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?Introduction au XIX° siècle

Publié le 22/09/2010

Extrait du document

 

1.

Assurant le lien entre les XVIII° et XX° siècles, soit entre le « siècle des Philosophes «, qui aboutit à la Révolution de 1789, et la « modernité « de celui qui débute sous les tristes auspices de la « boucherie « de 1914-1918, le XIX° siècle littéraire joue un rôle fondamental – la littérature posant toujours à sa façon, autrement, les enjeux historiques, politiques, idéologiques plus généralement et surtout, d’une société donnée. L’incroyable variété, l’étonnante richesse littéraire de ce siècle en témoigne : les trois genres classiquement admis (roman, théâtre, poésie) sont simultanément à l’honneur (alors que le XVIII° boudait la poésie et ne s’intéressait guère au roman, leur préférant le théâtre et les essais, genres plus polémiques), honneur que leur rendra sans conteste la postérité. Le nombre des « classiques « de la littérature française – ceux, du moins, que le XX° siècle consacrera comme tels – atteint en effet probablement, à lui seul, celui qu’auront réuni les trois siècles précédents !

 

À noter pour le XIX° siècle : l’importance des « salons « (le XIX° prolongeant en cela l’esprit du XVIII°), véritables foyers d’inspiration, des « soirées « (les « mardis « de Mallarmé) ; l’importance et l’influence de la presse, des périodiques, dans laquelle publient, se font connaître et polémiquent les auteurs.

 

2.

Il est souvent hardi, et toujours réducteur, de proposer des « périodes « en littérature – la chose littéraire ne se réduisant jamais aux cadres imposés a posteriori par la critique, qu’ils soient idéologiques (le mouvement, souvent confus, des idées ne prenant, la plupart du temps, conscience de lui que dans l’après-coup, la pensée d’une époque ne se détachant clairement sur un fond mouvementé que pour la ou les générations d’après : c’est pour nous que Baudelaire est le premier poète de la « modernité «) ; ou simplement relatifs à la datation des « mouvements «, constitués ou non en « écoles «, rassemblés ou non autour d’une figure maîtresse, conscients ou non d’eux-mêmes.

Cependant, face à l’extraordinaire production littéraire du siècle, il nous faut bien glaner quelques repères… tout en gardant à l’esprit la relativité de leur efficace, un siècle ne se « découpant « jamais ainsi, aussi abruptement :

 

* 1) Le préromantisme 1801-1824

Ces « bornes « nous montrent déjà la relativité de la datation. On peut en effet faire remonter ce que l’on appelle le « préromantisme « à Rousseau, c’est-à-dire à la production du dernier tiers du XVIII° siècle (Confessions, Rêveries…).

Histoire : 1801, le Concordat ; 1804, sacre de Napoléon ; 1815, Waterloo ; 1815-1824, règne de Louis XVIII.

Littérature : Chateaubriand, Mme de Staël

 

* 2) La génération romantique 1820-1850

Le mot même de « romantisme « est problématique : il revient indirectement à Stendhal, qui parle de « romanticisme « dans son essai Racine et Shakespeare, en 1823, le présentant comme un « art moderne « (il oppose ainsi le classicisme de Racine à la « modernité « – mais attention, le mot ne sera prononcé qu’ultérieurement, par Baudelaire – de Shakespeare, dont l’influence est considérable pour la génération romantique). Attention également à l’évolution du mot : l’adjectif « romantique « employé aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le mouvement dont il est issu ! (idem pour l’adjectif « surréaliste, du reste) Il faut aussi comprendre que le romantisme est loin d’être un mouvement exclusivement français : c’est, bien au contraire, un mouvement véritablement européen, dont l’Allemagne, dès le dernier tiers du XVIII° siècle, puis l’Angleterre, sont les véritables instigateurs. On reproche d’ailleurs parfois au romantisme français sa « fadeur «, comparativement au puissant mouvement idéologique allemand dont il n’est que l’émanation tardive.

