grande, que quelqu’un ait commise, la loi l'amènera, par enseignement et par contrainte, soit à ne plus jamais la commettre à l’avenir, soit à la commettre beaucoup moins souvent « (Platon, Les lois, IX, 862 d). Vertu thérapeutique selon certains, notamment si le coupable est un malade.

- L’idéal reste la prévention : prévenir les délits et les crimes pour n’avoir pas à les punir. Nécessité d’une lutte acharnée contre les fléaux sociaux (chômage, misère, inégalités, etc.) qui engendrent les frustrations criminogènes. Le progrès social qui permet de réduire au minimum les sanctions pénales. Mais aussi la réalisation d’une véritable citoyenneté qui réduit la distance entre l’individu, la société et l’institution. Nécessité de la démocratie qui seule crée les conditions d’un véritable épanouissement personnel et collectif.

4)     Le problème de la peine de mort

- La question, encore controversée et souvent passionnelle, de la peine de mort, éclaire cette question du droit de punir et pose de nombreux problèmes – juridiques, politiques, moraux.  L’Etat a-t-il le droit de tuer au nom du droit ? Peut-on « venger « le crime illégal par le meurtre légal ? Le droit à la vie peut-il être transgressé au nom de la justice elle-même ? En clair, l’Etat, la société peuvent-ils exiger des individus le sacrifice de leur vie, soit parce qu’ils ont rompu le pacte social en violant la loi, soit parce que la raison d’Etat ou la sûreté nationale l’exigent ?

- Derrière ces questions se profile une conception implicite de la justice et de ses fonctions, comme nous l’avons montré précédemment : si la peine capitale participe d’une conception éliminatrice de la justice, la justice n’a-t-elle pas comme rôle essentiel de donner une nouvelle chance réparatrice à ceux qui ont violé ses lois ? Les partisans de la peine de mort partagent une définition « dure « de la justice qui doit avant tout protéger le corps social et éliminer les déviants, tandis que les opposants insistent davantage sur la mission éducatrice, voire protectrice (des coupables), de la sanction pénale qui doit être à la mesure de l’imperfection humaine.

- Le problème de la peine de mort renvoie donc à trois questions essentielles : la question de principe relative au droit de l’Etat face à la vie ; le problème de la responsabilité et de la liberté du criminel (sa responsabilité est-elle totale, absolue, indéniable ? est-on toujours certain, lorsqu’on exécute le criminel, de sa culpabilité ?); la question de la fonction de la peine. La question de la responsabilité et de la liberté étant d’une grande complexité dont l’examen nous obligerait à surcharger ce cours et à sortir du sujet, nous limiterons notre modeste réflexion sur la peine capitale aux deux premières questions.

4.1- La justification de la peine capitale

- Les plus grands philosophes ont justifié la possibilité, voire la nécessité, pour l’Etat de droit d’utiliser, comme châtiment suprême et irréversible, la peine de mort.

- Kant, par exemple, se pose la question suivante : « quel mode et quel degré de châtiment la justice publique doit-elle prendre pour mesure ? «. Le philosophe répond que c’est l’égalité et que « seule la loi du talion, mais bien entendu à la barre d'un tribunal (non pas par un jugement privé de ta part), peut fournir avec précision la qualité et la quantité de la peine… «. Cette idée repose sur le principe d’universalisation qui est au fondement du devoir moral authentique (impératif catégorique) selon Kant : la loi du talion affirme que « si tu voles, tu te voles toi-même «, car celui qui vole rend incertaine la propriété de tous les autres et « se ravit donc à lui-même la sécurité que requiert toute propriété possible «.

- Kant applique ce principe au meurtre. Le seul châtiment possible est d’infliger la mort au coupable, « pourvu qu’elle soit exempte de tout mauvais traitements qui pourraient faire de l'humanité un objet d’horreur en la personne du condamné «. En infligeant la peine de mort au coupable, on le reconnaît en même temps comme sujet libre digne des égards du droit.

