HUGUET

« mi ère: nimbes qui dessinent une triple muraille autour de la tête des saints, denses couronnes des Rois Mages, coupes où reposent les offrandes à l'Enfant jésus et qu'on pourrait saisir.

Quant aux matières représentées, celles qu'il préfère sont les étoffes: manteau sombre de la Vierge, dont le rebord blanc retombe en cascades d'arabesques, mais surtout étoffes lourdes, telles que les bro­ carts, dont la masse, la solidité sont si bien rendues, qu'elles deviennent elles-mêmes le support de nouvelles scènes brodées.

Tout cela nous emmène assez loin du XVe siècle trop uniformément placé sous le signe du naturalisme et du réalisme.

Huguet, c'est l'évasion hors du réel, du moins tel que le comprend l'époque: laideur, cruauté, même action.

Les mots qui le définissent sont à l'opposé: calme, sérénité, luxe.

Peu de mouvement; si le manteau de la Vierge s'entr'ouvre en plis sinueux, ce n'est ni le frémissement du vent, ni la vivacité d'un geste qui l'emportent: rien que le tassement irrégulier de l'étoffe sous son propre poids.

Point de drames: s'agit-il de supplices, du bourreau lacérant avec des peignes de fer rougis au feu la chair de saint Vincent? Nous n'avons qu'un paisible jardinier avec son râteau.

Evidemment, on peut préférer des nourritures plus corsées.

Mais Huguet offre d'autres attraits.

Il a son univers: un monde heureux ou du moins résigné et qui s'échappe vers le rêve; une poésie faite de mystère.

Tout cela est assez nouveau dans la peinture catalane qui, jus::ju'ici, s'était montrée plutôt docile aux courants internationaux: au XIVe siècle, siennoise avec Ferrer Bassa; au milieu du XVe, eyckienne avec Dalmau.

Apre et dur est encore le maître de Saint Georges.

Cette fois, pas de termes de comparaison ailleurs.

1\1ais on les trouvera en Catalogne même, à condition de réviser l'idée que s'en font les intellectuels castillans: un pays de marchands, dont tout l'idéal est de savoir bien compter.

La patrie de Huguet avait été au XIVe siècle celle de Raymond Lulle, un alchimiste, donc un rêveur, un chrétien qui courut au martyre.

Au temps même de Huguet, c'est encore celle des romans de chevalerie - Curial et Guelfa, Tire-le-Blanc -, celle des cours d'amour, un milieu où l'on situerait volontiers beaucoup de personnages de Huguet, s'ils déposaient leur dignité de saints.

Mais n'est-ce pas dans un cloître catalan, à l'Estany, qu'un peu plus tôt les chapiteaux racontaient des histoires d'amour et que l'amoureuse elle-même, comme Mélisande, dénouait ses longs cheveux? Saint Georges pourrait être Pelléas.

M.

Bertaux, jadis, le jugeait préraphaélite; l'épithète n'est plus une louange, mais ce qu'elle évoque est exact: poésie, musique.

PIERRE LAVEDAN Prqfesseur à l'Université Paris. »