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L'Imaginaire, 1940, Jean-Paul Sartre.

Publié le 10/01/2011

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sartre

Il arrive parfois, au cours d'une conversation, que l'on évoque un évènement passé, en croyant l'avoir vécu, lorsqu'un doute s'empare de nous. Et si nous l'avions imaginé ? La véracité de cette situation n'a plus rien de certain. Aucun moyen ne permet de la vérifier, mais il est néanmoins sûr que l'évènement ait été perçu ou imaginé ; on a conscience de l'avoir ‘vécu' d'une manière ou d'une autre. Le passé peut donc avoir l'effet d'un brouilleur de pistes en ce qui concerne un objet ou un évènement vécu ou imaginé, à la façon de la buée sur une vitre. Mais dans le présent, cette différence est indubitable ; et c'est là-dessus que s'interroge Jean-Paul Sartre, grand écrivain français et philosophe existentialiste du début de XXème siècle, dans cet extrait de l'Imaginaire. Il argumente ici pour montrer que la conscience se rapporte à la fois à la perception et à l'imagination, qui sont deux notions différentes, mais ce, de manière divergente. C'est pourquoi, après nous être livrés à un examen méthodique de l'argumentation de Jean-Paul Sartre, nous tenterons d'en proposer une vision plus critique.      Dans un premier temps (l. 1 à 5), l'auteur sépare nettement la chaise sur laquelle il est assis, de la perception et de l'imagination dont elle est l'objet. Par la suite (l. 5 à 9) il affirme que l'objet de la perception et de l'imagination peut être identique, mais (l. 9 à 13) qu'il reste néanmoins toujours extérieur à la conscience, et c'est là sa thèse. Enfin (l. 13 à 17) il dit que, même si l'objet perçu ou imaginé est le même, la conscience s'y rapporte de manière différente.    Dès la première phrase, Sartre dénonce ce qu'il considère comme incohérent: « Il serait absurde de dire que la chaise est dans ma perception « ; au sens où, selon lui, la perception et le fait de sentir la chaise et non la chaise elle-même. La chaise en tant qu'objet physique ne peut donc pas être dans la perception, car elle n'est pas quelque chose de matériel.  La perception, du latin « perceptio « qui veut dire saisir, désigne le processus de recueil et de traitement des informations transmises par les sens. C'est-à-dire que lorsque nous percevons quelque chose, un objet externe, celui-ci est rapporté par un ou plusieurs de nos sens (dans le cas de la chaise c'est la vue ou le toucher) à notre pensée : c'est un transfert de sensations vers la conscience ; cela désigne la connaissance que l'individu a des activités et des phénomènes de sensibilité qui se succèdent en lui. Ainsi, la chaise est l'objet de la perception, qui est elle-même transmise à la conscience. Il semble donc logique de dire que, comme l'affirme Sartre ici : « Ma perception est (…) un certaine conscience et la chaise l'objet de cette conscience «. Cette thèse est appuyée par le sociologue belge et Docteur en philosophie, Derrick de Kerckhove : « La perception n'est pas le constat d'une réalité objective, elle est la négociation d'une présence au monde «. Selon lui, la perception est le lien entre notre conscience et tout ce qui lui est extérieur ; elle est donc ce qui nous relie au reste du monde.  Quant à l'imagination, du latin « imago « qui signifie image, elle n'est pas une transmission des sens à notre esprit, mais l'apparition d'une image dans celui-ci. Elle n'a rien de physique ou de sensoriel ; ainsi, elle peut se faire les yeux fermés, comme le fait l'auteur. L'imagination relève donc de la représentation mentale de quelque chose qui a été perçu au préalable ou non, et c'est pourquoi elle diffère de la perception. Nicolas de Malebranche, dans son ouvrage De la recherche de la vérité, explicite de manière concrète que l'imagination permet aussi de se représenter mentalement des choses inexistantes, que l'on a par conséquent jamais perçues ; en effet il dit « qu'il arrive très souvent que l'on aperçoit des choses qui ne sont point, et qui même n'ont jamais été «. Il donne différents exemples, dont celui de la montagne d'or. En effet, on peut douter de l'existence d'une telle montagne, mais même dans