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Grand cours: EXISTENCE & MORT (g de g)

Publié le 22/02/2012

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LA CONFRONTATION AU NEANT

- La pensée tragique voit dans la promesse religieuse que la mort n'est pas une fin absolue le type même de l'illusion. D'où la nécessaire lucidité qui consiste à oser regarder la mort dans sa froide réalité, à renoncer au rêve de l'immortalité. L'idée étant que le bonheur réside dans la fierté de pouvoir maîtriser lucidement sa vie, dans la beauté même que confère aux moments les plus précieux de notre existence la conscience de leur précarité. Mais en quoi consiste exactement ce devoir de lucidité à l'égard de notre propre néant ? S'agit-il, pour vivre bien, d'apprendre à mourir?

1.     La mort n'est rien pour nous (texte d'Epicure, in Lettre à Ménécée, exercice de méthodologie : passer du questionnement au problème)

- Epicure et, avec lui, les épicuriens, nous invitent à porter sur le monde le regard le plus froid, le plus dépouillé de toute illusion et d'atteindre ainsi la sérénité par la contemplation de cette vérité nue.

 - Trois raisons essentielles sont, selon Epicure, à l'origine de l'insatisfaction et du malheur des hommes.

- D'abord les peurs injustifiées par lesquelles ils se laissent dominer : celle des dieux, de la prétendue fatalité qui conduirait les hommes malgré eux à leur perte, celle de la mort qui les terrorise sans raison.

- Les hommes sont aussi malheureux parce qu'ils ne savent pas régler leurs désirs : les plaisirs artificiels à la poursuite desquels  ils se laissent entraîner leur apportent plus de souffrances par la frustration qu'ils engendrent et l'agitation incessante à laquelle ils les condamnent  qu'ils ne peuvent leur donner de satisfactions.

- L'autre source du malheur humain : la conviction non fondée que le monde devrait être autre qu'il n'est, plus rationnel, plus harmonieux. Selon Epicure, seule la raison peut vaincre les peurs et les soucis qui rendent les hommes esclaves, en regardant l'univers dans la nudité de son non-sens.

- Regarder la réalité en face, c'est renoncer au rêve de l'immortalité qui alimente la peur de la mort et donc de la vie. Or, penser la mort en vérité, c'est considérer la nature même de la mort, qui est un non-être, c'est-à-dire finalement un faux problème.

- Qu'est, en effet, la mort ? Objectivement, la mort correspond à une dissociation des atomes qui composent notre âme comme notre corps. Subjectivement, la mort n'est qu'une absence : la disparition de toute expérience, de toute sensation subjective. Elle ne peut donc nous faire souffrir, de sorte que celui qui a peur de la mort est victime d'un mirage : il se voit souffrant d'être mort – continuant à vivre au moment même où il sera mort.

- Ainsi la mort et moi ne peuvent-elles jamais se rencontrer : ou bien j'existe, et je n'ai pas encore rencontré la mort; ou bien la mort est déjà là, mais alors c'est moi qui ne suis plus présent pour m'en apercevoir. La mort est un état qui ne nous concerne pas, parce qu'il ne fait pas partie de notre vie. Jusqu'à notre dernier souffle, nous sommes en vie…Ensuite, c'est nous qui avons disparu, c'est nous qui ne sommes plus rien. 

- La pensée de la mort pousse jusqu'à la limite le célèbre paradoxe de l'introspection : je ne peux me connaître moi-même parce qu'alors le sujet connaissant se confond avec l'objet à connaître. Cette coexistence du sujet et de l'objet devient, dans le cas de la mort, radicalement impossible : la mort est cet objet qui anéantit le sujet pour toujours. Comme le note Jankélévitch, " la première personne du singulier ne peut conjuguer " mourir " qu'au futur " (in La mort) : celui qui dit " je meurs " est vivant puisqu'il se voit mourir. Dès lors, parce qu'elle ne peut faire l'objet d'aucune expérience possible, la mort est l'impensable par excellence.

- C’est donc l’imagination qui nous abuse, non la mort elle-même. Si la mort est un fait qui ne dépend pas de nous, l’idée de la mort, elle, dépend de nous.  Si nous sommes convaincus que la mort est la fin de tout, nous n’aurons ni à redouter ni à espérer une autre vie. Cette vie est alors la seule qui puisse nous apporter le bonheur, pourvu qu’elle soit sereine face à la mort.

