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Henriette WALTER, Le français dans tous les sens

Publié le 21/06/2012

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Le français : un mythe et des réalités

De nos jours, c'est notre propre attitude devant notre langue qui

étonne les étrangers lorsqu'ils nous entendent ajouter, après certains

mots que nous venons de prononcer : « Je ne sais pas si c'est français

«,ou même : « Excusez-moi, ce n'est pas français «.Cette phrase

est si courante chez nous qu'elle n'étonne que les étrangers, surpris,

par exemple, qu'un Français se demande si taciturnité ou cohabitateur

sont des mots français. En effet, dans les langues voisines, les usagers

fabriquent des mots à volonté sans que personne y trouve rien à redire,

à condition qu'ils se fassent comprendre. Le Français au contraire ne

considère pas sa langue comme un instrument malléable, mis à sa disposition

pour s'exprimer et pour communiquer. Il la regarde comme

une institution immuable, corsetée dans ses traditions et quasiment

intouchable. Nous avons en effet été trop bien dressés à n'admettre

un mot que s'il figure déjà dans le dictionnaire.

« lui-même n'a pas d'accent : c'est toujours l'autre qui est hors norme et qui a tort.

Cependant la prise de conscience de cette diversité, quand il ne s'agit que de prononciation, provoque plus souvent le sourire que la réprobation.

Les choses en vont autrement avec la grammaire, et des formes comme« il s'est rappelé de son enfance »ou« il a pallié aux inconvé­ nients » sont immédiatement rejetées par les puristes comme inadmis­ sibles.

Ceux qui les remarquent ne sont pas loin d'accuser ceux qui les emploient soit d'être des individus primaires et incultes, soit d'être res­ ponsables de la dégradation sinon de l'assassinat de la langue française : « France, ton français fout le camp ! » devient un cri d'alarme et un appel au secours.

Les gens dont le français est la langue maternelle joignent ainsi de façon paradoxale un sens aigu de l'observation (puisqu'ils repèrent sans cesse les écarts vis-à-vis des formes traditionnellement admises) à un refus plus ou moins conscient de reconnaître l'existence de la diversité d'emploi de cette langue.

Tout en comprenant parfaitement le sens de telle expression française, à leurs yeux incorrecte, ils n'hésitent pas à déclarer contre toute logique qu'elle n'est pas française.

Comment expliquer cette attitude irrationnelle chez des gens qui se réclament de Descartes ? Il semble qu'il existe dans l'esprit de tout francophone une dualité qui brouille le paysage.

Il a d'une part la conception de cette belle lan­ gue française transmise par la tradition à travers les œuvres des grands écrivains et qui prend figure de mythe : n'y touchons pas, on pourrait l'abîmer ! Et, à côté de cette langue idéale, pure, achevée, parfaite, nous avons tous un peu conscience que se développe une autre langue française, que chacun utilise tous les jours sans ménagements, une lan­ gue multiple et changeante, s'adaptant au monde moderne et aux situa­ tions familières.

Il est difficile de l'accepter comme du français, comme « le français »-et pourtant elle s'intègre parfaitement dans la tradi­ tion de la langue classique tout en ayant sa propre dynamique : ce qui choque aujourd'hui ne choquera plus demain.

Le mythe est parfaitement entretenu dans les grammaires et les dic­ tionnaires qui enseignent le bon usage : ce sont des points fixes aux­ quels il est rassurant de se référer en cas de doute.

On vérifie, après l'avoir entendue ou employée si telle tournure ou telle expression est correcte, mais, dans le feu de la conversation ou la hâte d'écrire, on se laisse porter par le génie propre de la langue et on crée les formes nouvelles que la langue autorise mais que l'usage n'a pas consacrées.

On s'exprime plus complètement mais on garde mauvaise conscience.

Et ces deux conceptions sont si imbriquées dans l'esprit de chacun que, lorsqu'on entend parler de la langue française, on ne sait jamais exac­ tement de laquelle il s'agit.. »

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