- Hegel prolonge le raisonnement de Kant en affirmant que la peine de mort est le droit du criminel, qu’elle est paradoxalement un acte de sa propre volonté. Le criminel proclame la violation de la loi comme son droit à lui. Son crime est la négation du droit et la peine est ainsi la négation de cette négation, et, par conséquent, une confirmation du droit que le criminel sollicite et qu’il s’impose à lui-même.

- Considérant que le malfaiteur a violé l’universalité de la loi et de la raison, il est normal que la raison lui fasse sentir le poids de son impératif par l’intransigeance de la sanction. C’est notamment la position de Rousseau dans Le contrat social :

          « Tout malfaiteur, attaquant le droit social, devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il  cesse d'en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l’Etat est incompatible avec la sienne, il faut qu’un des deux périsse, et quand on fait mourir le coupable, c’est moins comme citoyen que comme ennemi. « (livre II, chap. V)

- Rousseau discute la question de savoir si l’Etat a ou non le droit d’infliger la peine de mort à un citoyen, si la peine de mort peut être légitime. Il discute une objection, d’origine manifestement religieuse, selon laquelle la vie étant un don de Dieu, quelque chose dont un particulier ne peut pas disposer, il est impossible de signer un contrat qui transmettrait au souverain un droit que les hommes n'ont pas. La peine de mort est ainsi justifiée par Rousseau au nom de la conservation du corps social et de la garantie de la vie des citoyens, même si la peine de mort doit rester exceptionnelle : « il n’y a point de méchant qu’on ne pût rendre bon à quelque chose. On n’a droit de faire mourir, même pour l'exemple, que celui qu’on ne peut conserver sans danger. « (Rousseau, ibid.)

- De la même façon, « c'est pour n'être pas la victime d'un assassin qu'on consent à mourir si on le devient «. Se mettre hors la loi, cela signifie se retirer du contrat, et se mettre en état de guerre contre l'Etat. Nous le  savons en signant le contrat, on ne peut à la fois se mettre hors la loi et demander la protection de la loi. Rousseau donne un critère parfaitement clair sur la légitimité de la peine de mort : on ne peut pas à la fois se mettre hors la loi et réclamer la protection de la loi, sortir du contrat et réclamer son exécution.  C'est le contrat ou la violence. Si on veut les bénéfices du contrat, il faut en payer le prix. L'exemple du terrorisme est sans doute le meilleur exemple de ce cas où la conservation de l'Etat est incompatible avec celle du malfaiteur, de cet état de guerre où l'Etat n'a plus affaire à un citoyen, mais à un ennemi.

- Une fois réglée la question de la légitimité de la peine de mort, Rousseau se pose la question de son opportunité puisque la peine de mort doit rester exceptionnelle. Rousseau avance deux idées: 1/ Il n'appartient pas au peuple de se prononcer sur l'opportunité de la peine de mort concernant tel ou tel procès en cours. L'opinion publique n'a pas à être consultée sur cette question (refus des sondages). La condamnation d'un criminel, étant un acte particulier, n'appartient pas au souverain, c'est à dire au peuple. C'est l'affaire des juges, et non des citoyens. 2/ La peine de mort ne peut être que rare. Si elle se multiplie, cela veut dire que de toute façon l'Etat est perdu. On croirait que Rousseau a vu les Etats-Unis d'aujourd'hui quand il écrit : « La fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le gouvernement (...) Dans un Etat bien gouverné il y a peu de punitions, non parce qu'on fait beaucoup de grâces, mais parce qu'il y a peu de criminels : la multitude des crimes en assure l'impunité lorsque l'Etat dépérit «.

- La position de Rousseau, parfaitement cohérente avec l’ensemble de la théorie du contrat social, est ambiguë sur certains points.  