- Mais ce point de vue d'Epicure est inopérant, comme nous l'avons vu, pour la mort des autres, celle en deuxième personne : la mort de l’être cher, la possibilité, l’éventualité de cette mort, donne un aspect tragique et dérisoire aux relations d’amitié et d’amour. Dans cette mort de l’autre, j’appréhende le mystère irréductible de la subjectivité, la “ présence-absence ” de l’autre.

- On peut ainsi se demander si la sagesse épicurienne constitue un vrai remède contre l'angoisse de la mort.

2) Le pari tragique (texte de Montaigne, in Essais, livre premier, chap. XX)

- Dans ce texte, Montaigne se demande comment goûter aux joies présentes de l'existence, alors que la condition humaine s'inscrit dans la précarité et dans l'insécurité (" Le but de notre carrière, c'est la mort ", dit Montaigne dans un autre texte). Alors que la plupart des gens remédient à leur crainte en choisissant de ne jamais penser à la mort, Montaigne préconise au contraire d'y penser toujours, de l'avoir sans cesse présente à l'esprit. Une fois apprivoisée, la mort perd son caractère effrayant, pour n'apparaître que comme un long sommeil sans fin. Comme nous allons le voir, la philosophie de Montaigne nous enseigne que seuls ceux qui aiment vraiment et totalement la vie peuvent en définitive accepter jusqu'à la mort qui en est le terme naturel.

- Idées principales du texte :

6.     1à 4 : la plupart des hommes fuient la perspective de la mort en évitant d'y penser, en vivant comme s'ils ne devaient jamais mourir. Et quand la mort survient (sa propre mort, celle des proches ou des amis), elle les trouve stupéfaits et désespérés. Montaigne nous suggère, pour ne pas être pris au dépourvu, de garder sans cesse la mort à l'esprit. " grand avantage contre nous " : Montaigne parle ici de cet ennemi invincible qu'est la mort. " à la commune " : à la voie commune, celle qu'empruntent la plupart des hommes.

7.     4 à 11 : il ne s'agit pas de renoncer aux plaisirs de la vie, mais de jouir du présent tout en sachant que les heureux instants que nous sommes en train de vivre sont peut-être les derniers. " Au broncher d'un cheval " : au faux pas.  " Efforçons-nous " : faisons effort sur nous-mêmes.

8.     12 à 16 : référence à Horace ( Epître 4, livre L) : " Imagine-toi que chaque jour est le dernier qui luit pour toi; elle te sera agréable, l'heure que tu n'espérais plus ". L'instant que l'on vit est d'autant plus précieux que c'est un instant gagné sur la mort. " L'anatomie sèche " : la momie.

9.     17 à 21 : Par la " préméditation de la mort ", c'est-à-dire en se préparant par la pensée à mourir, l'homme apprend à ne plus avoir peur de la mort. Et c'est précisément la crainte de la mort qui trouble notre esprit et qui nous fait perdre notre liberté.

Commentaire (Marcel Conche, in Montaigne et la philosophie)

- Selon Montaigne, la pensée de la mort constitue l'homme en son être même : " vivre dans la pensée permanente de la mort, c'est vivre selon la vérité de l'homme " (Conche, op.cit., p.64). C'est l'oubli de la mort qui fait que nous vivons mal, inquiets, malheureux car nous nous attachons à des biens, à des honneurs vains. Lire Marcel Conche, op.cit., haut de la page 67. En somme, Montaigne voit dans " la pensée de la mort, c'est-à-dire de la séparation, le moyen de dissocier sa vie de toutes les choses inessentielles, de la fonder sur l'essentiel " (ibid., p.67). Il s'agit précisément de vivre dans la " non-dépendance à l'égard de ce qui ne dépend pas de nous, c'est-à-dire dans le détachement (l'abstraction, la séparation) à l'égard de toutes les choses finies, qui, comme finies (périssables), ne dépendant pas de nous (mais du temps et de la mort)…" (ibid.,p.68). Conception stoïcienne.