Histoire : 1821-1829, guerre d’indépendance grecque ; 1824-1830, règne de Charles X ; 1830, révolution de Juillet ; 1830-1848, règne de Louis-Philippe ; 1840-1848, gouvernement de Guizot ; 1848, révolution de Février ; 1848-1851, Seconde République.

Littérature : Lamartine, Vigny, Hugo, Nodier, Balzac, Stendhal, Musset, Sainte-Beuve, Mérimée, Chateaubriand.

 

* 3) Positivisme et réalisme 1850-1890

* 4) Idéalisme et symbolisme 1850-1890

Même période (seconde moitié du siècle) pour ces deux tendances que l’on a coutume d’opposer l’une à l’autre (quoique Sartre, écrivain de l’engagement, y décèle une semblable déprise du réel : le romancier « surplombant « le monde qu’il prétend objectivement décrire, d’une part : Flaubert, Zola ; d’autre part, la volonté affichée du poète de s’extraire d’une réalité jugée par trop prosaïque : Mallarmé) : l’une concerne davantage le roman ; l’autre, la poésie ; ou encore l’une cherchant à « coller « à la réalité ; l’autre visant à s’en déprendre pour atteindre à un Idéal qui n’est pas de ce monde.

Toutefois, on peut considérer que la poésie parnassienne fait le lien entre ces deux tendances : Le Parnasse contemporain (éditeur : Lemerre), paru en 1866, 1871 et 1875, rassemble des collaborateurs que la postérité appellera « parnassiens « ainsi que de futurs « symbolistes «, tels Mallarmé et Verlaine. Par ailleurs, la doctrine de ce que l’on ne saurait à proprement parler une « école « s’est constituée en réaction contre ce que certains ont estimé être le flou, le vague artistique des romantiques : dans le sillage de Théophile Gautier et des théoriciens de l’Art pour l’Art, certains poètes se sont donné pour but la perfection formelle, le travail et l’érudition, le souci de l’objectivité scientifique, rejoignant en cela les préoccupations d’un Flaubert (recherche de l’impersonnalité, culte de la beauté formelle) ou d’un Zola (objectivité scientifique), par exemple. Le maître du Parnasse est Leconte de Lisle (1818-1894), autour de qui gravitent Théodore de Banville (1823-1891), Sully Prudhomme (1839-1907), François Coppée (1842-1908) et José-Maria de Hérédia (1842-1905).

Histoire : 1851, coup d’État du Deux Décembre ; 1852-1870, Napoléon III empereur ; 1870-1871, Sedan, le siège de Paris, proclamation de la Troisième république, la Commune.

Littérature : Sainte-Beuve, Leconte de Lisle, Gautier, Hugo, Nerval, Flaubert, Baudelaire, Zola, Rimbaud, Mallarmé, Maupassant, Verlaine, Huysmans, Laforgue.

 

3.

Historiquement, politiquement, socialement… : de l’espoir à la désillusion (de la Révolution à la Terreur, de l’Empire à la Restauration…)

En littérature, et d’après les titres des ouvrages du critique Paul Bénichou, de la génération des « mages « romantiques (Hugo, Vigny, Lamartine) à celle des « désenchantés « (Musset). Il s’agit de comprendre l’évolution de la littérature en fonction des désillusions politico-sociales successives. Prenant la place, le temps d’une génération seulement, de l’autorité défunte au moment de la Révolution de 1789 (pouvoir temporel : le roi, et spirituel : le prêtre), le mage romantique – dont la figure emblématique est bien sûr Victor Hugo – est un poète « inspiré «, simultanément guidé par la Providence (autorité spirituelle) et le Peuple, que lui-même à son tour guide, en prophète inspiré, renouant en cela avec la plus vieille tradition messianique. Cette position ne saurait être maintenue : la génération des « Petits « Romantiques ne croit déjà plus à ce que croyaient leurs aînés. Il suffit de comparer Hugo à Baudelaire pour comprendre l’évolution des mentalités en l’espace d’une génération : s’il maintient pour lui-même son piédestal (Baudelaire avait une haute opinion de lui-même), le poète, misanthrope, se détache désormais d’un monde qui le déçoit, et ne prétend plus guider quiconque.

