Devoir de Philosophie

L'homme est-il naturellement religieux ?

Publié le 20/07/2010

Extrait du document

La société dans laquelle nous vivons est animée par une culture ; une culture à laquelle nous nous attachons et en laquelle nous croyons, alors que ce n'est qu'un amas d'illusions magnifié par l'Homme lui-même. Or depuis toujours, l'Homme a besoin de ce qui stimule ces communautés, à savoir la religiosité. En effet, nous observons un réel sentiment religieux vis-à-vis de tout ce qui anime notre vie. Cela ne se limite pas aux pures religions ; naturellement l'Homme ne peut se contenter de la connaissance que lui apporte la science car, infiniment vulnérable, il lui faut s'assurer que quelque chose de solide les relie, lui et la communauté dans laquelle il vit, à quelque chose de puissant, d'enthousiasmant, de consolateur, qui l'aide à supporter sa « misère «, sa faiblesse face à un monde incompréhensible à jamais hors de sa portée. Ce sentiment religieux paraîtrait donc inné, présent dans toute civilisation (qu'elle soit primitive ou moderne), et à moins d'être nihiliste, l'Homme entièrement areligieux n'existe pas. Affirmer donc que l'homme est naturellement religieux revient à contester la notion actuelle d'athéisme : indépendant de toute religion, l'homme continue plus ou moins vaguement à croire en des valeurs qui le rattache à sa culture, à ses proches, à sa nation, etc. Et cet attachement a forcément une parenté propre à la religiosité.  Ce qui parait intéressant à étudier ici, c'est cette énergie naturelle qu'est le sentiment religieux. Ce sentiment manifesté en groupe est l'origine d'un monde « religieux « où tout ce qui est en réel – et donc misérable – est inversé. En effet, d'après Marx, le monde des religions est un « monde à l'envers « où l'absolu existe, à l'opposé du caractère purement réel et matériel dans lequel l'homme vit : un monde où rien n'est absolu. L'homme recherche donc à tout prix une quelconque stabilité qui contrecarre l'incessant déséquilibre qui subsiste depuis toujours dans toutes les civilisations. Mais ce sont également des instincts et d'autres besoins bien plus profonds qui stimulent le fait religieux.  Mais la religion ayant structuré de manière considérable la vie humaine depuis la nuit des temps, elle n'est pas exempte de contradictions et d'irrationalité ; voulant dépasser la raison, cette dernière se trouve souvent noyée, faisant sombrer l'homme dans une représentation erronée du monde.  Ainsi cela nous amène à nous demander si le fait même que la religiosité réponde à des besoins fondamentaux justifie le fait religieux ? Les religions sont elles légitimes dans la mesure où quoiqu'il en soit, l'homme nourrit son attachement à son existence de croyances illusoires plus ou moins conscientes ?  Afin d'approfondir ce sujet, nous commencerons par étudier dans quelle mesure la religion répond à des besoins fondamentaux de l'homme, puis nous verrons en quoi l'homme ne peut se défaire de ces croyances même s'il en a la plus fervente volonté, pour terminer par l'aspect légitime et illégitime qu'a pris la religion dans la civilisation à partir, donc, de ces origines naturelles.    L'animal reçoit ses fins de la nature. L'homme, lui, se crée des tendances propres à son don de conscience et de pensée ; et par là même, il ne se contente pas des fins naturelles que lui prédestinait la nature (l'alimentation, la reproduction, etc.) et se donne donc d'autres fins : des fins d'ordre matérielles (le plaisir) et d'ordre spirituel (le vrai, le beau, le bien.) L'aboutissement de ces fins spirituelles s'est concrétisée sous forme de divinités qu'il dote de caractères anthropomorphes comme la silhouette humaine (chez les religions polythéistes surtout) ou même des émotions (l'amour, la colère, etc.). Nous observons donc là un phénomène « mental « de l'homme particulièrement inouï : en  « fabriquant « ces forces célestes, l'homme prend soin de leur doter des caractéristiques propres à lui-même ; ce phénomène est vu par Feuerbach comme une première conscience de soi indirecte – la religion servirait de miroir intelligible. En effet, la raison ayant des limites – en effet l'homme ne peut se contenter du constat, même le plus précis et véritable, de sa matérialité par sa raison – le monde paraîtrait muet et la vie dénuée de sens s'il n'existait pas un « double « de l'homme, tout puissant, absolu et consolateur… Un « double « qui lui assignerait le réel but de son existence et, par là, lui enseignerait la véritable essence de son être. L'homme déplace ainsi hors de lui son essence avant de la trouver