- Montaigne vit, dès lors, comme s'il allait mourir dans cinq minutes et, de ce fait, il ne fait des projets qu'à court terme

- Dans d'autres textes, Montaigne explique comment s’exercer à la mort. Il serait possible d’approcher la mort dans certaines expériences limites et réaliser ainsi sa douceur, sa proximité peu dramatique à l’assoupissement. La mort n’est pas cet au-delà ni même ce point hors sensation d’Epicure, mais plutôt ce temps d’arrachement à soi où l’on se sent défaillir. Il existe, dans la vie, un échappement à soi susceptible d’un “après” et d’un souvenir : la perte de conscience.

- Montaigne relate un spectaculaire accident de cheval qui va lui assurer une expérimentation concrète des approches de la mort : évanoui, entre la veille et le sommeil, entre la vie et le mort, Montaigne ressent cet intervalle comme très agréable. Cet état de bien-être, où l’organisme s’abandonne à l’inconscience, Montaigne pense qu’il correspond à l’expérience des agonisants. Il y aurait donc un plaisir de l’affaibli qui correspondrait à un désir de retour vers l’inanimé : loin de ressembler à une lutte pour la vie, le fait de se laisser partir est la chose la plus naturelle; alors que la vie prend souvent l’allure d’un combat, d’un mouvement pénible contre les obstacles, le vivant cesse de résister à sa propre destruction en mobilisant de l’énergie, cesse de désirer et retombe dans la matière inerte. Fermer les yeux, perdre la vie, c’est d’abord se libérer de la conscience, du souci.

- Dès lors, on peut aimer la vie, tout en la quittant sans regret, comme si aimer la vie conduisait déjà à comprendre la mort, à refuser de demander à l’existence plus qu’elle ne donne, à apprécier jusqu’à son risque et son caractère éphémère : qui aime la vie du jour prend plaisir à s’endormir. Mourir est donc assimilable à un laisser-aller positif : oser s’approcher de l’inconnu, c’est déjà démystifier et supprimer les frayeurs nées de l’ignorance et de l’habitude.

- Qui plus est, la nature nous habitue lentement au trépas, accoutumance qui prend la forme de la maladie et de la vieillesse : “ nature même nous prête la main et nous donne courage. Si c’est une mort courte et violente, nous n’avons pas loisir de la craindre; si elle est autre, je m’aperçois qu’à mesure que je m’engage dans la maladie j’entre naturellement en quelque dédain de la vie…” (Essais, I, XX, 69). La maladie prépare avec une douceur diplomatique à la mort; mourir n’est alors pas contraire à la vie, s’il existe une forme de vie - la maladie - qui ouvre à la mort. La maladie n’est pas contraire à la vie, mais à la santé. La santé, en effet, est l’excès qui rend la vie plus excitante et en augmente la joie, alors que la maladie représente une vie qui se rend inhospitalière à elle-même. C’est pourquoi, selon Montaigne, l’euthanasie semble légitime, lorsqu’elle ne fait qu’accélérer ce que la vie déclinante réclame pour elle, mais n’atteint pas toujours assez rapidement.

- De même, la vieillesse - ce néant dispensé à dose homéopathique - est ce qui épouse le mouvement même du temps par sa progressivité : le vieillard finit par se satisfaire de son présent de vieillard en y découvrant les plaisirs de la vieillesse; la conscience du déclin finit par s’effacer au profit de la conscience pleine d’un maintenant. Tout présent est nôtre, lorsque nous ne l’altérons pas par l’embellissement du passé (tendance sénile) ou l’idolâtrie de l’avenir (tendance juvénile), et lorsque la souffrance ne le désarticule pas.

- Au total, maladie et vieillesse sont également deux initiations adaptées à la mort, le renversement qu’elles instaurent est trop lent pour être vécu comme arrachement, perte insupportable. Bref, on meurt toujours trop vite (choc, accident) ou trop lentement (maladie ou vieillesse) pour mourir vraiment. En fait, nous nous détachons  du monde insensiblement dès notre plus jeune âge : la lente maturation du départ se prépare au fond de nous et il n’est besoin que d’une chiquenaude pour que la vie nous quitte tout à fait. La mort, en réalité, ne brise que les vivants : la mort qui survient existe si peu pour celui qui meurt, en comparaison de ce qu’elle signifie pour celui qui vit.

- Montaigne entend donc penser la mort en tant que moment fort singulier à passer, en dégageant une conduite proche du laisser-être. Il n’est que d’accepter la finitude, de se ressourcer en un laisser-être.

