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HUYSMANS: A REBOURS (Fiche de lecture)

Publié le 18/11/2010

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«À rebours ! Oui ! au rebours du sens commun, du sens moral, de la raison, de la nature, tel est ce livre, qui coupe comme un rasoir — mais un rasoir empoisonné — sur les platitudes ineptes et impies de la littérature contemporaine.«

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« plein de faux poissons : «Il se figurait alors être dans l'entrepont d'un brick, et curieusement il contemplait de merveilleux poissonsmécaniques, montés comme des pièces d'horlogerie, qui passaient devant la vitre [...]» En guise d'animal familier, des Esseintes a élu une gigantesque tortue.

Mais, pour qu'elle soit en harmonie avec ledécor, il fait revêtir sa carapace d'une couche d'or incrustée des gemmes les plus rares.

Cette coûteuse fantaisie lelasse aussi vite que tous les autres divertissements auxquels il se livre méthodiquement.

Tour à tour, il collectionneles fleurs exotiques, des «fleurs naturelles imitant les fleurs fausses» cultivées bien entendu dans des serres oùs'épanouissent leurs formes monstrueuses et leurs teintes de «chairs en pourriture» ; il fabrique des parfums dont ilaime «la précision factice» ; il joue avec son «orgue à bouche», une armoire contenant des petits barils de liqueursavec lesquels il compose de savants mélanges, longuement médités : «Chaque liqueur correspondait, selon lui, comme goût, au son d'un instrument.» Il «écoute le goût de la musique» en savourant de vieux portos ou un «véridique whisky d'Irlande». L'INFLUENCE DE BAUDELAIRE Des Esseintes vit en effet dans le monde des «correspondances».

À Baudelaire, son auteur de prédilection, il aemprunté l'horreur de la nature et l'idée que «les parfums, les couleurs et les sons se répondent» (sonnet des«Correspondances», dans Les Fleurs du mal de Baudelaire).

Mais ce qui en 1857 avait l'âpre saveur de la modernité devient en 1884 prétexte à des jeux futiles.

Les «correspondances», loin d'ouvrir sur une «ténébreuse et profondeunité», selon la formule de Baudelaire, dispersent l'être en un mouvement sans fin.

L'essence des choses sevolatilise, comme celle des parfums que des Esseintes vaporise avec frénésie dans son salon : «Il dispersa précipitamment des parfums exotiques, épuisa ses vaporisateurs, accéléra ses esprits concentrés,lâcha bride à tous ses baumes [...]» Le «spleen», hérité lui aussi de Baudelaire, cet ennui qui était pour le poète des Fleurs du mal le signe de la nostalgie d'une «vie antérieure», d'un idéal perdu, devient pour des Esseintes un pur malaise physique : «Quoi qu'il tentât, un immense ennui l'opprimait.

Il s'acharna, recourut aux périlleuses caresse§ des virtuoses,mais alors sa santé faiblit et son système nerveux s' exacerba.» LA SATIRE DU NATURALISME Aux évocations des caprices de l'esthète raffiné succèdent, comme un contre-point réaliste, et même trivial, lesdescriptions des malaises du névrosé.

Dans ces morceaux, Huysmans, non sans ironie, retrouve la veine naturaliste,cette tendance à analyser en termes cliniques les comportements et les caractères.

Mais Huysmans va trop loin.

Son héros, dégoûté de toutes les nourritures solides, finit par être alimenté grâce à unclystère :«Cet événement couronnait, en quelque sorte, l'existence qu'il s'était créée ; son penchant vers l'artificiel avaitmaintenant [...] atteint l'exaucement suprême ; on n'irait pas plus loin ; la nourriture ainsi absorbée était, à coupsûr, la dernière déviation qu'il pût commettre.» L'intention parodique de l'outrance, qui relevait de la farce moliéresque, n'échappa pas à Zola.

Recevant froidementson ancien «disciple» après la parution d'À rebours, il lui déclara : «Je n'admets pas qu'on brûle ce que l'on a adoré.»Mais Huysmans «avait dit ce qu'il avait à dire», et il le répétera dans la préface au roman, écrite vingt ans après.

Lenaturalisme ne fut pour lui qu'une étape et faillit bien se transformer en impasse :«Au moment où parut À rebours, c'est-à-dire en 1884, la situation était donc celle-ci : le naturalisme s'essoufflait àtourner la meule dans le même cercle.

La somme d'observations que chacun avait emmagasinées, en les prenant sursoi-même et sur les autres, commençait à s'épuiser.» L'ESPRIT DÉCADENT LA CRISE DES VALEURS Cette prise de conscience d'un «essoufflement» des valeurs et des formes artistiques qui les exprimaient fonde larévolte décadente.

À une civilisation que le culte nouveau du «progrès» était en train de transformer, les décadentsrépondent par un retour au passé.

Des Esseintes collectionne les objets anciens, souvent chargés d'un sensreligieux : ostensoirs, chapes d'autels, missels, enluminures.

Ils entendent se tenir à l'écart d'une époque livrée «auxdoctrinaires de la bourgeoisie» et dont la vulgarité éclate partout :«Enfin, il haïssait, de toutes ses forces, les générations nouvelles, ces couches d'affreux rustres qui éprouvent lebesoin de parler et de rire haut dans les restaurants et dans les cafés, qui vous bousculent, sans demander pardon,sur les trottoirs, qui vous jettent, sans même s'excuser, sans même saluer, les roues d'une voiture d'enfant entre lesjambes.». »

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