le cas où celle-ci existerait quelque part dans le monde, il est peu probable d'avoir déjà pu en contempler une. Néanmoins, il semble aisé pour chacun d'entre nous de se représenter mentalement une pareille montagne, c'est-à-dire de faire appel à son imagination pour produire l'image de quelque chose que l'on n'a jamais vu ni perçu ; mais que l'image ait déjà été perçue auparavant ou non, tout cela relève de l'imagination. Par ailleurs, Sartre affirme que « une image de chaise n'est pas, ne peut pas être une chaise. « En effet, une image est une représentation mentale, et cela n'a rien de l'objet physique qu'est la chaise. La chaise et l'image de la chaise sont donc à dissocier clairement.    En outre, qu'il s'agisse de percevoir ou d'imaginer un objet, Sartre écrit qu'aucune de ces deux actions ne peut « entrer dans la conscience «. Mais tout d'abord, qu'est-ce que la conscience ? Le mot vient du latin « cum scientia « qui veut dire littéralement « avec connaissance «, et selon les Principes de la philosophie de René Descartes cela signifie avoir la capacité de savoir ce qu'on pense. La conscience c'est donc avoir connaissance de nos perceptions et imaginations immédiatement ; en d'autres termes c'est posséder la connaissance directe (sans intermédiaire en d'autres termes) des phénomènes sensoriels et intérieurs qui se succèdent en nous. Par exemple, lorsque l'on voit une chaise, on a conscience de la voir, on sait qu'on la voit ; il en va de même lorsqu'on ferme les yeux et qu'on se représente cette chaise. Cependant, on pourrait supposer que l'image serait plus proche de la conscience que la perception, car dans le premier cas il s'agit d'une représentation mentale se déroulant dans l'esprit, alors que dans le 2nd cas, il ne s'agit que de quelque chose d'extérieur, nécessitant l'intervention des sens, c'est-à-dire d'intermédiaires entre l'objet et la conscience.    Mais que ce soit la chaise perçue ou la chaise imaginée, celle-ci ne pénètre en aucun cas dans la conscience ; en effet, entre l'objet et la conscience, il y a toujours l'intermédiaire de la perception ou de l'imagination. Car, toujours selon la thèse de Descartes, la conscience d'un être fait partie de ses pensées, et la pensée est ce qui définit son « moi«, c'est son essence. Sa pensée et plus particulièrement sa conscience sont donc dissociables du corps, car dans l'exemple d'un être rêvant, la pensée fonctionne sans le corps ; à l'inverse, un corps ne peut pas penser car c'est de la matière seule. C'est pourquoi la pensée est quelque chose qui n'est pas localisable, c'est immatériel, ce n'est pas une substance ; donc la conscience est tout aussi immatérielle. De ce fait, la thèse défendue à son tour par Jean-Paul Sartre dans Situations I semble justifiée lorsqu'il dit que «la conscience n'a pas de dedans «. Pour étayer cette théorie, Sartre s'appuie sur l'exemple d'un arbre ; si l'on suit la logique mise en place par Descartes et par lui-même, l'arbre ne peut pas être dans la conscience, car quelque chose de matériel ne peut pas être dans quelque chose d'immatériel, d'où cette phrase tirée du texte de Sartre : « je ne peux pas plus me perdre en lui [l'arbre] qu'il ne peut se diluer en moi : hors de lui, hors de moi«.    Par ailleurs, Sartre dit que, peu importe que la chaise soit perçue ou imaginée, « dans les deux cas elle est là, dans l'espace, dans cette pièce, face au bureau «. En effet, même si dans le cas de l'imagination la chaise est représentée de façon mentale, l'objet de cette représentation reste bel et bien la chaise qui est dans le bureau. Pour la perception, cela semble plus évident, car elle utilise les sens, qui sont rattachés à quelque chose de physique. Donc a première vue on pourrait penser que la chaise imaginée diffère de celle qui a été perçue, dans la mesure où il est impossible de reproduire mentalement un objet de façon exacte, car une image de chaise produite dans l'esprit n'offre pas la même précision et la même netteté que la vue de cette même chaise. Mais à la réflexion, il n'est pas tout à fait juste de dire cela, comme le souligne Sartre dans le texte ; en effet, l'image de la chaise diffère peut-être de la chaise réelle, mais l'objet de l'image est bel est bien la même que celle qui se trouve dans le bureau de l'auteur. C'est pourquoi il dit que « l'objet de [sa] perception et celui de [son] image sont identiques : c'est cette chaise de paille sur laquelle [il est] assis «.    