en lui. C'est pour cela que la religion précède la philosophie dans toutes les civilisations : d'abord l'homme, pour trouver la vérité, s'affranchit de son incompétence à appréhender son existence d'un point de vue matériel en prolongeant durablement, de siècle en siècle, l'action divine dont il croit aux origines célestes – alors qu'il est lui-même l'auteur de cette action divine ; puis, lorsque l'homme s'est détaché des dogmes religieux, il s'est mis à comprendre le monde par le biais de la philosophie. Ce que l'homme ne pouvait appréhender qu'à travers la peur et l'ignorance, le philosophe le décèle par le biais de la raison (dénuée de croyances parasites). C'est ce qu'affirme Hegel et Schopenhauer : ils affirment que la religion expose la vérité absolue sans la saisir sinon mieux, du moins autrement que la philosophie qui, elle, la comprend en se la représentant entière, sans mélange, par de simples concepts abstraits, dénués du « vêtement de la fable « ; ce « véhicule mythique « qui conserverait la vérité à travers des images, des représentations compréhensibles mais d'ordre illusoire. Car c'est bien à l'aide de cette image anthropomorphe de l'absolu et de ces paraboles, mythes et légendes faisant écho à des préoccupations métaphysiques, que la majorité des hommes a accès indirectement à cette vérité absolue. En outre, il n'y a qu'une minorité d'hommes qui ait un accès direct à la vérité absolue par la philosophie, car cette représentation abstraite – et donc véritable – est contraire à la « tendance naturelle « de l'homme.  Ce type de « religion « que nous venons de développer est ce que Bergson appelle « la religion dynamique «, celle qui puise ses préceptes dans un élan vital, une volonté primaire, en un mot : la foi. Or les religieux ne sont pas entièrement animés uniquement par la foi. Le rapport à la religion n'est pas naturellement pur chez tous les hommes, un religieux peut être pratiquant sans avoir la foi. Plus précisément, la foi est ce qui rend ce « voile «, que la religion tend devant la vérité absolue, translucide. Pour beaucoup, au cours des siècles, sûrement par une méconnaissance des « codes d'interprétations « des textes fondateurs de la religion, ce voile est relativement opaque. Or, qu'il y a-t-il de naturel à croire en une religion à travers laquelle nous ne comprenons pas entièrement la vérité absolue qu'elle tente de nous enseigner ? En quoi la religion a pour nature de permettre à l'homme de comprendre l'essence de son être et de l'univers si elle n'est pas naturellement intelligible ? Ayant fait de la religion le « véhicule mythique «, récipient d'une connaissance précieuse, est-il concevable de croire que des hommes adhèrent à une religion en toute méconnaissance de cette vérité ? C'est là que Bergson définit son concept de « religion statique « : la religion dans une forme pratique et sociale, indépendamment de la source primordiale de la religion… En effet, sans la foi, la religion a toujours un sens pour l'homme prosaïque ; elle répond à des instincts premiers comme les instincts d'obéissance, de commandement, de propriété et de sociabilité. Les manifestations collectives (cultes, cérémonies, sacrements) l'empêchent de faire face aux faiblesses expliquées plus haut ; il les rend ignorant de son incapacité à comprendre ce que Schopenhauer appelle « l'énigme du monde «. Cependant, les rites et les histoires que l'homme lambda peut comprendre parviennent à lui enseigner non pas des vérités absolues mais des sortes « d'assurances «, d'antidotes, contre les principaux maux qui rendent la nature humaine si craintive ; nous pouvons distinguer parmi ces maux le désordre, le désespoir et l'imprévisibilité. Le premier maux est corrigé par des interdits et des tabous qui permettent d'éviter toute forme d'anarchie apte à des confits ; le second (causé principalement par la peur de la mort) est discipliné par les cérémonies et les rituels qui, réalisés ensemble et « debout « - tel que le décrit Alain - afin de concevoir une « décence convenable à des vivants qui se savent mortels « ; le troisième est rendue supportable en proscrinant la justice ultime et parfaite après la mort, rendant la conséquence de ses actes prévisibles.  