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Qu'est-ce que l'imagination ?

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

QU’EST-CE QUE L’IMAGINATION ?    Christophe Bouriau

 

« Acte par lequel la conscience pose son objet comme absent » Sartre

 L’imagination met les choses en lumière, les fait apparaître, même si ces choses sont soustraites au regard.

Mais l’imagination se distingue-t-elle de la perception, de la mémoire ou encore d’une combinaison des deux ? L’imagination se réduit-elle à une perception dégradée ou possède-t-elle une spécificité % à la perception ou à la mémoire ? Enfin, possède-t-elle une autonomie par rapport au mixte de la perception et de la mémoire ?

 

  1. I.              IMAGINATION ET PERCEPTION

 

è Existe-t-il une différence de degré entre les deux ?

 Hume distingue deux sortes de perceptions :

Ÿ les impressions, perceptions fortes et nettes causées par les objets qui affectent notre âme par nos sens.

Ÿ les idées/images, copies de ces impressions.

 

L’imagination n’est donc qu’une sous-perception car elle n’en offre qu’une copie pâle et tronquée.

★ Se distingue de la perception par le degré d’intensité et de précision : faible => imaginaire / fort => perception. Exemple du Parthénon d’Alain p10

ð Critère suffisant pour la vue mais pas pour les autres sens.

 

è Une différence de nature

Sartre établit 4 caractères (le 1er et le 4ème se recoupent) spécifiques de l’imagination % à la perception :

Ÿ différence dans l’attitude de la conscience (active : imagination ≠ passive : perception)

Ÿ imagination fixe qui ne nous apprend rien en partant de la 1ere évocation (mais qui peut se préciser par la mémoire personnelle ou d’autrui) ≠ perception est une découverte progressive qui est en évolution

Ÿ l’imagination donne son objet comme un néant d’être/de présence (p15) ≠ perception pose toujours son objet comme présent/existant

Ÿ imagination caractérisée par un sentiment continu de spontanéité et obtenue par le gré d’un effort mental ≠ perception n’est que réception d’un objet qui lui est donné

 

è La distinction entre imaginer et savoir

Sartre : l’imagination se distingue d’un simple savoir abstrait dans la mesure où elle utilise une certaine matière (analogon) à travers laquelle la CS vise l’objet absent. L’imagination se fonde donc sur des supports : photos, mvts esquissés, souvenirs évoqués par des objets.

L’analogon n’a pas pour but d’être examiné pour ce qu’il est réellement, mais il est traversé par la signification que je vise à travers lui.

 

è Le problème du rêve (hallucinations nocturnes)

Dans les rêves, l’image semble induire l’illusion d’une réalité effectivement physique. La distinction entre perception et imagination, dont nous sommes capables éveillés, n’est plus pertinente dans le rêve car il est impossible de sortir de l’imaginaire clos dans lequel nous sommes entrés.

Ÿ Néanmoins, l’image du rêve continue à se donner comme image même si dans le rêve on ne distingue plus réalité et fiction, car dès que nous sommes réveillés nous identifions immédiatement le contenu du rêve comme image et non comme réalité.

u Sartre ne propose aucun critère fiable permettant de décider en toutes circonstances si tel ou tel contenu représentatif relève ou non de la perception, ce que pointe Descartes : difficulté d’établir un critère fiable et définitif de la perception effective d’une réalité hors de nous.

 

è Comment distinguer l’imaginaire du perçu ? 

Est réellement perçu ce que nous pouvons :

Descartes

Ÿ accorder à la suite de notre vie passée                                                                                                        

Ÿ accorder aux règles évidentes compatibles avec mon entendement (gravité, déplacement..)

 

Taine

Ÿ vérifier physiquement la perception (exemple de la goutte d’eau sur le toit p31)

 

Insuffisance de ces critères réfutés par Leibnitz :

Ÿ une réalité ne s’accordant pas avec le cours d’une vie passée peut prendre des allures de fiction ou inversement.

=> exemple de l’homme ivre de Leibnitz (p29)

Ÿ Nous ne pouvons jamais être absolument  certains que les apparitions expriment quelque chose de réel en dehors de notre représentation puisqu’il nous est impossible de sortir de nos représentations pour remonter à l’origine de ce qui nous apparaît comme un monde ordonné.