Dans les deux cas, imagination et perception, l'objet en est strictement identique : c'est la chaise « dans sa corporéité «. En effet, c'est la chaise en tant qu'objet physique, en tant que matériau palpable qui est le sujet à la fois de la perception et de l'imagination. Cependant, la relation entre celui-ci et la conscience diffère. Elle se rapporte à cette même chaise de deux manières différentes «. Dans le cas de la perception, la conscience « rencontre « la chaise ; le mot rencontrer est ici employé dans le sens de constater l'existence, la présence de quelqu'un ou de quelque chose. Cette existence est constatée par l'individu grâce à un ou plusieurs de ses sens, puis elle est transmise à la conscience par le phénomène de la perception. C'est une expérience qui ne nécessite l'intervention d'aucune autre instance spirituelle ; en effet, lorsqu'on voit une chaise et qu'on en est conscient, il n'y a pas à douter du fait de la voir, ni à déduire quelque chose de ce fait. C'est cet autre aspect de l'existence de quelque chose qui est abordé par Sartre également dans La Nausée : « Exister, c'est être là, simplement : les existants apparaissent, se laissent rencontrer mais on ne peut jamais les déduire «, c'est-à-dire trouver par un raisonnement.  Par ailleurs, dans le cas de l'imagination, la chaise n'est pas rencontrée par la conscience, car il n'y a pas de contact sensoriel avec l'image, celle-ci étant produite par et dans l'esprit. D'où cette conclusion de Sartre : « dans un des cas, la chaise est ‘rencontrée' par la conscience ; dans l'autre, elle ne l'est pas «.      Dans ce texte, Sartre prend parti de façon catégorique pour une des thèses principales de son argumentation, et c'est là que réside le talon d'Achille de celle-ci. Cela met au jour des points de vue critiques vis-à-vis de cet aspect du texte : « Dans les deux cas [la chaise] est là, dans l'espace, dans cette pièce, face au bureau. « Ainsi, il ne laisse aucune place au doute, quant à la réelle existence de cette chaise. En effet, le fait qu'il la perçoive en premier lieu semble impliquer nécessairement que celle-ci existe réellement. Pour discuter du point de vue de l'auteur on adopte ici une définition plus précise de la perception, donnée par le philosophe français André Lalande: « Percevoir quelque chose, c'est l'identifier en le tenant spontanément pour existant ici-maintenant «. Descartes, dans ses Médiations métaphysiques remet en cause cette certitude grâce à l'argument du rêve. Pour cela, il raisonne par l'absurde en tentant de démontrer de façon indubitable que les objets de notre perception existent ; mais les différents arguments qu'il avance ne s'avèrent pas absolument probants. Le premier argument utilisé est celui de la vivacité des perceptions. On serait effectivement tenté de dire que les objets perçus grâce aux sens semblent plus réels, procurent justement des sensations plus fortes que lors d'un rêve notamment. Mais selon Descartes, cela n'explique pas le fait que certaines perceptions semblent embrouillées et improbables. Par exemple lors de fortes chaleurs, sur la route, à quelques mètres, on croit voir une flaque d'eau et comme un flou qui s'en dégage ; et dès lors qu'on atteint l'endroit qui nous est apparu comme mouillé, on constate à raison que la route ne l'est absolument pas, alors que déjà, une dizaine de mètres plus loin, celle-ci semble à nouveau inondée. Alors qu'on a conscience du fait que cette perception est erronée, elle conserve cependant les autres aspects d'une perception ordinaire ; elle ne semble pas relever de l'imagination car elle se reproduit de manière tout aussi apparente, dès lors que la précédente illusion disparaît. Cette perception implique le même sentiment de vivacité que les autres expériences sensorielles, considérées comme ‘réelles'. Donc selon Descartes la vivacité d'une perception ne prouve en rien son existence véritable. Mais cela s'explique de manière scientifique ; c'est en effet une question de réfraction de l'air atmosphérique. Les sens sont donc trompés par un phénomène que l'on appelle mirage, mais la perception est réelle et observée par tous. On peut donc supposer que la vision d'une flaque d'eau sur la route, même si elle s'avère être un mirage, reste une perception réelle et implique donc le même sentiment de vivacité que les autres perceptions.  