Répondant à ses instincts premiers et à un besoin de supporter les morts, la religion a ainsi donc endoctriné naturellement bien des hommes sans pour autant qu'ils aient pris connaissance de son sens profond. Pour autant, tous les hommes font indépendamment de leur volonté l'expérience de la religiosité, quelle que soit la croyance qui anime sa communauté. D'après Freud, c'est du complexe parental qu'émanent les origines de tout fait religieux : durant l'enfance l'homme est protégé par non pas une voûte céleste mais une « voûte parentale «, et ce jusqu'à ce que la présence rassurante et consolatrice du père et de la mère laisse place à une absence abysalle, absence qu'il comble par le biais de son imagination et de sa volonté par l'existence d'un père et/ou d'une mère transcendantale que rien ne peut corrompre (dans la religion catholique il s'agirait du Dieu et de la Vierge Marie). Nous observons là une religiosité de nature névrotique : par le biais du culte du transcendantal, l'angoisse infantile ancrée dans nos consciences est amplement apaisée. Notons que cette situation ne s'observe pas seulement dans des systèmes religieux mais également politiques ; le cas de Staline en est le parfait exemple. Bien que de nombreux dirigeants politiques aient pu utiliser un enthousiasme proche de l'enthousiasme religieux, il est plus pertinent de citer ce dictateur soviétique car il a détourné ces formidables énergies religieuses pour consolider son régime et faire de sa figure un substitut du père, et même de dieu. Dénuée de la dimension illustrative des religions, étant naturellement anthropomorphe, le fait d'être nommé « petit père des peuples « révèle la nature de la relation établie entre le peuple et le dirigeant. Nous reconnaissons ici le rapport entre Dieu et « ses enfants pêcheurs «. Ainsi, l'homme parait naturellement névrosé, et nécessiterait de la religiosité afin de soulager cette sorte de « maladie innée « en lui. Car l'homme apparaît comme malade : de nature faible et dans un monde où rien n'est parfaitement juste ni absolu, l'homme n'a d'autre choix que de trouver refuge dans toute forme de religiosité qui permette de consolider son attachement à son existence. C'est ce qu'explicite Marx par la notion d' « opium du peuple « : la religion est aussi efficace qu'une drogue qui, plongeant l'Homme dans un oubli bienfaisant, lui permet d'ignorer totalement, un temps, toute sa misère. La religion parait donc à ce stade comme résolument salutaire ; l'homme croit car il n'y a que des avantages à cela : tous les motifs d'insatisfactions se voient réparés, le consentement universel de ses pairs et le sentiment de protection que cela lui inspirent parait si naturel et si agréable… Serait-ce concevable de croire en l'existence d'un Homme qui échapperait à toute forme de religiosité ?    En dépit de ces constats observés précédemment, il existe bel et bien des hommes sujets à l'athéisme (affirmant « croire « en l'inexistence de Dieu) et à l'agnosticisme (dénue de croyance car le caractère insaisissable de la religiosité le rend sceptique). Il serait cependant trop hâtif d'affirmer qu'en dépit de ses besoins naturels il existe des hommes dont le comportement est parfaitement areligieux. En effet selon Eliade, les athées auront beau se vanter d'être libéré de croyances illusoires, leur vie sera tout de même sujette à « des mythologies camouflées et à des ritualismes dégradés «. Actuellement bien que de nombreux pays développés se disent bien plus détachés de la religion qu'au siècle dernier, ils continuent à se laisser enivrer par ces regroupements, motivés par un besoin de ressentir cette sensation unique qui ne se manifeste que lorsqu'ils sont « unis «. Unis par des émotions qu'ils se créent de toute pièce, avec une grande attention ; que ce soient les mariage civils, les enterrements, les anniversaires, etc ; même si aucune religion ne stimule tout ceci, cette attention portée autour de ces évènements qui régissent notre existence a attrait à une certaine religiosité, d'un degré certes moins fort que le culte stalinien ou le culte de la race aryenne que nous avons vu à la fin de la partie précédente. L'athéisme n'est que partiellement dépourvue de l'énergie religieuse ; et parce que tout homme est fondamentalement enclin à une certaine religiosité, nous ne pouvons pas nous libérer de l'attitude qui a été inculqué par nos ancêtres depuis la nuit des temps. Au fond, l'Homme ne peut croire qu'en lui-même. Comme le résume Marx, l'homme a fait la religion, et non l'inverse. Ainsi, qu'il s'agisse d'une croyance ancestrale qui a endoctriné énormément d'hommes, d'un culte de la personnalité qui, comme le culte de Staline, utilise une énergie typiquement religieuse (la sacralisation d'un « Père « bienfaiteur), ou bien de simples traditions culturelles, l'Homme ne fait que croire : il croit en « une nature humaine « qui rassemble tous ses pairs… Une nature humaine qui, plus précisément, définit les similitudes entre les hommes afin d'éviter les conflits et de fuir toute solitude. Une nature humaine qui, pleinement définie et comprise selon un consensus, permet de trouver le courage de combattre les aléas de la vie.  