 

4.

* 1) Le préromantisme

Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une tendance clairement définie. La discussion était, du reste, rendue difficile par le conservatisme artistique de Napoléon, qui ne favorisait pas l’évolution des mentalités. Deux groupes de pensée s’opposent : certains (Maine de Biran 1766-1824) annoncent une réaction spiritualiste, les sensations conduisant pour eux au sentiment d’infini, ou encore (Ballanche 1776-1847), par-delà les acquis du XVIII° siècle, cherchent à réhabiliter la religion comme fondement des institutions ; d’autres au contraire (Destutt de Tracy 1754-1836 ; Volney 1757-1820), sous le nom d’ « idéologues «, prolongent les recherches des Encyclopédistes du siècle précédent.

Même opposition dans le domaine des idées politiques et sociales : les traditionalistes, tel Joseph de Maistre (1753-1821), reprennent l’idée (cf. Bossuet) d’une Providence intervenant dans la destinée des peuples, et persistent à attribuer à la monarchie un fondement divin ; cependant l’esprit voltairien n’est pas mort : il revit dans le libéralisme d’un Paul-Louis Courier (1772-1825) ou dans les idées d’un Charles Fourier ou d’un Saint-Simon (1760-1825) qui veulent modifier les bases mêmes de la société, annonçant en cela les doctrines socialistes.

Sur le plan proprement littéraire : l’esprit conservateur empêche le renouvellement des genres. En poésie comme au théâtre, les contraintes de la versification comme les règles dramaturgiques, la langue « noble « encore, entravent l’inspiration personnelle. Le renouveau vient cependant du mélodrame, genre populaire à la mode qui annonce le drame romantique par le mélange des genres, le rejet des unités et le goût des effets violents (Pixérécourt 1773-1844). Le roman produit quelques belles œuvres isolées, chefs-d’œuvre d’observation et d’analyse : Oberman (1804) de Senancour (1770-1846) ; Adolphe (1816) de Benjamin Constant (1767-1830). Mais c’est là encore d’un genre plus populaire que viendra le renouvellement en ce qui concerne le genre romanesque, à savoir le roman noir, venu d’Angleterre, et dont les premiers romans de Balzac se souviendront.

Les genres n’évoluent guère, mais les goûts commencent à changer : on s’intéresse à la tragédie (influences conjointes de l’anglais Shakespeare et de l’allemand Schiller), et c’est un véritable débat international que lance notamment, en 1813, Mme de Staël (1766-1817), résolue partisane d’un cosmopolitisme littéraire européen. Dans De l’Allemagne (1810), elle présente aux Français la civilisation et la littérature allemandes, souhaite la rénovation des genres et essaie d’appliquer à la critique littéraire, dans De la littérature (1800), la fameuse « théorie des climats « de Montesquieu (la diversité des lois et des institutions découle de celle des climats, selon lui) : elle met fin à l’idée du beau unique et absolu qui informait toute la littérature classique, inaugurant ainsi une relativité du goût.

 

* 2) La génération romantique

Il est malaisé de parler d’ « une « école romantique, car on discerne plusieurs étapes dans un mouvement lui-même éminemment complexe.

 

a. 1820-1826

Autour de Mme de Staël, dès 1813, un premier débat où s’opposent pour la première fois « Classiques « et « Romantiques «. Les influences conjuguées du théâtre de Shakespeare, du théâtre allemand (Schiller), de la poésie lyrique anglaise (Ossian, puis Byron et les poètes « lakistes « : cf. l’influence de Byron sur Lamartine, puis de ce dernier sur Musset), du roman noir, du roman historique de Walter Scott – ainsi des littératures anglaise et allemande – cristallisent la discussion.