Par la suite, Descartes avance un deuxième argument: celui de la résistance du réel. Par là il entend que l'image mentale peut être modifiée à volonté, à l'inverse de la perception, qui nous résiste. En effet, une chaise tissée de paille ne pourra pas être vue couverte de tissus ; pour y parvenir, il faut faire appel à notre imagination. Voir de nos propres yeux cette même chaise couverte de tissus et non de paille relève donc de l'impossible. C'est pourquoi le réel résiste à toute volonté de modification de notre part, soit. Mais n'en irait-t-il pas de même pour le rêve ? En effet, qui n'a jamais fait de cauchemar désagréable, dans lequel on rêve par exemple d'être venu au travail en pantoufles. Cela n'est rien de grave certes, mais c'est embêtant et humiliant ; or, dans ce rêve, on est tout de même condamné à passer la ‘journée' à porter ces pantoufles, même si cela est contre notre gré et que nous donnerions beaucoup pour pouvoir nous munir de nos chaussures habituelles. Il apparaît donc dans ce cas, que le rêve, à l'image du réel, résiste à la conscience et ne puisse être modifié par la force de la volonté. Mais le rêve est un phénomène particulier qui ne fait pas appel à la conscience. En effet, celui-ci diffère de l'imagination, qui se déroule à l'état de veille, et où la simple volonté de changer quelque chose à l'image mentale que l'on se représente est exécutée et appliquée instantanément. La conscience ne peut donc pas intervenir en faveur d'une modification de la situation lors d'un rêve, car c'est le subconscient qui régit le rêve ; la conscience le subit alors de manière passive et il est donc naturel et indiscutable que le rêve résiste à la conscience : cela n'est pas de son ressort. Enfin, Descartes avance l'argument de la cohérence. En effet, il dit que certaines situations réelles semblent moins probables que ne peuvent l'être quelques-uns de nos rêves. En effet, un rêve banal, celui d'une journée qui pourrait être tirée de notre quotidien, est parfaitement vraisemblable. A l'inverse, certaines impressions ne le sont absolument pas ; lorsqu'on souffre d'un mal de tête puissant, on dit avoir l'impression qu'un pivert a élu domicile sur celle-ci et tente de percer un trou dans notre crâne ; sans aller aussi loin, l'impression du trou qu'on essaye de percer subsiste, alors qu'on sait pertinemment que c'est invraisemblable. Mais ce ne sont que des images, des comparaisons utilisées pour mettre des mots sur nos ressentis, et c'est pourquoi Descartes lui-même considère ce dernier argument de la cohérence comme le plus intéressant car il concède qu'il n'est en réalité pas entièrement indubitable. Et c'est d'ailleurs dans cette faille du raisonnement du philosophe que Sartre se glisse pour défendre sa thèse et décrédibiliser l'argument du rêve, au profit d'un argument plus abstrait mais plus transcendant : celui de la richesse infinie du monde perçu.  Le philosophe français Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception décrit le monde perçu comme « une série d'horizons «. Le mot horizon, du grec ancien « horidzô «, signifie borner, limiter. D'où cette définition du terme : limite influençable depuis un point donné. Concrètement, peu importe où l'on se place, il restera toujours un horizon qui cache une partie de la réalité. C'est pourquoi on peut dire que le monde ne se livre jamais entièrement, il reste toujours quelque chose de caché ; les contestataires parleront, entre autres, du désert du Sahara, qui offre à première vue une visibilité limitée par l'horizon géographique seul ; mais en réalité, une dune en cache un autre, puis une autre etc. Donc même ces situations exceptionnelles n'offrent jamais l'intégralité de leurs richesses à partir d'une seule perspective, d'un seul point de vue ; le monde a donc une structure horizontale, au sens littéral du terme. Chaque prise de vue, chaque esquisse complète les précédentes, et ce, à l'infini, pour offrir une vision de plus en plus exhaustive du monde, du réel, même si cette vision ne peut être parfaitement achevée. Et c'est cette richesse infinie du monde perçu qui le différencie du rêve et nous le signale alors comme véritablement réel.  