- On peut se demander toutefois s'il n'y a pas un paradoxe montaignien : en voulant consacrer sa vie à se préparer à la mort, ne sacrifie-t-il pas le présent au futur et ne révèle-t-il pas par là-même l'angoisse que la mort lui inspire, malgré l'affirmation que la mort n'est rien ? D'une façon plus générale, n'y a-t-il pas dans cette volonté de faire de la mort le coeur le plus intime de l'existence, et de vivre dans sa proximité, quelque chose de morbide ?

3) La vie éternelle

- Contrairement à Montaigne, Spinoza ne pense pas que la pensée de la mot nous mette en présence de la vérité de notre condition. En effet, " l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie " (Spinoza, Ethique, IV, 67).

- Qu'est-ce à dire sinon que l'homme libre est celui qui ne laisse pas la mort envahir son esprit : il n'y a rien à comprendre en la mort, elle est seulement la source de sentiments tristes. En effet, tous les êtres de la nature, montre Spinoza, tendent " à persévérer dans leur être ", c'est-à-dire à se conserver, à s'affirmer, à atteindre le maximum de la puissance dont ils sont capables. L'essence de l'homme est le désir conçu comme l'effet d'une volonté d'affirmation de soi. Tout homme tend donc spontanément vers la plénitude. Les sentiments négatifs, opposés à la vie (le dégoût de soi, le mépris de la vie) sont les effets et les symptômes de l'impuissance et de l'échec. Spinoza prétend donc que l'homme ne peut en aucun cas désirer la mort – le désir de mort étant à la fois un néant de désir et une défaite du désir.

- Si les êtres finissent par mourir, c'est uniquement parce qu'ils sont vaincus par des forces extérieures ou usés par la résistance qu'ils leur opposent. Aussi la mort est-elle l'ennemi numéro un qu'il faut sans cesse combattre, sous ses formes les plus visibles, comme sous ses formes les plus secrètes. Et ce de plusieurs façons :

1.     Etre actif, au lieu de s'abandonner aux ruminations mélancoliques. L'action nous permet de nous occuper sainement, de sentir notre force au contact de la résistance des choses, de construire, de créer, d'éprouver du plaisir.

2.     Faire reculer la maladie, la souffrance, substituer l'abondance à la pénurie, la paix à la guerre, le droit à la violence, la liberté à l'oppression. Problématique politique.

3.     Lutter, sur le plan intérieur, contre les forces qui poussent au pessimisme, au découragement, à la culpabilisation de soi et des autres, à la tristesse, au ressentiment, à la haine. Défendre et épanouir les forces qui permettent d'éprouver du plaisir, de la joie. Rester plein de désirs et de projets (rester jeune de coeur, comme on dit), s'ouvrir aux autres, multiplier les expériences et les rendre conscientes, maîtriser sa vie, progresser dans l'accomplissement de soi. Cf. Le slogan de mai 68 : " il y a une vie avant la mort ".

4.     Refuser, du coup, le conformisme, la peur de vivre, l'illusion de la perfection qui conduit à l'amertume et au désespoir.

5.     La solidarité, l'amour, le courage, l'humour sont sans doute les seules réponses humaine à la mort.

- N’est-ce pas finalement dans le temps limité de la vie, ici et maintenant, que se joue l’immortalité ? Même pour celui qui croit en la vie éternelle, c’est en cette vie et en cette vie seulement que je puis déterminer mon sort au-delà de cette vie. Ceux qui admettent l’immortalité de l’âme sont renvoyés à cette difficulté que l’existence proprement dite ne peut avoir lieu qu’en cette vie. L’heure de la mort est l’heure ultime au-delà de laquelle il n’est plus temps de changer de vie, de se repentir. Au moment de la mort, s’arrête et se fixe à jamais la figure que je puis donner à mon existence. La mort fait qu’il n’est plus possible de revenir en arrière. Il semble donc que ce soit l’instant de la mort qui décide de toute la vie.

- Ainsi faut-il distinguer éternité et immortalité : l’éternité ne saurait consister en une quelconque survie ou immortalité du sujet ou de l’individu : le sujet ne vit pas plus après la mort qu’il ne vivait avant la naissance. L’éternité peut se dire selon le réel et selon la vérité :

10.  Selon le réel, c’est l’éternité de l’éphémère, le toujours présent du réel, la simplicité, la plénitude d’un instant intemporel que nous vivons parfois. Expérience de la fusion qui surgit dans nos moments de simplicité, de paix, d'harmonie.

