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[Histoire de Cunégonde] CANDIDE DE VOLTAIRE (lecture analytique du chapitre VIII)

Publié le 05/07/2011

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«Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m'emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu'il avait, je faisais sa cuisine; il me trouvait fort jolie, il faut l'avouer; et je ne nierai pas qu'il ne fut très bien fait, et qu'il n'eût la peau blanche et douce; d'ailleurs 10 peu d'esprit, peu de philosophie; on voyait bien qu'il n'avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent, et s'étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé Don Issachar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s'attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher; je lui ai mieux résisté qu'au soldat bulgare : une personne d'honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s'en affermit. Le Juif, pour m'apprivoiser, me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J'avais cru jusque-là qu'il n'y avait rien sur la terre de si beau que le château de Thunder-ten-tronckh; j'ai été détrompée. Le grand inquisiteur m'aperçut un jour à la messe ; il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu'il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais; je lui appris ma naissance; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d'appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à Don Issachar de me céder à Monseigneur. Don Issachar, qui est le banquier de la cour, et homme de crédit, n'en voulut rien faire. L'inquisiteur le menaça d'un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun.«

Après l'auto-da-fé, Candide est recueilli et soigné par une vieille femme qui lui permet de retrouver Cunégonde, sa bien-aimée. Miraculeusement rescapée du désastre de Thunder-ten-tronckh, elle fait au jeune homme le récit de ses mésaventures. Après avoir assisté au massacre de sa famille, elle est elle-même violée par un soldat bulgare. Commence alors pour elle une vie lamentable.

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« Étude des thèmes • L'amourCunégonde est pour Candide la figure de l'amour idéal.

Or, dans ce texte, la jeune femme se révèle avant toutcomme une créature sensuelle, peu soucieuse de garder son rang et de rester fidèle.

Malgré la grossièreté ducapitaine, elle ne manque pas, au risque de blesser Candide, de signaler l'attirance physique qu'il exerce sur elle :«Et je ne nierai pas qu'il ne fût très bien fait, et qu'il n'eût la peau blanche et douce» (l.

8-9).

Elle a beau déclarerqu'elle a «résisté» (l.

17) au banquier juif, enfait, elle a très vite cédé.

Enfin, elle s'accommode facilement du «marché» qui la partage entre l'inquisiteur et lebanquier (l.

34).

Tout cela, joint à une existence sordide et avilissante, compose une image dérisoire de l'amour.

Pasplus que la noblesse et la philosophie, l'amour ne résiste à l'épreuve des faits. • La philosophie optimisteCunégonde est, elle aussi, une élève de Pangloss.

Elle croit à la Providence : les événements du monde, y comprisles catastrophes, ne sont pas soumis au hasard et à l'absurde; ils obéissent aux volontés d'un Dieu gouvernant lacréation ou à la logique d'un système philosophique, comme celui de «l'harmonie préétablie» de Leibniz.

A propos ducapitaine, la jeune femme déclare avec dédain : «D'ailleurs peu d'esprit, peu de philosophie; on voyait bien qu'iln'avait pas été élevé par le docteur Pangloss» (l.9-11).

La référence à Pangloss, appelé emphatiquement «docteur»[ homme savant], indique qu'elle applique scrupuleusement les leçons de son maître : elle sait tirer parti descirconstances les plus horribles.

Emmenée prisonnière par un militaire, elle se console de son malheur général parl'attrait particulier qu'exerce sur elle sa «peau blanche et douce» (l.

9).

Les brutalités dont elle a été victime luifournissent un enseignement moral, présenté sous forme de maxime : «Une personne d'honneur peut être violée unefois, mais sa vertu s'en affermit» (l.

18-19).

Enfin, elle ne cesse pas d'être résolument optimiste et de considérerThunder-ten-tronckh comme le point de référence du bonheur : «J'avais cru jusque-là qu'il n'y avait rien sur la terrede si beau que le château de Thunder-ten-tronckh ; j'ai été détrompée» (l.

21-23). • La critique de l'optimismeMais le récit de Cunégonde, placé par Voltaire entre les mésaventures de Candide et l'histoire lamentable de la«vieille» aux chapitres XI et XII, rejoint l'un des thèmes fondamentaux du livre : la critique de l'optimisme.

Par cettesuite ininterrompue de violences et d'avilissements,l'auteur veut démontrer que c'est le hasard et non la Providence qui gouverne le monde.

L'histoire de Cunégonde enapporte une nouvelle preuve; elle rassemble les pires maux qui puissent arriver à une jeune femme.

Ballottée, d'unefaçon dégradante, d'un amant à un autre, elle incarne elle aussi l'absurdité de l'existence et l'omniprésence du mal. Étude du style • Un rythme trépidantA une allure endiablée, Cunégonde subit tous les malheurs possibles.

Les phrases en général sont courtes; lacoordination est préférée à la subordination, ce qui confère au récit plus de rapidité.

Prenons la description del'arrivée du capitaine : «Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas.

Lecapitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps» (l.

1-4).

Les faitssont juxtaposés les uns aux autres ou simplement coordonnés par «et».

Hormis la relative : «que lui témoignait cebrutal» (l.

3-4), le récit se compose uniquement de propositions indépendantes.L'abondance des verbes constitue un autre facteur de rapidité.

Leur accumulation produit parfois une accélérationsupplémentaire : «Le grand inquisiteur m'aperçut un jour à la messe; il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu'il avaità me parler pour des affaires secrètes.

Je fus conduite à son palais; je lui appris ma naissance; il me représenta...»(l.

24-28).Ce rythme rapide donne au texte une gaieté macabre : malgré la gravité du contenu, Voltaire prend plaisir à tourneren dérision, sur un ton allègre, l'optimisme de ses héros et le romanesque de l'amour. • La parodieLa parodie est l'imitation bouffonne d'un genre sérieux pour le tourner en ridicule.

Ce texte est ainsi une parodie desromans sentimentaux de l'époque, tels Pamela deRichardson, La vie de Marianne de Marivaux ou Manon Lescaut de Prévost.

Ces romans décrivent des aventures àrebondissements multiples qui mettent en scène des âmes pures et vertueuses en proie aux tourments de la passionamoureuse et en butte à la méchanceté d'êtres sans scrupules.Le comique du texte vient du décalage entre un cadre de roman sentimental et une héroïne anti-romanesque.

SiVoltaire utilise la situation classique des amants séparés qui se retrouvent, il ôte tout contenu à la notion d'amourpur et fidèle : il transforme en effet Cunégonde en un personnage matériel et physique, loin d'être uniquementpréoccupée de ses sentiments pour Candide.Le jeu n'est pas gratuit : cette parodie vise à montrer que l'amour romanesque est une illusion.. »

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