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Guilleragues, Lettres portugaises (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Guilleragues, Lettres portugaises (extrait). Longtemps passées pour authentiques, les lettres de Mariane, la « religieuse portugaise «, à l'homme qui l'a abandonnée pour rentrer en France, peuvent être lues comme un court roman psychologique. Elles sont aussi l'un des plus bouleversants cris d'amour de l'âge classique. Lucide et désespérée, Mariane se livre en cinq lettres au plus douloureux sacrifice : celui de sa passion, et, avec elle, de sa vie. Cette correspondance à une voix est à la fois l'affirmation de sa solitude et la confession jouissive de la démesure de son amour. Lettres portugaises de Guilleragues (Lettre III) Je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je fais, ni ce que je désire : je suis déchirée par mille mouvements contraires. Peut-on s'imaginer un état si déplorable ? Je vous aime éperdument, et je vous ménage assez pour n'oser, peut-être, souhaiter que vous soyez agité des mêmes transports : je me tuerais, ou je mourrais de douleur sans me tuer, si j'étais assurée que vous n'avez jamais aucun repos, que votre vie n'est que trouble et qu'agitation, que vous pleurez sans cesse, et que tout vous est odieux ; je ne puis suffire à mes maux, comment pourrais-je supporter la douleur que me donneraient les vôtres, qui me seraient mille fois plus sensibles ? Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre coeur et votre goût en France. Je ne sais pourquoi je vous écris, je vois bien que vous aurez seulement pitié de moi, et je ne veux point de votre pitié. J'ai bien du dépit contre moi-même quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié : j'ai perdu ma réputation, je me suis exposée à la fureur de mes parents, à la sévérité des lois de ce pays contre les religieuses, et à votre ingratitude, qui me paraît le plus grand de tous les malheurs. Cependant je sens bien que mes remords ne sont pas véritables, que je voudrais du meilleur de mon coeur avoir couru pour l'amour de vous de plus grands dangers, et que j'ai un plaisir funeste d'avoir hasardé ma vie et mon honneur : tout ce que j'ai de plus précieux ne devait-il pas être en votre disposition ? Et ne dois-je pas être bien aise de l'avoir employé comme j'ai fait ? Il me semble même que je ne suis guère contente ni de mes douleurs, ni de l'excès de mon amour, quoique je ne puisse, hélas ! me flatter assez pour être contente de vous. Je vis, infidèle que je suis, et je fais autant de choses pour conserver ma vie que pour la perdre. Ah ! j'en meurs de honte : mon désespoir n'est donc que dans mes lettres ? Si je vous aimais autant que je vous l'ai dit mille fois, ne serais-je pas morte il y a longtemps ? Je vous ai trompé, c'est à vous à vous plaindre de moi. Hélas ! pourquoi ne vous en plaignez-vous pas ? Je vous ai vu partir, je ne puis espérer de vous voir jamais de retour, et je respire cependant : je vous ai trahi, je vous en demande pardon. Mais ne me l'accordez pas ! Traitez-moi sévèrement ! Ne trouvez point que mes sentiments soient assez violents ! Soyez plus difficile à contenter ! Mandez-moi que vous voulez que je meure d'amour pour vous ! Source : Guilleragues (Gabriel de Lavergne, sieur de), Lettres portugaises, 1669. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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