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Heidegger: Le rapport de l'art et de la vérité

Publié le 03/01/2004

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heidegger
En réaction contre le subjectivisme nietzschéen, la pensée heideggérienne de l'art constitue d'abord une rupture radicale avec l'esthétique en général, en tant que celle-ci, à la façon de Kant, fait graviter l'art et le beau autour du sujet, qu'il soit réceptif (esthétique du plaisir) ou qu'il soit créatif (esthétique de l'ivresse). Le centre de gravité de l'art, comme va le montrer de façon décisive la conférence sur « L'origine de l'oeuvre d'art», c'est l'oeuvre. Mais d'où vient l'oeuvre ? Elle tire de toute évidence son origine de l'artiste.  Mais n'est-on pas artiste uniquement par les oeuvres que l'on a réalisées  L'artiste est à l'origine de l'oeuvre, mais l'oeuvre est l'origine de l'artiste.  Mais où réside l'art ? Non pas dans la capacité de l'artiste, mais dans l'effectivité de l'oeuvre.  Il faut bel et bien partir de l'oeuvre.  Qu'est-ce donc qu'une oeuvre ?
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« divin, etc.

Le temple, lorsqu'il fait voir les dieux dans ses sculptures, les fait venir à la présence.

En outre, unmonde appartient toujours à une époque de l'histoire (il y a plusieurs mondes pour chaque époque parce qu'il y aplusieurs peuples). Le temple fait surgir et rend manifeste une terre.

Ce concept nouveau et difficile comporte plusieurs sens, aumoins quatre, dont nous avons essayé de montrer l'articulation ailleurs.

D'abord et principalement, la terre désignele matériau dont l'oeuvre est faite, ici le marbre.

Ensuite le temple se dresse en un lieu, en un site particulier,familier, sur une colline, ou au pied d'une falaise rocheuse comme à Delphes .

Par delà ce site particulier que l'oeuvre assemble, le temple révèle une nature, au sens grec de phusis, l'épanouissement de toutes choses, ciel,soleil, pluie, vent, animaux, végétation, qui apparaissent en contraste avec l'oeuvre humaine.

Enfin, la terre est parprincipe ce qui se dérobe, ce qui se referme, une secrète réserve au sein même de l'épanouissement de touteschoses : elle appartient à ce que les Grecs appelaient la lèthè, l'« oublié », le voilé, l'indécelable, l'oblitéré. Tiré de la terre au sens ordinaire du mot, c'est évidemment le matériau qui met à jour les autres aspectsontologiques de la terre, y compris cette secrète réserve.

L'oeuvre fait venir dans le monde ce qui originellementéchappe au monde, son assise et son fond abyssal.

Elle traduit la violence que le monde fait à la terre. La relation monde-terre chez Heidegger. Le conflit de la terre et du monde est inapaisable.

Le monde exige la clarification des formes, spirituelles etmatérielles; il demande que tout soit signe et signifiant.

La terre exige l'effacement des formes, la naissance dessymboles.

C'est le combat du jour et de la nuit. Sans l'oeuvre, ce combat toujours plus « vieux » qu'elle resterait latent.

Ce qu'elle laisse deviner sous ses figures audibles ou visibles, sous le parcours d'une mélodie, sous l'arabesque d'un dessin, sous tel ou tel assemblage decouleurs, c'est une déchirure (Riss) invisible ou le lien déchirant qui unit terre et monde.

« Le calme de l'oeuvre reposant en elle-même a son essence dans l'intimité du combat .» Toute œuvre serait ainsi un troisième terme, et même la plus heureuse serait la résolution toujours provisoire d'une tension douloureuse.

La déchirure ontologiquese résout et s'exprime par le tracement d'un trait qui donne lieu à une figure.

Rapprocher les deux puissancesadverses, inscrire un monde dans une terre, telle est l'essence du travail artistique.

De ce fait, ce travail n'estnullement réductible à un travail artisanal, où l'artisan contrôle et domine parfaitement sa fabrication.