Une vie sans croyance est insupportable : l'homme voit en face la vacuité de son existence, sa contingence, son immense faiblesse… il s'agit là de la « misère humaine «, misère que Pascal illustre métaphoriquement par la maigreur du roseau qui, bien que pensant (et donc infiniment « puissant « puisqu'il est bien la seule créature à penser), succombe facilement face à l'immensité de l'univers. Et en effet l'homme ne peut se permettre de cesser de croire ; dans la mesure où un être est naturellement animé par l'envie d'atteindre toute forme de joie, assumer sa misère lui est insupportable. Cette torture est très bien mise en évidence dans les Pensées : effectuant une autodestruction de la raison, Pascal prouve à ses lecteurs que sans la religion (et donc sans toute religiosité) l'homme est abandonné à lui-même, incapable de toute connaissance. La raison ne suffit donc pas ; c'est ce qu'admet Socrate lui-même : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien «. Incapable de savoir, l'Homme doit donc croire. Car la connaissance qu'il a du monde n'est que la surface des choses qui l'entourent. Pour appréhender le monde et la vie, l'Homme ne peut se contenter de la science. En effet, la science ne lui dit pas comment vivre, comment être heureux, comment ne pas se laisser détériorer par ses vices ; cette connaissance matérielle ne lui permet donc pas de trouver un quelconque apaisement car rien de stable ne régirait son existence. Il est impossible de concevoir l'Homme s'il n'est pas religieux puisque l'homme tend toujours vers une sorte de religiosité, vers quelque chose d'extérieur, de matériel, dont il porte en lui comme un double en creux. Si cet objet répond à sa réalité personnelle, si elle fait échos à son aspiration à dépasser ce que lui offre sa raison, il n'en est pas moins une « illusion «. Une illusion partagée par tous les êtres humains, même inconsciemment. L'Homme est donc sujet à une religiosité inconsciente. Ici « inconscient « peut avoir deux sens : le sens d'irréfléchie (voir même de somnolant) chez ces pratiquants qui, participant machinalement à chaque manifestation religieuse extérieure, trouvent en les valeurs revendiquées par la religion une consolation, un doux triomphe à des maux indestructibles ; et enfin le sens d'involontaire chez tous les « areligieux « qui même à travers une culture laïque retrouvent les mêmes aspirations vers cette « illusion « commune.  Il est intéressant de remarquer que l'Homme qui se croit exempt de toute influence religieuse regarde le monde tout comme le fait, par exemple, la religion chrétienne. Le constat pessimiste que Pascal fait de l'existence humaine (purement misérable) dans ses « Pensées « est admissible indépendamment de la visée apologétique de ses écrits – visant à pousser ses lecteurs à la conversion catholique. Le nihilisme implicite habite d'autres nombreux grands esprits tel que Schopenhauer qui, donnant comme seule alternative pour supporter la condition humaine le fait d'annihiler notre volonté de vivre. Nous reconnaissons là l'ascétisme, l'idée d'abstinence prônée par plus d'une religion actuelle. Concernant les écrits même de la Bible, l'humain s'y dépeint comme sujet à une pathologie générale issue du pêcher originel : tout homme de génération en génération se transmettent ces pêchers atrocement nocifs, incapables de retrouver la sainteté et la justice originelle qu'ils ont perdus au jardin d'Eden. Richard Yates, auteur américain du XXème siècle, dresse un portrait pessimiste semblable de l'existence humaine. Décrivant ses contemporains qui, noyés dans un quotidien structuré par des règles absurdes - provenant de partout sauf de leur volonté – et pourtant admises par tous, il les déclare clairement contaminés par une maladie. N'étant pas à la mesure de l'idéal américain qu'ils continuent à poursuivre obstinément, tout comme l'homme n'est pas en mesure de retourner au jardin d'Eden, les contemporains dépeints dans « Fenêtre panoramique « paraissent perdus, infiniment seuls et misérables, ne pensant plus, ne sentant plus, ne s'occupant plus de rien. En dehors de leur « propre petite médiocrité confortable «, ces êtres dépeints au vif par la plume de cet auteur américain est véritablement proche de la vision que se font les catholiques de « l'homme pêcheur « qui, soumis au pêcher, n'accèdent pas à la joie. Si Yates ne donne comme autre