- En effet, d’un côté l'Etat est investi du droit de faire mourir le criminel en vertu du droit et, plus précisément, du droit de guerre, dans la mesure où le criminel déclare la guerre à la société.  Mais, en même temps, dans les faits, il ne faudrait pas qu'il y ait de criminels. Qui plus est, tout criminel déclare-t-il forcément la guerre à l'Etat et à la société ? Peut-on mettre sur le même plan le droit commun et le "criminel politique" (Le terroriste peut être  un "politique" et non une simple crapule) ? En clair, l'ennemi d'un Etat est-il nécessairement un malfaiteur ?

4.2 - L’opposition à la peine de mort

- Si les arguments en faveur de la peine de mort des théoriciens du contrat social sont pertinents sur un plan politique et juridique, il nous semble que le problème de la peine capitale est irréductible à la seule perspective politique et qu’il convient de prendre en considération la dimension métaphysique et morale de la quuestion. Evoquons quelques-uns des arguments des opposants à la peine de mort.

-  Idée d’abord que la justice doit être avant tout éducatrice et non exterminatrice, voire protectrice des coupables. La mort est justement la suppression de tout amendement possible. La peine de mort est l’aveu indirect de la part de la société de son incapacité à corriger. Eliminer ceux que l’on estime irrécupérables, c’est toujours un constat d’échec qui atteint l’ensemble des membres d’une société. Le châtiment irréversible que représente la peine de mort prive la victime du droit d’obtenir une réparation légale pour une condamnation injustifiée, mais aussi le système judiciaire de la possibilité de corriger ses erreurs.

- La peine de mort est attentatoire à l’un des principes essentiels des droits de l’homme, le droit à la vie et au respect de l’intégrité et de la dignité humaines. C’est ce que proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. «. La peine de mort nie la valeur de la vie humaine et, en violant le droit à la vie, ôte tout fondement à la réalisation des droits de l’homme.

- La peine de mort n’a pas d’effet dissuasif. Aucune statistique probante ne peut établir que les pays ayant aboli la peine de mort aient connu une recrudescence de criminalité. « Faire un exemple, c’est toujours renoncer à la justice et tomber dans le terrorisme « (André Dumas, op.cit.). La justice, en cédant au motif de l’exemplarité, se fait le procureur de la vindicte, de la passion de vengeance, de la peur sociale. Le seul fait d’ailleurs que dans les pays où sévit encore la peine capitale les exécutions ne soient plus publiques, montre combien l’exemplarité doute d’elle-même.

- Au-delà de ces arguments inexpugnables, la question reste posée de savoir quelle est la sanction idéale, quel régime il convient d’accorder à la prison et si l’Etat est capable de déterminer exactement qui mérite la mort et la vie.

- Le problème de la responsabilité reste également à penser. Si la peine de mort est nécessairement légale, est-elle pour autant légitime, c’est-à-dire moralement acceptable ?  La peine de mort n’est - elle pas un châtiment fondé sur l’idée d’une responsabilité absolue de l’homme et sur cette illusion du libre-arbitre que dénonce Spinoza dans L’éthique ? Peut-on établir avec certitude, de manière absolue, la responsabilité et la culpabilité d’une personne ?

- L’argument de la liberté humaine peut a contrario servir contre la peine de mort elle-même. Si, comme l’établissent Rousseau et la tradition humaniste, la méchanceté humaine renvoie à cette faculté de liberté qui nous distingue des animaux (les hommes sont trop méchants pour que cela soit naturel !), la peine capitale ne nie-t-elle pas cette caractéristique humaine de l’excès, de la folie, du mal radical, en faisant du criminel un monstre à éliminer ?  N’instaure-t-elle pas alors implicitement une distinction radicale entre le normal et le pathologique ?

- Les partisans de la peine de mort éludent finalement ces questions fondamentales relatives à la responsabilité, à la nature de la déviance criminelle et de la méchanceté humaine en général, en choisissant le chemin le plus facile (l’élimination physique du problème que constitue le criminel).

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