Mais David Hume, philosophe écossais, tente d'infirmer le point de vue de Sartre grâce à sa théorie empiriste. En effet, il met en avant la chose suivante : « Chacun, de lui-même, percevra facilement la différence entre sentir et penser. « Mais selon Sartre, la pensée est à dissocier des sens tout comme de l'imagination. Il distingue « Les perceptions qui entrent avec le plus de force et de violence, nous pouvons les nommer impressions ; (…) toutes nos sensations (…) telles qu'elles font leur première apparition dans l'âme«, des idées.[] « Par idées, j'entends les images affaiblies des impressions dans la pensée et le raisonnement. Telles sont, par exemple, toutes les perceptions excitées par le présent discours, à l'exception seulement de celles qui proviennent de la vue et du toucher, et à l'exception du plaisir immédiat ou du désagrément qu'il peut occasionner. « Dans cette définition, il associe certaines perceptions à des émotions, comme le plaisir ou la gêne. Il ne dissocie pas la perception de la pensée, qui inclut les émotions, car elle est l'essence de l'être. Ce qu'il ressent intérieurement est donc indissociable de ce qu'il est. Selon Hume toujours, tout n'existe qu'à travers des impressions vécues personnellement, au sein de la pensée ; il suppose qu'il n'y a pas d'objet réel. Cela va à l'encontre de la thèse de Sartre qui semble bien moins subjective car celle-ci s'accorde à croire en la réalité des objets et prend de la distance vis-à-vis de l'importance de l'essence de l'être, qui diffère naturellement d'un individu à l'autre.  Cette dernière idée est appuyée par les arguments des matérialistes, certes à l'extrême inverse du courant empiriste, mais qui vont dans la direction de la thèse avancée par Jean-Paul Sartre. L'Anglais Thomas Hobbes, affirme en effet que le sujet qui perçoit a une importance quasi-nulle ou n'existe même pas. Seuls comptent la matière, la réalité ; les expériences personnelles sont expliquées par des phénomènes purement chimiques et physiques se déroulant dans le cerveau. La réalité est une suite de phénomènes qu'il faut expliquer de façon aussi proche que possible de la matière. Par exemple, selon les matérialistes, la conscience est un phénomène issu du fonctionnement cérébral humain. Cette thèse n'est pas abordée par Sartre dans l'Imaginaire mais ce n'est qu'une vision plus tranchante et objective de la réalité, que celle supposée et insinuée par celui-ci. Cette vision concrète, rigoureuse du monde et qui donne dans la direction de celle de Sartre, ne laisse aucune place au doute, et c'est pourquoi elle semble plus fiable que la théorie d'un Descartes s'appuyant sur des situations exceptionnelles et des hypothèses peu plausibles (celle du rêve notamment).    Dans L'Imaginaire de Jean-Paul Sartre, nous avons donc vu que celui-ci distinguait clairement les notions de perception et d'imagination, pour les différencier à leur tour de la conscience ; selon lui, même si l'objet de la perception et de l'imagination est identique dans ces deux cas, le rapport de la conscience à celui-ci est différent et ne peut en aucun cas être le même. Dans le cas de la perception, l'objet est constaté par la conscience alors que dans l'imagination, l'objet ne l'est pas. Mais il est toujours considéré comme existant réellement. Même si cet extrait peut être partiellement remis en doute, celui-ci n'est pas entièrement infirmé par quelque théorie que ce soit. Mais peut-être que, plutôt que de se concentrer sur la différence entre perception, imagination, conscience et réalité, vaudrait-il mieux retenir ce qui les lie dans la vie quotidienne, en méditant ce qu'en dit le poète américain Wallace Stevens : « En présence d'une réalité extraordinaire, la conscience prend la place de l'imagination. «