11.  Selon la vérité, puisque toute vérité est par essence éternelle. La sagesse que Spinoza appelle “ béatitude ” est amour joyeux de la vérité, de la vie elle-même délivrée de l’attente et du manque. Il s’agit de vivre la vie comme elle est, sans mensonge et sans illusions, c’est-à-dire de l’accepter dans sa vérité, et de l’aimer : “ la sagesse n’est pas une autre vie mais bien une vie autre ” (André Comte-Sponville, Vivre). C’est vivre en vérité, c’est-à-dire vivre autrement la même vie que tous. Elle est ce contentement de l’âme qui n’attend rien, n’espère rien, ne regrette rien. C’est vivre dans le présent en paix et en vérité, et trouver, dans cette paix de l’âme, une certaine volupté divine. Qui connaît cette paix possède un bien éternel qui est la sagesse même (réflexions qu’on retrouve dans le bouddhisme, par exemple).

- La participation à l’éternité est donc dans l’instant sans qu’il faille parler d’immortalité, comme persistance d’une substance spirituelle. Exemple de Siddharta (Hermann Hesse) qui atteint ce moment où il habite l'absolu, le coeur même du réel, du devenir, ici et maintenant. Problématique qui nous renvoie à celle du bonheur.

CONCLUSION GENERALE

- On peut alors conclure et répondre à la question “ pourquoi existons-nous ? “. Nous nous étions demandés : quel sens la mort a-t-elle pour l’existence ? Quelle finalité faut-il donner à notre existence sachant qu’elle a un terme, une limite absolue ?

- Nous avons vu, avec les existentialistes, que l’existence est irréductible à tout système, à toute logique et qu’elle est avant tout liberté. Exister, c’est inventer librement des raisons, c’est être, avant tout, ce que l’on fait de soi, c’est donner un sens à une vie qui n’en a pas a priori (l’existence est contingente, absurde) et qui ne se réduit jamais, chez l’homme, à la tâche animale de vivre. Dès lors, le sens de notre vie n’est pas donné, il est à construire; c’est à moi qu’il appartient de donner une raison d’être et une orientation à mon existence dont je suis entièrement responsable.

- Nous existons alors non seulement parce que nous ne nous contentons pas de vivre, mais aussi parce que la mort est notre horizon permanent. L’existence est un problème parce qu’elle est livrée au temps, qu’elle s’inscrit dans le devenir. La mort, comme événement toujours à venir, est justement ce par rapport à quoi s’oriente toute existence. Autrement dit, la vie humaine n’a finalement de sens et de prix que parce que nous ne disposons que d’un temps fini; la mort seule nous fait penser la vie comme précieuse et fragile. Mais la vie seule donne à la pensée de la mort son caractère tragique.

- Je ne peux finalement m’approprier ma mort que si je décide du type d’accomplissement que j’entends poursuivre ma vie durant. Je ne peux réellement m’approprier mon existence, la faire mienne, que si je choisis quelle attitude il convient que j’adopte à l’égard de ma propre finitude.

- Faut-il  alors vivre comme si nous ne devions jamais mourir ?

- En un premier temps, il nous est apparu qu’il convenait plutôt que l’homme sache qu’il est périssable, et qu’un devoir de lucidité sur notre condition permettait d’éviter l’oubli, la fuite de la mort, c’est-à-dire le divertissement. Mais il ne faut pas alors que le présent lui-même soit hanté par la crainte et que plus aucune action ne soit possible. Si ma mort et la mort de celui que j’aime n’en demeurent pas moins les marques de la finitude, c’est en assumant celle-ci et l’angoisse qu’elle fait naître en nous, que notre existence peut acquérir un sens authentique.

-                  Ce n’est pas alors dans une immortalité illusoire et rassurante (celle qu’offre les religions) que l’homme peut trouver un quelconque salut, mais dans l’éternité où nous sommes réconciliés avec le réel et la vérité, comme nous l’indiquent les sages. Le comme si  de la question : “ faut-il vivre comme si nous ne devions jamais mourir”, n’est pas une illusion dans laquelle l’homme pourrait se perdre (se croire immortel), mais plutôt une exigence de la volonté et de l’entendement de vivre pleinement un présent sans avenir. Vivre non pas comme si nous étions immortels, mais éternels.

 

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