La chute de l’Empire favorise la reconnaissance d’un « mal du siècle « (cf. Musset et la Confession d’un enfant du siècle, ce qu’il nomme la « désespérance « dès les premières pages de l’ouvrage) qu’avait préparé l’essor de la sensibilité à la fin du XVIII° siècle (notamment Rousseau, cf. ce que le titre du même Musset doit aux Confessions de Rousseau). On aboutit ainsi à un premier romantisme, celui des années 1820-1826, aux aspirations encore assez confuses (le Lamartine des Méditations, 1820 et Charles Nodier dans le genre du conte). Leurs moyens d’expression sont les périodiques : Le Conservateur littéraire (les frères Hugo), La Muse française (E. Deschamps). Les foyers d’inspiration sont les salons : le Cénacle de Jacques Deschamps, rue Saint-Florentin, et le salon de Nodier, à la Bibliothèque de l’Arsenal.

 

b. 1827-1830

La confusion de ce premier Romantisme était due à la position ambivalente des jeunes auteurs, qui, se plaçant dans la lignée de Chateaubriand, et souhaitant ainsi renouer avec un passé monarchique et chrétien, se sentaient simultanément mal à l’aise face à un monde moderne qui, ils le pressentaient, évoluait autrement. Comment rester fidèle à d’anciennes valeurs si l’on souhaite inventer des formes nouvelles ? Ainsi, le cas de l’Orient, d’abord « couleur locale «, simple décor pittoresque, qui évolue vers une prise de conscience politique : l’oppression des Grecs par les Turcs amène certains auteurs à sympathiser avec la cause philhellène.

Le Globe : nouveau journal, qui prolonge des idées des Philosophes du XVIII° et des « idéologues « du premier Romantisme. Parmi eux, qui se démarquent par leur volonté de lucidité et d’analyse : Sainte-Beuve, Mérimée, Stendhal.

Puis, événement d’importance, Hugo se rapproche du Globe, devient l’ami de Sainte-Beuve, engageant ainsi la lutte pour un art libre au sein du fameux « Cénacle « qu’il fonde avec ce dernier dans son appartement de la rue Notre-Dame-des-Champs. La Préface de Cromwell (1827) s’offre alors comme le manifeste du Romantisme : sans rien abdiquer de ses ambitions artistiques, le mouvement cherche à devenir la voix de son temps. Les ambitions théoriques du Cénacle se doublent par ailleurs d’une volonté d’envahir la scène, le théâtre se heurtant encore aux conventions littéraires héritées du Classicisme et à des oppositions d’ordre politique que la Révolution n’avait pas fait cesser (cf. la critique de la censure par Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro). Le triomphe d’Hernani (1830) consacre le drame comme le genre romantique par excellence : refus des unités, mélange des tons, respect de la vérité historique et de la couleur locale, souci d’une langue vraie et moderne, le tout au service d’une grande idée morale ou politique, l’objectif étant non seulement de distraire (cf. les revendications du théâtre classique), mais aussi, et surtout, de faire réfléchir le peuple (contrairement, bien sûr, au théâtre classique, qui devait servir à confirmer le roi dans sa toute-puissante autorité).

 

c. Après 1830

Après 1830, l’ « école « romantique se disloque : chacun des grands romantiques va s’appliquer à réaliser sa propre œuvre dans la direction qu’il souhaite lui impulser. Les « Jeune-France «, chantres tapageurs du mouvement, tentent cependant de le prolonger dans des ateliers d’artiste, comme celui du sculpteur Jehan du Seigneur (entre 1831 et 1833). Néanmoins, c’est bien la révolution de 1830 qui trouble le plus les esprits : les uns (Hugo, Lamartine, Vigny) estiment qu’il faut accorder la priorité aux problèmes politiques et sociaux et se tournent vers ce que l’on appelle un romantisme « humanitaire « ; les autres, par réaction, n’assignent désormais à l’art rien d’autre que la poursuite de la Beauté. Ainsi le groupe que formèrent Gautier et Nerval de 1833 à 1835, dans l’impasse du Doyenné.

