Inhibition de l'intelligence par le refus d'enregistrer l'échec.

Un jour que j'assistais, à Azemmour, à une prière officielle suivie d'un cortège solennel organisé par le peuple pour demander la pluie à Dieu, j'ai systématiquement demandé aux assistants et aux acteurs, adultes ou enfants, s'ils comptaient sur un succès. Aucun n'a pu s'empêcher de sourire. L'un a répondu : « Peut-être «, en levant les bras au ciel d'un air sceptique ; un autre a ajouté : « Si Dieu le veut « ; un troisième, d'esprit plus prompt, rectifia : « Je ne crois pas, car les gens d'ici sont trop mauvais «, ce qui était évidemment la meilleure manière de concilier le scepticisme et la religion. Certains vont plus loin. Un de mes amis, qui regardait dans un douar un de ces cortèges pour obtenir la pluie où les mendiants promènent une poupée et récoltent des offrandes de maison en maison, demanda à sa femme de ménage arabe si cela servait à quelque chose. Elle lui répondit que les mendiants attendaient pour faire leur tournée que la pluie fût proche, parce qu'autrement on finirait par ne plus rien leur donner. Ceci dit, il est probable que cette femme de ménage avait donné son obole comme les autres, de même que son patron français, encore moins crédule qu'elle, mais qui se gardait d'étaler son scepticisme, pour ne pas avoir l'air de railler l'anxiété publique. Le sourire qui vient aux lèvres des plus superstitieux, dès qu'on semble prendre au sérieux l'efficacité de ces cérémonies, prouve qu'au fond personne n'est dupe ; mais il faut par respect faire semblant de l'être, ou, mieux encore, croire qu'on l'est.... CH. LE CŒUR.