conseil implicite que de fuir cette société malade, la religion donne pourtant des antidotes à cette pathologie générale. Des règles de conduites (tels que les dix commandements, la notion de pêcher, etc.) sont fixées comme des balises afin de guider l'homme vers le véritable but de la vie humaine - qui est l'union avec Dieu. Ainsi l'homme qui est naturellement penché à des vices (puisque, comme nous l'avons vu précédemment, il se fixe une fin matérielle qui est le plaisir – or le vice et le plaisir ne sont pas incompatibles, ils sont irréversiblement liés lorsqu'il ne subit aucune forme d'annihilation) trouve en la religion un moyen de freiner son basculement vers la dégradation de son être. Mais un autre enjeu se révèle ici : penser la religion comme fondamentalement naturelle et indispensable à une existence humaine décente signifie-t-il qu'il nous faut la considérer comme entièrement légitime ?    Kant affirme que la religion est la connaissance de tous les devoirs de la condition humaine, inculqués et compris comme commandements divins. Or Freud nomme la religion comme une illusion : une illusion peut-être elle la source d'une connaissance aussi fondamentale ? Ces devoirs religieux ne paraissent-ils pas, tout comme l'impératif catégorique de Kant, contraires aux tendances naturelles de l'homme et donc par nature grandement illusoires et inaccessibles ? Amour du prochain, abstinence, « lâcher prise « sur l'existence en ne se préoccupant plus du lendemain… Tout ce que transmet Dieu parait être un moyen d'atteindre un état d'ataraxie. La religion, par sa nature illusoire, ne serait donc qu'un système de croyance à un idéal dont Jésus Christ est l'accomplissement matériel et totalement anthropomorphe. Il est la preuve que cet idéal est accessible pour un être humain et que la soumission infinie à la volonté de Dieu donne pour récompense des fruits bien plus appréciables que ce dont jouissaient Adam et Eve dans le jardin d'Eden. A bien considérer cette religion monothéiste, base fondamentale de notre culture occidentale, elle parait comme un « amas d'illusions magnifiées « qui ensemble dépeignent un modèle humain idéal purement irréaliste. Cependant si l'existence d'un homme ne pourra jamais se calquer sur cet idéal, la connaissance de cet idéal tend l'homme vers une amélioration de son état. Une religion entant qu'illusion réfléchie et compréhensive permettant à l'homme d'être plus naturel et plus intègre à lui-même est parfaitement légitime. Or la propagation de la religion a eu des conséquences bien moins louables.  La différence entre les dogmes (où se solidifie la « religion statique «) et la foi (qui concrétise la « religion dynamique «) est censée en pas creuser de creux entre ces deux concepts ; or au nom de ces dogmes furent observés maintes intolérances religieuses condamnant tout être ayant délibérément pêché. Dévoués à Dieu au point de tuer pour lui, de nombreux religieux prirent à coeur le message divin du « Seigneur « au point d'agir selon un maxime redoutable : « qui n'est pas pour dieu est contre dieu «. Or, le propos même écrit dans la bible est que Dieu aime les pêcheurs et non le pêcher. Et parmi les dix commandements est stipulé : « tu ne tueras point ton prochain «. Et pourtant cela ne freina pas la conscience des membres de l'Eglise pour commettre des injustices meurtrières. Nous observons donc que la religion a été utilisée à d'autres fins que celles auxquelles elles étaient destinées. Nous observons donc que cette religion (dans sa dimension « statique « ici) qui paraissait bienfaitrice par le fait même qu'elle assouvissait nombre de maux de l'être humain a été maintes fois prétexte à assouvir l'agressivité d'hommes ne supportant pas la différence d'autrui. La religion a donc été défigurée à de nombreuses reprises par un paradoxe aberrant : de nombreux conflits religieux ont éclatés au nom d'une divinité nommée « Dieu d'amour «. Côtoyant longuement et de près le système politique d'un pays, la religion catholique semble avoir profité de son prestige transcendantal afin d'élargir sa puissance. A travers ces fâcheux évènements, la religion apparaît parfaitement illégitimes. Mais est-il judicieux de croire qu'en fonction des circonstances politiques et culturelles l'homme peut être naturellement tendu vers cette dimension violente de la religion ?  