La créationartistique est l'écho de ce combat originaire où se dispute le partage entre ce qui est à découvert, accessible, et cequi est voilé, recouvert.

Car le combat terre-monde dépend d'un combat plus profond encore entre l'éclaircie(Lichtung) et le retrait ou la dissimulation (Verbergung,) qui se joue dans l'essence de la vérité conçue commedévoilement ou décèlement (Unverborgenheit).

L'oeuvre d'art est tout sauf une fabrication arbitraire et une fiction.

Elle n'est une œuvre que parce qu'en elle apparaît le rapport monde-terre, éclaircie-retrait (manifeste-caché),rapport qui fait l'essence de la vérité.

L'oeuvre n'est pas vraie parce qu'elle imite quelque réalité extérieure, ontique,ou quelque dimension intérieure (celle du sentiment selon Hegel ), mais parce qu'elle incorpore, incarne dans un étant la relation de dévoilement.

« Installant un monde et faisant venir la terre, l'oeuvre est la bataille où se conquiert le dévoilement de l'étant dans son ensemble, la vérité . » La vérité ne s'institue pas seulement dans l'art, mais aussi dans la radicalité de la pensée philosophique, ou encore dans la fondation d'un État, ou dans ce qui esténigmatiquement appelé un « authentique sacrifice ». L'artiste obéit à la vérité dont il ne décide pas et qui a par elle-même une tendance (Zug) qui la porte à l'oeuvre,c'est-à-dire à l'incarnation ou à l'institution.

Dans cette institution, la terre joue le rôle central.

Pourtant, même sila terre est principalement la base indécelée qui se retire et se fait oublier, elle ne s'identifie pas avec l'indécelable.

Il y a aussi du côté du monde, à tout moment, à chaque époque, une dimension inaccessible, un retrait.

Ce que lemonde nous dissimule, justement sous ses évidences contraignantes, fait partie de la vérité dans son retrait, etdonc de ce que l'art peut rendre manifeste, à condition que cela soit inscrit dans une terre.

Une des difficultés de «L'origine de l'oeuvre d'art », c'est que les deux rapport monde-terre et éclaircie-retrait ne sont pas superposables.

Et précisément l'oeuvre d'art, en modifiant l'équilibre habituel de ces rapports, manifeste une véritéplus large.

L'oeuvre fait en effet paraître la terre comme terre, elle réalise l'impossible, elle fait émerger l'indécelabledans l'ouvert.

« La déchirure (Riss) doit se restituer dans l'opiniâtre pesanteur de la pierre, dans la muette dureté du bois, dans le sombre éclat des couleurs.

C'est dans la mesure où la terre reprend en elle la déchirure que cettedernière est d'abord établie dans l'ouvert et ainsi posée, c'est-à-dire imposée à ce qui émerge dans l'ouvert commese refusant et se préservant.

La figure (Gestalt) est le combat porté à la déchirure et de là replacé dans la terre etpar là institué . » L'oeuvre montre la terre: la pierre, le bois, les couleurs, mais aussi les sons de la musique ou de la langue, commetels ; mais ce faisant elle exploite pas la terre comme une matière soumise à une forme.

Contrairement à l'outil,dont le matériau ne se fait pas remarquer, disparaît dans l'utilité, l'oeuvre fait ressortir expressément sa propredimension « terrestre ».

Comme l'a montré Valéry , ce qui distingue un poème d'un morceau de prose ordinaire, c'est un mouvement de balancier par lequel l'attention aux mots se déplace d'abord normalement d'une sonorité à unesignification, pour revenir indéfiniment et de façon inhabituelle vers cette sonorité, comme vers un autre sensinépuisable et mystérieux.

Mais cette quasi indépendance, cette émancipation du matériau terre (les couleurs de lapeinture, les sons de la poésie) ne caractérise-t-elle pas davantage l'art moderne (par exemple la peinture. »

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