 

* 3) Positivisme et réalisme

 

a. Le roman réaliste

Le maître de ce que l’on a appelé le « réalisme « est sans conteste Gustave Flaubert (1821-1880) : l’étiquette est étroite cependant, et l’on ne saurait sans réserves l’appliquer au père de Madame Bovary. Quelles raisons cependant à cette appellation ? Le respect d’une méthode scientifique et positiviste qui vient contrebalancer des tendances romantiques dont Flaubert ne se départira néanmoins jamais complètement ; le culte de ce qu’il a appelé « l’impersonnalité «, refus de laisser transparaître en littérature les sentiments intimes de l’auteur.

On constate que le romancier se débat, dans toute sa production, avec cette double « postulation « (Baudelaire), oscillant entre romantisme flamboyant et observation volontairement objective : la Tentation de saint Antoine fait défiler d’étranges visions (1849) ; Madame Bovary (1857) peint le tableau d’un banal fait-divers provincial et accuse précisément, sous les traits de l’héroïne éponyme, les dangers du romantisme ; Salammbô (1862), sous couvert d’une grande rigueur historique, campe le rêve oriental ; L’Éducation sentimentale (1869), roman de l’échec, est celui du « héros «, mais aussi celui de toute une génération, celle qui, issue du romantisme, eut 20 ans en 1840 (cf. Musset et sa Confession) ; les Trois contes (1877) sont tentés par ce fantastique qui informait déjà la première Tentation de saint Antoine ; enfin Bouvard et Pécuchet, roman inachevé, renoue avec le roman d’observation et l’analyse de cette médiocrité humaine que cherchait déjà à interroger Madame Bovary.

On range aussi dans la catégorie « réaliste « les frères de Goncourt, Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870), observateurs minutieux de la vie réelle et moyenne. Cependant, ils cherchèrent délibérément à relever leur réalisme par la recherche d’un style, l’ « écriture artiste «.

 

b. Le roman naturaliste

Pas d’ « école « réaliste, mais bel et bien une « école « naturaliste, avec pour chef de file revendiqué et assumé Émile Zola (1840-1902). Ce dernier fut profondément marqué par le « scientisme « de son temps (Darwin, Taine, Claude Bernard et son Introduction à la méthode expérimentale de 1865, Lucas et ses travaux sur l’hérédité), au point de concevoir pour la littérature des ambitions proprement scientifiques. Il entreprend en 1868 de faire « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire «, Les Rougon-Macquart, dont les membres sont tous marqués d’une hérédité fatale. Le roman est pour lui le terrain d’une expérience scientifiquement conduite, avec la lucidité clinique du médecin et la perspicacité de l’enquêteur. L’Assomoir (1877) est un succès, que vient corroborer la constitution d’un petit groupe d’écrivains autour du maître : Maupassant et Huysmans notamment. Le collectif de nouvelles intitulé Les Soirées de Médan (1880) consacre l’école dite « naturaliste «. Il faut cependant comprendre que l’art de Zola ne se limite pas à l’observation clinique : son style, parfois épique ou impressionniste, peuplé de visions, est un monde à lui seul que ne saurait en rien réduire l’étiquette « naturaliste «.

Maupassant (1850-1893) dépasse lui aussi la doctrine naturaliste : la littérature ne se réduit pas à une simple reproduction du réel, mais convoque au contraire les nécessités artistiques qui sont celles du « choix « et de la « concentration «. Ce parti-pris de concision fait de Maupassant un remarquable conteur, qui produit près de 300 nouvelles de 1881 à 1891, ainsi que 6 romans à partir de 1883. Sa veine fantastique témoigne, du reste, de ce que l’étiquette « naturaliste « est loin de répondre d’une simple « photocopie « du réel (l’observation froidement clinique du journal dans Le Horla se heurte à l’incompréhensible et à l’inexplicable, comme la raison se heurte à la folie).