Un autre aspect illégitime peut être soulevé ; la raison ne suffisant pas à structurer à l'homme un modèle de vie confortable et rassurant, la croyance a pallié les carences afin de parfaire ses conditions de vie. Or la religion chrétienne – une fois encore – succédant aux religions polythéistes où régnait un mode de vie bien moins dogmatique, semble avoir influencé sur l'évolution de la civilisation à un tel point que la croyance sembla noyer la raison elle-même, privant au monde de certaines connaissances fondamentales qui n'émergèrent que longtemps après. Nous avons évidemment l'exemple de la théorie de l'héliocentrisme apparu grâce à Galilée et qui pourtant fut tut par l'Eglise afin de protéger la conception de l'univers selon les écrits sacrés. Mais il est plus pertinent de soulever un point : alors que chez les Romains régnait une sorte d'anarchie sexuelle - la diversité des sexualités étaient pleinement assumée, les considérations éthiques dont a usé la religion n'existant pas, la notion même de bissexualité et d'homosexualité furent balayés pour laisser place à des tabous, considérant l'hétérosexualité comme l'unique orientation sexuelle. Tel que l'affirme Bergson : « un tabou arrête net des actes intelligents sans s'adresser à l'intelligence «. Ce tabou propre à la religion constitue donc une entrave à la connaissance que l'homme a de lui et du monde ; elle provoque une véritable méconnaissance de la complexité des rapports entre les deux sexes. Et l'influence de la culture judéo-chrétienne a touché toute la pensée humaine ; ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle que fut inventé le mot « homosexualité «, et il a fallu attendre la fin du XXème siècle pour qu'il soit rayé des maladies mentales en France. Chose plus aberrante encore : il a fallu attendre 2005 pour que l'on ose réaliser un documentaire sur l'homosexualité animale ; documentaire déconcertant pour beaucoup étant donné que jusqu'à présent l'homme semblait unique sujet à cette pratique sexuelle longuement considérée comme perverse et contre nature. Mais ce documentaire est déconcertant également parce qu'il révèle que même si les mâles ne peuvent se reproduire entre eux, tout comme les femelles, leurs désirs sont d'une même nature que les désirs hétérosexuels ; et cette bissexualité de l'animal, à défaut de ne pouvoir assurer une parfaite reproduction, constitue des rôles bien précis dans le développement des espèces… Il n'y a donc aucune raison de considérer l'être humain – qui est également un animal doué d'instincts et de désirs – comme exclusivement hétérosexuel. Si les tabous de la religion n'avaient pas annihilé la tolérance des diversités sexuelles, l'homophobie ambiante de la société actuelle n'aurait pas lieu d'être puisque tout le monde depuis toujours aurait admis le fait que la diversité sexuelle est tout aussi naturelle chez l'homme que chez l'animal. En prenant appui sur cet exemple nous pouvons affirmer que la religion parait ici illégitime puisqu'elle provoque une méconnaissance nocive du comportement humain à travers des règles de vie censées corriger le désordre de la société. Dans ce cas là, elle n'a fait qu'imposer qu'un  ordre présumé « naturel« éloigné de la réalité, et donc de la vérité absolue dont elle est le « récipient «.    L'homme est donc naturellement animé par une volonté de transformer le monde, ou du moins de croire en une représentation du monde propre à une communauté à laquelle il adhère, afin de dépasser les connaissances matérielles qu'il a du monde et qui ne lui suffisent pas pour que son attachement à la vie puisse être tonifiée par un enthousiasme permanant. Répondant à un besoin d'ordonner la société, la religion assouvit nombre de besoins naturels humains ; et en cela la religiosité semble innée et inévitable en chacun puisque même chez des personnes laïques apparaissent des formes d'enthousiasmes propre au religieux. Le problème étant que l'homme peut détourner la religion de son sens premier, à savoir se diriger vers le but véritable de l'existence humaine qui est de déceler la vérité absolue derrière ce voile que seule la foi rend translucide, afin d'assouvir une certaine agressivité et une peur de la différence ; en dépit du contenu pacifiste des écrits religieux et d'aspects de la nature humaine (comme sa sexualité). Or la religion structure solidement toutes les civilisations et cet aspect illégitime a profondément laissé une cicatrice dans nos racines.  L'homme n'est donc résolument pas tendu vers toutes les dimensions de la religiosité ; il est cependant animé par une vocation (de parenté religieuse), un idéal de se réaliser soi même au-delà de sa matérialité ; le degré de cet idéal peut varier ; l'intérêt est de trouver un idéal réaliste afin d'harmoniser l'homme avec son essence première qui est la connaissance d'une vérité absolue.

