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IPHIGENIE DE RACINE ou LA CONSÉCRATION D'UN DRAMATURGE

Publié le 09/04/2011

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   I. — RACINE AU MOMENT D'IPHIGÉNIE    Nous n'allons pas raconter ici la vie de Racine; on la trouvera dans l'étude consacrée à Andromaque, dans la même collection. Essayons seulement de nous représenter le poète au moment où il fit jouer Iphigénie.    Cette tragédie est l'avant-dernière de la suite magistrale Andromaque (1667), Britannicus (1669), Bérénice (1670), Bajazet (1672), Mithridate (1673); en six ans cinq chefs-d'œuvre, salués du bout des lèvres par une critique malveillante, mais qui doit cependant reconnaître le génie.    Corneille lutte désespérément; ses pièces à lui s'appellent Attila (1667), The et Bérénice (1670), Psyché (1671), Pulchérie (1672) et quelques mois après Iphigénie, Suréna.

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« « Que tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur Emouvoir, étonner, ravir le spectateur.

Jamais Iphigénie en Aulideimmolée, N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée, Qu'en a fait, sous son nom, verser la Champmeslé...; Epître VII n'avait pas trouvé meilleur compliment à faire à Racine que de ne pas dissocier, en lui, la gloire du poète du bonheurde l'amant.

La dame était pourtant légère, et réunissait volontiers ses soupirants autour d'un fin dîner.

Le mari n'enétait pas exclu, et tous ces convives faisaient bon ménage; le Jeune marquis de Sévigné en était, et sa mère ne segênait guère pour brocarder sa «bru»; quoi qu'il en soit, l'amour des comédiennes semble faire la félicité de Racine;le triomphe de sa maîtresse dut intéresser, chez lui, plus d'une vanité, et sonner dans sa vie l'heure d'un parfaitéquilibre entre le cœur et l'esprit. II.

— L'AIR DU TEMPS. Il n'y a pas d'auteur dramatique à contre-courant de son siècle.

Corneille, qui se moquait d'Aristote, prenait fort ausérieux l'impression que la Poétique et les dogmes qu'on en avait prétendu tirer faisaient sur le public de son temps;voilà pourquoi il rétablissait dans ses Examens et dans ses préfaces l'existence des régies que sa pratiquedramatique négligeait si allègrement.

Si l'on parvenait à cerner les préférences des spectateurs aux environs de1674, on comprendrait mieux, en étudiant ensuite la préface d'Iphigénie, combien Racine se trouve, en ce momentde sa carrière, en harmonie avec le goût des contemporains. Tout le monde est d'accord pour considérer le plaisir éprouvé comme la pierre de touche de la réussite esthétique ;dans Iphigénie comme dans les pièces précédentes, une seule loi guide Racine, celle-là même que formule Boileau : « Le secret est d'abord de plaire et de toucher, Inventez des ressorts qui puissent m'attacher ». Art poétique. A vrai dire, on se demande qui pourrait être d'un avis différent.

L'artiste du grand siècle n'écrit pas pour soi.

Quelest l'artiste digne de ce nom qui se contente de sa propre audience? Mais, beaucoup plus qu'aujourd'hui, l'artiste sesubordonne à un public sélectionné; l'élite s'érige en juge de l'œuvre d'art, et n'accepte pas d'être dirigée,façonnée, à plus forte raison, violentée par elle.

Avec le romantisme commencera l'ère de droit divin pour l'artiste,et, selon des fortunes diverses, son combat pour la conquête d'un public vassal.

Racine, autant que Corneille, saitd'où vient le vent; il sait que les doctes, mais aussi, comme le dira Boileau en 1701, le « goût général des hommes »tient, sur le plan de la tragédie, à l'observance d'un rituel, avec des dogmes simples et brefs. En premier lieu : l'accord de la bienséance et de la vraisemblance.

La vérité historique, à supposer qu'elle eûtinspiré, dès le XVIIe siècle, des recherches aussi patientes et érudites que de nos jours, n'a que faire au théâtre; lepublic sait fort bien qu'Oreste n'exprimait pas sa folie naissante en vers alexandrins, et que Mithridate ne se souciaitpas du consentement de Monime ; il n'a besoin de personne pour conjecturer que Polyeucte ne portait pas dechapeau à plumes et que Junie, dans la situation où elle se trouve, n'eût jamais pensé à grossir le nombre desVestales.

Les Grecs et les Romains, en tant que citoyens d'empires révolus, représentants d'une civilisation éteinte,intéressent peu; mais l'image qu'ont accréditée d'eux les historiens, l'idée qu'une tradition vénérable colporte de leurcaractère à travers les siècles, fait partie du patrimoine intellectuel et moral d'un Français du XVIIe siècle; lesmanuels d'éloquence, les grammaires, les thesauri, et surtout les sommes de jurisprudence ont concouru, dansl'esprit de nos ancêtres, à l'élaboration d'une allégorie que la tragédie reçoit la charge d'animer; et c'est sur laconformité des Grecs ou des Romains aux rêves scolaires de maintes générations que Corneille et Racine serontjugés. Toutefois, et pour se rassurer lui-même, le public exigeait un respect apparent de la chronologie et de la généalogie,ne demandant pas mieux que d'être convaincu par quelque escorbarderie lorsque ce respect, trop pris à la lettre,eût supprimé ou affaibli un effet dramatique.

La plus mémorable est celle de Nicomède qui permet à Corneille dedonner à un ambassadeur romain un double état civil et cela pour ménager à une tirade une chute saisissante.

Levers parut si beau que l'on crut le fait vrai.

Dans un pareil domaine, il est exact de dire que la fin justifie les moyens;pour peu que l'auteur manifeste quelque doigté dans l'accord de la bienséance et de la vraisemblance, sa liberté estcomplète.

Mais Racine reste plus réservé, moins casse-cou que Corneille; on verra l'occasion qui lui est donnée,dans l'invention du rôle d'Eriphile, de faire de cette liberté un usage dicté par un tact infaillible. La galanterie.

Une conséquence directe de cette nécessité où se trouve l'auteur tragique de prendre conscience de son temps, pour lui rendre supportable et même agréable letableau de l'antiquité, le pousse à faire de larges concessions à la galanterie et à réserver à l'amour une placeimportante.

Voilà, entre tous, le grand sujet de conversations, le plus beau nid à querelles du monde.

Lesthéoriciens ne se tirent guère de cet épineux problème. En 1674, l'année même d'Iphigénie, le Père Rapin écrivait successivement dans ses Réflexions sur la Poétique : « Lestragédies mêlées de galanterie ne font point ces impressions admirables sur les esprits que faisaient autrefois lestragédies de Sophocle et d'Euripide; car toutes les entrailles étaient émues par les grands objets de pitié et deterreur qu'ils proposaient.

C'est pour cela, que la lecture de nos tragédies modernes ne divertit pas tant que la. »

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