Mais encore, des auteurs de moindre importance : Alphonse Daudet (1840-1897) et Jules Vallès (1832-1885).

 

* 4) Idéalisme et symbolisme

L’école symboliste ne s’est constituée qu’après l’apparition d’œuvres qu’on ne saurait qualifier de « symbolistes «, mais dont les symbolistes se réclameront et qu’ils prendront pour modèles – ceux qui ainsi se nommèrent ne parvenant jamais à égaler la production de leurs fameux aînés : Nerval (1808-1855), Baudelaire (1821-1867), Rimbaud (1854-1891), Verlaine (1844-1896), pour les plus importants ; Charles Cros (1842-1888) et Tristan Corbière (1845-1875) à un moindre degré.

Ce que l’on a appelé « l’esprit décadent « (entre 1880 et 1886) a précédé le symbolisme. L’expression renvoyait aux idées de Baudelaire concernant la modernité et l’artifice (cf. sa critique picturale, capitale dans la compréhension de ce que l’on appelle aujourd’hui notre « modernité «) et renvoyait à ce vers verlainien : « Je suis l’Empire à la fin de la décadence «. Les artistes étaient persuadés de vivre les derniers raffinements d’une civilisation mourante (les désillusions politiques successives au XIX° ont accusé l’échec des idéaux de la Révolution, le monde se présentant désormais sous une forme incohérente, incompréhensible, qu’il paraissait alors impossible de dépasser). Le célèbre roman de Joris Karl Huysmans, À rebours (1884), fait précisément le portrait d’un « décadent « typique. On songe également à l’œuvre de Jules Laforgue (1860-1887), dont la sensibilité exacerbée, le pessimisme radical concordent avec les raffinements tortueux de la décadence.

Bien qu’il n’ait pas fondé l’école symboliste, Stéphane Mallarmé (1842-1898) accepta d’en être le parrain. Son œuvre, elle-même redevable des influences d’Edgar Poe et de Baudelaire, mais encore de l’ambiance « vaporeuse « des peintres préraphaélites, répondait en effet très exactement aux aspirations de la jeune génération décadente, qui vit en lui un maître incontesté et indépassable. Pour Mallarmé et à la suite de Baudelaire, l’artifice conditionne la Beauté, elle-même n’étant du reste ici-bas que le reflet d’un monde idéal (« l’Azur «), qui hante un poète contraint d’y répondre et cependant conscient de ne jamais pouvoir l’atteindre – la poésie écrite n’étant pour Mallarmé que le fragment détaché d’un Absolu poétique, ainsi le poème qui n’est qu’un feuillet du « Livre « absolu. La nouvelle esthétique qu’il propose fait du poète le prince d’un univers détaché de tout ancrage avec la réalité concrète des choses, les objets n’existant aux yeux du poète qu’en tant qu’ils s’abolissent sous son regard, consentant seulement à lui abandonner leur dépouille, suggérant – le mot est mallarméen – « en creux « une présence diffuse et quasi impalpable (« Je dis : une fleur ! «). Le risque pris par une telle poésie est réel : obscurité (on le lui reproche encore suffisamment), densité, stérilité (le souci de perfection comme la conscience des enjeux de cette poésie ne sauraient être compatibles avec la fécondité). Le langage poétique, véritable « incantation « verbale, se différencie radicalement du langage ordinaire (« l’universel reportage «) : la poésie a sa langue propre (à noter : le contre-pied pris par la génération suivante, en la personne notamment d’Apollinaire, cf. « Zone «).

Mallarmé devient célèbre le jour où Huysmans fait de la poésie mallarméenne la lecture favorite de son « héros «, des Esseintes (à qui il fait également lire Verlaine). Il prend l’habitude de recevoir tous les mardis, à son domicile rue de Rome, et parmi les disciples fidèles, on rencontre Paul Valéry et André Gide. En 1886, Jean Moréas publie un manifeste dans Le Figaro, qui, définissant l’école symboliste, fait de Mallarmé son maître.

 

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