« religion en toute méconnaissance de cette vérité ? C'est là que Bergson définit son concept de « religionstatique » : la religion dans une forme pratique et sociale, indépendamment de la source primordiale de la religion…En effet, sans la foi, la religion a toujours un sens pour l'homme prosaïque ; elle répond à des instincts premierscomme les instincts d'obéissance, de commandement, de propriété et de sociabilité.

Les manifestations collectives(cultes, cérémonies, sacrements) l'empêchent de faire face aux faiblesses expliquées plus haut ; il les rend ignorantde son incapacité à comprendre ce que Schopenhauer appelle « l'énigme du monde ».

Cependant, les rites et leshistoires que l'homme lambda peut comprendre parviennent à lui enseigner non pas des vérités absolues mais dessortes « d'assurances », d'antidotes, contre les principaux maux qui rendent la nature humaine si craintive ; nouspouvons distinguer parmi ces maux le désordre, le désespoir et l'imprévisibilité.

Le premier maux est corrigé par desinterdits et des tabous qui permettent d'éviter toute forme d'anarchie apte à des confits ; le second (causéprincipalement par la peur de la mort) est discipliné par les cérémonies et les rituels qui, réalisés ensemble et« debout » - tel que le décrit Alain - afin de concevoir une « décence convenable à des vivants qui se saventmortels » ; le troisième est rendue supportable en proscrinant la justice ultime et parfaite après la mort, rendant laconséquence de ses actes prévisibles.Répondant à ses instincts premiers et à un besoin de supporter les morts, la religion a ainsi donc endoctrinénaturellement bien des hommes sans pour autant qu'ils aient pris connaissance de son sens profond.

Pour autant,tous les hommes font indépendamment de leur volonté l'expérience de la religiosité, quelle que soit la croyance quianime sa communauté.

D'après Freud, c'est du complexe parental qu'émanent les origines de tout fait religieux :durant l'enfance l'homme est protégé par non pas une voûte céleste mais une « voûte parentale », et ce jusqu'à ceque la présence rassurante et consolatrice du père et de la mère laisse place à une absence abysalle, absence qu'ilcomble par le biais de son imagination et de sa volonté par l'existence d'un père et/ou d'une mère transcendantaleque rien ne peut corrompre (dans la religion catholique il s'agirait du Dieu et de la Vierge Marie).

Nous observons làune religiosité de nature névrotique : par le biais du culte du transcendantal, l'angoisse infantile ancrée dans nosconsciences est amplement apaisée.

Notons que cette situation ne s'observe pas seulement dans des systèmesreligieux mais également politiques ; le cas de Staline en est le parfait exemple.

Bien que de nombreux dirigeantspolitiques aient pu utiliser un enthousiasme proche de l'enthousiasme religieux, il est plus pertinent de citer cedictateur soviétique car il a détourné ces formidables énergies religieuses pour consolider son régime et faire de safigure un substitut du père, et même de dieu.

Dénuée de la dimension illustrative des religions, étant naturellementanthropomorphe, le fait d'être nommé « petit père des peuples » révèle la nature de la relation établie entre lepeuple et le dirigeant.

Nous reconnaissons ici le rapport entre Dieu et « ses enfants pêcheurs ».