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« d'intermédiaires entre l'objet et la conscience. Mais que ce soit la chaise perçue ou la chaise imaginée, celle-ci ne pénètre en aucun cas dans la conscience ; eneffet, entre l'objet et la conscience, il y a toujours l'intermédiaire de la perception ou de l'imagination.

Car, toujoursselon la thèse de Descartes, la conscience d'un être fait partie de ses pensées, et la pensée est ce qui définit son «moi», c'est son essence.

Sa pensée et plus particulièrement sa conscience sont donc dissociables du corps, cardans l'exemple d'un être rêvant, la pensée fonctionne sans le corps ; à l'inverse, un corps ne peut pas penser carc'est de la matière seule.

C'est pourquoi la pensée est quelque chose qui n'est pas localisable, c'est immatériel, cen'est pas une substance ; donc la conscience est tout aussi immatérielle.

De ce fait, la thèse défendue à son tourpar Jean-Paul Sartre dans Situations I semble justifiée lorsqu'il dit que «la conscience n'a pas de dedans ».

Pourétayer cette théorie, Sartre s'appuie sur l'exemple d'un arbre ; si l'on suit la logique mise en place par Descartes etpar lui-même, l'arbre ne peut pas être dans la conscience, car quelque chose de matériel ne peut pas être dansquelque chose d'immatériel, d'où cette phrase tirée du texte de Sartre : « je ne peux pas plus me perdre en lui[l'arbre] qu'il ne peut se diluer en moi : hors de lui, hors de moi». Par ailleurs, Sartre dit que, peu importe que la chaise soit perçue ou imaginée, « dans les deux cas elle est là, dansl'espace, dans cette pièce, face au bureau ».

En effet, même si dans le cas de l'imagination la chaise estreprésentée de façon mentale, l'objet de cette représentation reste bel et bien la chaise qui est dans le bureau.Pour la perception, cela semble plus évident, car elle utilise les sens, qui sont rattachés à quelque chose dephysique.

Donc a première vue on pourrait penser que la chaise imaginée diffère de celle qui a été perçue, dans lamesure où il est impossible de reproduire mentalement un objet de façon exacte, car une image de chaise produitedans l'esprit n'offre pas la même précision et la même netteté que la vue de cette même chaise.

Mais à la réflexion,il n'est pas tout à fait juste de dire cela, comme le souligne Sartre dans le texte ; en effet, l'image de la chaisediffère peut-être de la chaise réelle, mais l'objet de l'image est bel est bien la même que celle qui se trouve dans lebureau de l'auteur.

C'est pourquoi il dit que « l'objet de [sa] perception et celui de [son] image sont identiques :c'est cette chaise de paille sur laquelle [il est] assis ». Dans les deux cas, imagination et perception, l'objet en est strictement identique : c'est la chaise « dans sacorporéité ».

En effet, c'est la chaise en tant qu'objet physique, en tant que matériau palpable qui est le sujet à lafois de la perception et de l'imagination.

Cependant, la relation entre celui-ci et la conscience diffère.

Elle serapporte à cette même chaise de deux manières différentes ».

Dans le cas de la perception, la conscience «rencontre » la chaise ; le mot rencontrer est ici employé dans le sens de constater l'existence, la présence dequelqu'un ou de quelque chose.

Cette existence est constatée par l'individu grâce à un ou plusieurs de ses sens,puis elle est transmise à la conscience par le phénomène de la perception.

C'est une expérience qui ne nécessitel'intervention d'aucune autre instance spirituelle ; en effet, lorsqu'on voit une chaise et qu'on en est conscient, il n'ya pas à douter du fait de la voir, ni à déduire quelque chose de ce fait.

C'est cet autre aspect de l'existence dequelque chose qui est abordé par Sartre également dans La Nausée : « Exister, c'est être là, simplement : lesexistants apparaissent, se laissent rencontrer mais on ne peut jamais les déduire », c'est-à-dire trouver par unraisonnement.Par ailleurs, dans le cas de l'imagination, la chaise n'est pas rencontrée par la conscience, car il n'y a pas decontact sensoriel avec l'image, celle-ci étant produite par et dans l'esprit.

D'où cette conclusion de Sartre : « dansun des cas, la chaise est ‘rencontrée' par la conscience ; dans l'autre, elle ne l'est pas ». Dans ce texte, Sartre prend parti de façon catégorique pour une des thèses principales de son argumentation, etc'est là que réside le talon d'Achille de celle-ci.

Cela met au jour des points de vue critiques vis-à-vis de cet aspectdu texte : « Dans les deux cas [la chaise] est là, dans l'espace, dans cette pièce, face au bureau.

» Ainsi, il nelaisse aucune place au doute, quant à la réelle existence de cette chaise.

En effet, le fait qu'il la perçoive enpremier lieu semble impliquer nécessairement que celle-ci existe réellement.

Pour discuter du point de vue de l'auteuron adopte ici une définition plus précise de la perception, donnée par le philosophe français André Lalande: «Percevoir quelque chose, c'est l'identifier en le tenant spontanément pour existant ici-maintenant ».

Descartes,dans ses Médiations métaphysiques remet en cause cette certitude grâce à l'argument du rêve.

Pour cela, ilraisonne par l'absurde en tentant de démontrer de façon indubitable que les objets de notre perception existent ;mais les différents arguments qu'il avance ne s'avèrent pas absolument probants.

Le premier argument utilisé estcelui de la vivacité des perceptions.

On serait effectivement tenté de dire que les objets perçus grâce aux senssemblent plus réels, procurent justement des sensations plus fortes que lors d'un rêve notamment.

Mais selonDescartes, cela n'explique pas le fait que certaines perceptions semblent embrouillées et improbables.

Par exemplelors de fortes chaleurs, sur la route, à quelques mètres, on croit voir une flaque d'eau et comme un flou qui s'endégage ; et dès lors qu'on atteint l'endroit qui nous est apparu comme mouillé, on constate à raison que la route nel'est absolument pas, alors que déjà, une dizaine de mètres plus loin, celle-ci semble à nouveau inondée.

Alors qu'ona conscience du fait que cette perception est erronée, elle conserve cependant les autres aspects d'une perceptionordinaire ; elle ne semble pas relever de l'imagination car elle se reproduit de manière tout aussi apparente, dès lorsque la précédente illusion disparaît.

Cette perception implique le même sentiment de vivacité que les autresexpériences sensorielles, considérées comme ‘réelles'.

Donc selon Descartes la vivacité d'une perception neprouve en rien son existence véritable.

Mais cela s'explique de manière scientifique ; c'est en effet une question deréfraction de l'air atmosphérique.

Les sens sont donc trompés par un phénomène que l'on appelle mirage, mais laperception est réelle et observée par tous.

On peut donc supposer que la vision d'une flaque d'eau sur la route,même si elle s'avère être un mirage, reste une perception réelle et implique donc le même sentiment de vivacité queles autres perceptions.. »

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