 

Ÿ la vérification n’est jamais exhaustive puisqu’il y a une infinité de causes possibles, de plus, je peux moi-même être à l’origine de ces phénomènes, cad m’auto affecter, dans la mesure où je suis incapable de remonter à l’origine de ce qui m’apparaît comme monde externe.

 

  1. II.            IMAGINATION ET MÉMOIRE

è L’imagination est-elle une sous-mémoire ?

L’imagination est < à la mémoire d’un point de vue de précision. Il existe une possibilité d’erreur, mais lorsqu’elle ne se trompe pas, la mémoire réussit à retrouver très précisément  l’objet recherché en restituant exactement le souvenir sans le confondre avec d’autres moments de mon passé, contrairement à l’imagination qui n’évoque que des images floues et qui s’avère toujours trompeuse.

Clément Rosset : « la mémoire est une fonction infaillible, elle ne se trompe jamais à proprement parler : soit elle annonce en toute assurance qu’elle est parvenue à situer exactement le souvenir dans le temps, soit elle annonce qu’elle n’y est pas parvenu. »

 

è La folle du logis (= imagination selon Malebranche et Pascal)

Ÿ Logis = esprit humain, occupé par différentes fonctions. A la relative sagesse des autres fonctions, s’oppose la folie de l’imagination car :

1)   elle tend vers un objet qu’elle ne peut atteindre (aucun des objets qu’elle évoque ne peut faire valoir ses droits à une véritable reconnaissance)

2)   elle nous conduit souvent à prendre l’objet en image pour l’objet réel « L’imagination se joue souvent de nous et parfois bien à contretemps » Kant

3)   elle nous plonge dans l’illusion : le pathos entretenu à travers les passions peut en effet conduire l’individu à prendre ses fantasmes pour la réalité, à perdre contact avec une réalité tp décevante.

 

è Imagination, erreur, illusion, fantaisie

Ÿ L’imagination est parfois impliquée dans l’erreur, presque toujours dans l’illusion.

★ Erreur ≠ illusion car une fois mise à jour, on corrige l’erreur, tandis que l’illusion survit à sa propre réfutation : la prise de conscience ne fera pas cesser l’illusion (du latin illudere signifiant « se jouer de »)

★ L’imagination fait en sorte que les choses s’arrangent pour nous en leur donnant une composition conforme à nos désirs : « les désirs insatisfaits sont les forces motrices des fantaisies qui engagent de grandes quantités d’affect, et qui sont l’accompagnement d’un désir, un correctif de réalité non satisfaisante » Freud

★ « Nous avons l’illusion pour ne pas périr de la vérité » Nietzsche mais l’entretien d’une illusion n’est pas sans danger à terme, pour l’équilibre mental ou même physique d’un individu s’il en vient à perdre contact avec la réalité, et il faut donc non pas réprimer ses désirs et étouffer son imagination, mais sublimer ces derniers, cad les extérioriser indirectement dans une activité valorisée par la société et épanouissante pour l’individu (par exemple un art martial dans le cas d’un désir agressif).

ð l’imagination s’articule à la perception et à la mémoire tout en s’en distinguant par son travail d’arrangement des « choses du monde ».

Fantaisiste = celui qui sort des conventions, des usages ordinaires et qui par ses inventions et son originalité, échappe au caractère sérieux et pesant de la vie.

La fantaisie saute du coq à l’âne, fait des associations audacieuses mais ne s’inscrit pas dans la durée pour produire une œuvre, contrairement à l’imagination où il y a qque chose en vue.

 

è Désir, imagination, création

★ Pour Freud, la fantaisie flotte en trois temps :

     1) perception d’une donnée présente è 2) qui réveille l’un des grands désirs de l’individu qui se reporte au souvenir d’une expérience antérieure (svt infantile selon Freud) è 3) l’imagination intervient pour inventer une situation fictive où le désir jadis accompli trouve à nouveau à se réaliser.

Création artistique > rêve éveillé car :

Ÿ elle extériorise le désir dans une œuvre

Ÿ elle procure un plaisir esthétique

★ « le créateur artistique nous permet de jouir de nos propres fantaisies sans reproche et sans honte » Freud

ð exemple de James Bond (p45)

★ L’imagination intervient pour concevoir la forme/la structure que la matière brute est susceptible de recevoir, mais encore pour présenter à l’artiste les moyens qui vont rendre possible cette mise en forme.

 

è La véritable destinée de l’imagination

★ « elle décompose tte la création et, avec les matériaux amassés et disposés suivant les règles dont on peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf par un nouvel agencement de la matière » Baudelaire

Ÿ L’imagination peut se rapporter à ce qui peut ou va arriver, elle renvoie à une dimension du futur

Ÿ Elle nous détache du passé en nous permettant d’anticiper ce qui n’est pas encore

Ÿ Elle n’a pas pour fonction de retrouver mais de trouver, de prévoir ce qui n’est pas encore visible ; elle nous ouvre sur l’inconnu

Ÿ L’imagination est une sorte d’échappatoire car l’homme envisage par son biais ce qui pourrait le satisfaire. Elle redonne ainsi du sens à une existence monotone, répétitive et frustrante.

 

è L’imagination humaine

★ L’imagination créatrice est une des spécificités de l’homme : « la différence essentielle entre l’homme et l’animal est que l’homme seul peut se désengager du monde présent pour vivre dans une réalité possible, ou imaginaire » Cassirer.

Ÿ Contrairement à la mémoire, les images formées par l’imagination humaine peuvent se rapporter à un objet virtuel, qui n’existe pas encore.

Ÿ Imaginer, comme dit Sartre, c’est « néantiser », cad nier le réel existant pour lui substituer des représentations rivales.

Ÿ L’imagination possède seule le pouvoir de forger un objet ou une situation virtuelle agissant comme stimulant et par lequel l’homme parvient à surmonter la tyrannie de ses émotions et des ses affections. => Elle permet ainsi de refaçonner l’univers conformément à nos intentions.

 

III. L’IMAGINATION CONDITIONNE LA PERCEPTION ET LA MÉMOIRE

 

è L’imagination dans la perception spontanée

Ÿ L’imagination intervient de manière positive dans la perception spontanée lorsqu’elle sert à la compléter.

ð exemple de la perception de la trajectoire d’un oiseau qui passe derrière un mur.

★ Peirce dit que la prétendue perception de la continuité de l’espace visuel relève en fait d’un « work of the intellect », l’intellect aidé de l’imagination comblant les trous dans l’espace.

★ Comment expliquer qu’un même objet donne lieu à des perceptions différentes ? Si la perception était pure réception du donné, réceptacle neutre, simple témoin passif de ce qui nous est offert, nous devrions tous percevoir la même chose.

✖ Cpdt, ce n’est jamais le cas, car dans sa manière de percevoir, chacun projette son imaginaire privé.

ð exemple : les planches de Rorschach

 

 

è Imagination et hypothèse scientifique

Ÿ L’imagination créatrice d’hypothèse, guidée par l’intelligence, permet à la science de progresser, cad de corriger une perception imparfaite de la réalité donnée. Sans l’imagination, la science ne pourrait progresser.

★ Face à un phénomène nouveau que les lois en vigueur ne permettent d’expliquer, on ne peut plus s’en tenir à l’observation et à la démarche inductive : il faut forger une hypothèse explicative, cad imaginer une cause au phénomène.

Ÿ L’imagination doit intervenir pour former des hypothèses explicatives, puis pour inventer un ou plusieurs tests permettant de les vérifier. Notre juste appréhension du réel progresse grâce à l’imagination qui, par ses audaces, par sa capacité de sortir des chemins habituels de pensée, nous fait découvrir de nouveaux rapports entre les phénomènes.

 

è L’imagination créatrice dans la reconstitution du passé

Trois types d’intervention de l’imagination dans la reconstitution du passé :

1)   le passé historique. La représentation que l’historien forme du passé est un tissu construit par l’imagination à partir des documents auxquels il se fie.

✖ conception de l’histoire pbmatique car comment distinguer l’œuvre de l’historien de celle du romancier ? L’œuvre historique doit être cohérente et tendre à la vérité, ce qui engage 3 critères :

Ÿ elle doit s’inscrire dans un cadre spatio-temporel déterminé.

Ÿ elle doit concorder avec le reste du savoir que nous avons du passé en général.

Ÿ elle doit être en relation avec des documents qui guident ses constructions.

2)   les souvenirs lointains. Les souvenirs personnels et le savoir commun s’effritent considérablement avec le temps. C’est avec ces données fragmentaires que nous tentons de retrouver le passé ; l’imagination, guidée par l’intelligence et la confrontation des témoignages, venant remplir les trous laissés par la mémoire.