Ainsi, l'hommeparait naturellement névrosé, et nécessiterait de la religiosité afin de soulager cette sorte de « maladie innée » enlui.

Car l'homme apparaît comme malade : de nature faible et dans un monde où rien n'est parfaitement juste niabsolu, l'homme n'a d'autre choix que de trouver refuge dans toute forme de religiosité qui permette de consoliderson attachement à son existence.

C'est ce qu'explicite Marx par la notion d' « opium du peuple » : la religion estaussi efficace qu'une drogue qui, plongeant l'Homme dans un oubli bienfaisant, lui permet d'ignorer totalement, untemps, toute sa misère.

La religion parait donc à ce stade comme résolument salutaire ; l'homme croit car il n'y aque des avantages à cela : tous les motifs d'insatisfactions se voient réparés, le consentement universel de sespairs et le sentiment de protection que cela lui inspirent parait si naturel et si agréable… Serait-ce concevable decroire en l'existence d'un Homme qui échapperait à toute forme de religiosité ? En dépit de ces constats observés précédemment, il existe bel et bien des hommes sujets à l'athéisme (affirmant« croire » en l'inexistence de Dieu) et à l'agnosticisme (dénue de croyance car le caractère insaisissable de lareligiosité le rend sceptique).

Il serait cependant trop hâtif d'affirmer qu'en dépit de ses besoins naturels il existe deshommes dont le comportement est parfaitement areligieux.

En effet selon Eliade, les athées auront beau se vanterd'être libéré de croyances illusoires, leur vie sera tout de même sujette à « des mythologies camouflées et à desritualismes dégradés ».

Actuellement bien que de nombreux pays développés se disent bien plus détachés de lareligion qu'au siècle dernier, ils continuent à se laisser enivrer par ces regroupements, motivés par un besoin deressentir cette sensation unique qui ne se manifeste que lorsqu'ils sont « unis ».

Unis par des émotions qu'ils secréent de toute pièce, avec une grande attention ; que ce soient les mariage civils, les enterrements, lesanniversaires, etc ; même si aucune religion ne stimule tout ceci, cette attention portée autour de ces évènementsqui régissent notre existence a attrait à une certaine religiosité, d'un degré certes moins fort que le culte stalinienou le culte de la race aryenne que nous avons vu à la fin de la partie précédente.

L'athéisme n'est que partiellementdépourvue de l'énergie religieuse ; et parce que tout homme est fondamentalement enclin à une certaine religiosité,nous ne pouvons pas nous libérer de l'attitude qui a été inculqué par nos ancêtres depuis la nuit des temps.

Aufond, l'Homme ne peut croire qu'en lui-même.

Comme le résume Marx, l'homme a fait la religion, et non l'inverse.Ainsi, qu'il s'agisse d'une croyance ancestrale qui a endoctriné énormément d'hommes, d'un culte de la personnalitéqui, comme le culte de Staline, utilise une énergie typiquement religieuse (la sacralisation d'un « Père » bienfaiteur),ou bien de simples traditions culturelles, l'Homme ne fait que croire : il croit en « une nature humaine » qui rassembletous ses pairs… Une nature humaine qui, plus précisément, définit les similitudes entre les hommes afin d'éviter lesconflits et de fuir toute solitude.

Une nature humaine qui, pleinement définie et comprise selon un consensus,permet de trouver le courage de combattre les aléas de la vie.Une vie sans croyance est insupportable : l'homme voit en face la vacuité de son existence, sa contingence, sonimmense faiblesse… il s'agit là de la « misère humaine », misère que Pascal illustre métaphoriquement par la maigreurdu roseau qui, bien que pensant (et donc infiniment « puissant » puisqu'il est bien la seule créature à penser),succombe facilement face à l'immensité de l'univers.

Et en effet l'homme ne peut se permettre de cesser de croire ;dans la mesure où un être est naturellement animé par l'envie d'atteindre toute forme de joie, assumer sa misère luiest insupportable.

Cette torture est très bien mise en évidence dans les Pensées : effectuant une autodestructionde la raison, Pascal prouve à ses lecteurs que sans la religion (et donc sans toute religiosité) l'homme estabandonné à lui-même, incapable de toute connaissance.

La raison ne suffit donc pas ; c'est ce qu'admet Socrate. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles