Devoir de Philosophie

L'intelligence en histoire

Publié le 21/05/2011

Extrait du document

histoire

Je prends ici ce mot dans son acception vulgaire, et l'appliquant seulement aux sujets les plus divers, je vais tâcher de me faire entendre. On remarque souvent chez un enfant, un ouvrier, un homme d'État, quelque chose qu'on ne qualifie pas, mais qu'on appelle l'intelligence, parce que celui qui en paraît doué saisit sur-le-champ ce qu'on lui dit, voit, entend à demi-mot, comprend, s'il est un enfant, ce qu'on lui enseigne ; s'il est ouvrier, l'oeuvre qu'on lui donne à exécuter; s'il est homme d'État, les événements, leurs causes, leurs conséquences, devine les caractères, leurs penchants, la conduite qu'il faut en attendre, et n'est surpris, embarrassé de rien, quoique souvent affligé de tout. C'est là ce qui s'appelle l'intelligence, et bientôt, à la pratique, cette simple qualité, qui ne vise pas à l'effet, est de plus grande utilité dans la vie que tous les dons de l'esprit, le génie excepté, parce qu'il n'est, après tout, que l'intelligence elle-même, avec l'éclat, la force, l'étendue, la promptitude. C'est cette qualité, appliquée aux grands objets de l'histoire, qui, à mon avis, est la qualité essentielle du narrateur, et qui, lorsqu'elle existe, mène bientôt à sa suite toutes les autres, pourvu qu'au don de la nature on joigne l'expérience, née de la pratique. En effet, avec ce que je nomme l'intelligence, on démêle bien le vrai du faux, on ne se laisse pas tromper par les vaines traditions ou les faux bruits de l'histoire, on a de la critique; on saisit bien le caractère des hommes et des temps, on n'exagère rien, on ne fait rien trop grand ou trop petit, on donne à chaque personnage ses traits véritables, on écarte le fard, de tous les ornements le plus malséant en histoire ; on peint juste ; on entre dans les secrets ressorts des choses, on comprend et on fait comprendre comment elles se sont accomplies; diplomatie, administration, guerre, marine, on met ces objets si divers à la portée de la plupart des esprits, parce qu'on a su les saisir dans leur généralité intelligible à tous ; et quand on est arrivé ainsi à s'emparer des nombreux éléments dont un vaste récit doit se composer, l'ordre dans lequel il faut les présenter, on le trouve dans l'enchaînement même des événements, car celui qui a su saisir le lien mystérieux qui les unit, la manière dont ils se sont engendrés les uns les autres, a découvert l'ordre de narration le plus beau, parce que c'est le plus naturel; et si, de plus, il n'est pas de glace devant les grandes scènes de la vie des nations, il mêle fortement le tout ensemble, le fait succéder avec aisance et vivacité; il laisse au fleuve du temps sa fluidité, sa puissance, sa grâce même, en ne forçant aucun de ses mouvements, en n'altérant aucun de ses heureux contours; enfin, dernière et suprême condition, il est équitable, parce que rien ne calme, n'abat les passions comme la connaissance profonde des hommes. Je ne dirai pas qu'elle fait tomber toute sévérité, car ce serait un malheur; mais quand on connaît l'humanité et ses faiblesses, quand on sait ce qui la domine et l'entraîne, sans haïr moins le mal, sans aimer moins le bien, on a plus d'indulgence pour l'homme qui s'est laissé aller au mal par les mille entraînements de l'âme humaine, et on n'adore pas moins celui qui, malgré toutes les basses attractions, a su tenir son coeur au niveau du bon, du beau et du grand. L'intelligence est donc, selon moi, la faculté heureuse qui, en histoire, enseigne à démêler le vrai du faux, à peindre les hommes avec justesse, à éclaircir les secrets de la politique et de la guerre, à narrer avec un ordre lumineux, à être équitable enfin, en un mot à être un véritable narrateur. L'oserai-je dire? presque sans art, l'esprit clairvoyant que j'imagine n'a qu'à céder à ce besoin de conter qui souvent s'empare de nous et nous entraîne à rapporter aux autres les événements qui nous ont touché, et il pourra enfanter des chefs-d'oeuvre.

(Histoire du Consulat et de l'Empire, livre XII, Boivin et Cie, éditeurs.)

QUESTIONS D'EXAMEN I. — L'ensemble. — Nature du morceau : une dissertation, dans laquelle Thiers montre que la qualité maîtresse de l'historien est, selon lui, l'intelligence. — 1° Définit-il l'intelligence? Comment procède-t-il ,pour faire comprendre ce qu'est cette faculté? 2° Si l'historien est doué de cette qualité essentielle, que lui est-il donné de faire? a) Il démêle le vrai. du faux; b) Il saisit bien le caractère des hommes et des temps; c)...; d...), etc.; 3° N'y a-t-il pas, à cet égard, autant de rapports de cause à conséquences? (établir nettement l'un de ces rapports, — par exemple celui qui existe entre l'intelligence et l'équité); 4° Que doit joindre l'historien à l'intelligence, d'après Thiers? 5° Montrez que l'intelligence ne bannit chez l'historien, ni l'animation, ni la sévérité (relever à ce sujet, dans le texte, deux expressions caractéristiques); 6° Faites ressortir la parfaite unité de ce morceau.

II. — L'analyse du morceau. — 1° De plan du morceau apparaît facilement : indiquez-le avec netteté; 2° Donnez un titre à chacun des trois alinéas; 3° Comment l'auteur définit-il le génie? 4° Qu'entend-il par l'expérience? 5° Commentez ce membre de phrase : « ...S'il n'est pas de glace devant les grandes scènes de la vie des nations «; 6° S'il était de glace, que pourrait-on justement lui reprocher?

III. — Le style; — les expressions. — 1° Quelles sont les qualités essentielles du style, dans ce morceau? (la clarté; — style parfaitement clair, limpide; le lecteur est tout heureux de comprendre si bien lui-même ce que dit l'auteur; quelques exemples; — l'aisance; tout est dit sans effort, sans recherche; — le montrer); 5° Relevez quelques expressions imagées (s'il n'est pas de glace...; il laisse au fleuve du temps..., etc...) ; ces expressions vous paraissent-elles nuire au style? 3° Indiquez le sens de chacune des phrases suivantes : On a de la critique...; On écarte le fard...; On entre dans les secrets ressorts des choses...; Il est équitable; 4° Quelle est ici la signification de entendre? (3e ligne).

IV. — La grammaire. — 1° Indiquez un synonyme de acception, —de équité? 2° Composition des mots malséant, clairvoyant; 3° Nature et fonction de chacun des mots suivants : ce qu'on lui dit (premier alinéa). Rédaction. — Dites l'attrait qu'olive pour vous l'étude de l'histoire.   

Liens utiles