3)   le passé récent.

ð exemple : les témoignages recueillis par les enquêteurs

Quand l’enquêteur nous interroge sur ce que l’on a vu, on a inconsciemment tendance à compléter le schéma enregistré en nous fondant sur la vraisemblance. La cohérence des souvenirs et leur reconstitution sont l’œuvre de l’imagination éclairée par l’intelligence qui trie et ordonne.

 

  1. IV.          LA REINE DES FACULTÉS

 

èL’empire de l’imagination

★ La connaissance que nous prenons de la réalité donnée dépend encore de l’imagination, inventrice d’hypothèses scientifiques et de tests permettant d’éprouver la validité des hypothèses.

★ La mémoire dépend de :

Ÿ l’imagination qui fournit les « schémas dynamiques » indispensables à son effort de reconstitution du passé.

Ÿ l’imagination créatrice qui, guidée par l’intelligence, comble caines lacunes du passé.

Baudelaire souligne que l’imagination conditionne l’ensemble des opérations de l’âme humaine, tant sensibles qu’intellectuelles : « sans elle (l’imagination), toutes les facultés, si solides et si aiguisées qu’elles soient, sont comme si elles n’étaient pas. »

 

è Imagination, abstraction, généralisation

Ÿ L’imagination prend part à l’abstraction

ð exemple : Matisse => dans ses Ecrits et propos sur l’art, il souligne à maintes reprises qu’il « peint d’imagination », cad qu’après avoir observé un modèle, il s’en détourne pour s’attacher à l’image simplifiée qu’en a gardé son imagination et qu’il reproduira sur sa toile.

★ L’image que donne l’imagination du paysage n’est pas sa copie conforme mais son épure. Le but de l’imagination est donc de rendre visible ce qui sans elle, passerait inaperçu.

 

 

 

 

 è Imagination et ingéniosité

3 étapes dans la construction et l’élaboration d’un objet :

Ÿ l’imagination d’un besoin à satisfaire

Ÿ intervention des connaissances qui vont fournir à l’imagination des matériaux

Ÿ intervention de l’imagination pour assembler ces matériaux de maintes manières jusqu’à trouver celle qui satisfera le désir initial.

★ Il serait abusif de dire que les découvertes de l‘imagination sont dues au hasard ou passives, car un même fait tombant dans un esprit pauvre ou passif reste stérile, tandis que dans un esprit vif, il suscite des représentations neuves se traduisant en découvertes.

 

è Imagination et pensée

★ Leibniz : « les plus abstraites pensées ont besoin de quelque imagination » cad que la pensée humaine serait incapable de dvper une activité sans le secours d’images visuelles ou verbales ou encore de métaphores ou d’analogies.

★ Platon : « les figures dessinées par les Mathématiciens sont indispensables pour arriver à voir ces objets supérieurs qu’on n’aperçoit que par la pensée. »

★ La pensée rationnelle ou spéculative peut faire appel à des fictions, des paraboles, des analogies, voire des mythes, soit pour des motifs pédagogiques, soit par nécessité pour rendre intelligible des idées pour lesquelles nous ne disposons pas de concepts adéquats.

ð exemple : Platon a recours à des tableaux (paradigmes) pour transposer de manière figurée la structure d’un problème et pour en faire saisir certaines idées (l’allégorie de la caverne par ex).

 

 

è Conclusion : Qu’est-ce que l’imagination ?

 

✔ L’imagination donne à « voir » un objet préalablement perçu et non actuellement présent. L’imagination est dite reproductrice : elle reproduit (de manière + ou – fidèle) la sensation d’un objet existant qui nous a déjà affecté. L’imagination n’est pas liée uniquement à la vue mais concerne aussi tous les autres sens

ð exemple de la musique

✔ L’imagination est une disposition à composer des fictions à partir d’éléments empruntés au réel mais qui sont encore des anticipations de l’avenir. Elle invente aussi des machines ingénieuses, toujours en rapprochant de manière neuve les matériaux dont elle dispose : elle crée un nouvel arrangement des données matérielles. L’imagination est créatrice.

✔ L’imagination est productrice. Elle n’emprunte aucun matériau aux organes sensoriels. Sur la base de l’intuition, elle permet d’expliquer des concepts au moyen d’images, d’allégories, mais également de rendre visible, de faire apparaître ce qui, sans elle, resterait invisible ou passerait inaperçu.

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