JARRY
Publié le 08/04/2013
Extrait du document
Jarry s'est toute sa vie efforcé de s'identifier à Ubu, cultivant violemment l'excentricité et la révolte contre la bêtise et la lâcheté triomphantes des adultes.
«
la science des solutions imagi
naires, qui accorde symbolique
ment aux linéaments les propriétés
des objets décrit.s par leur virtualité.
Au lieu d'énoncer la loi de la chute
des corps vers un centre, que ne
prétère-t-on celle de l'ascension du
vide vers une périphérie ?
» Chef
d'œuvre d'humour noir, l'errance
du savant pataphysicien aboutit au
terme de longs exposés algébriques
à cette conclusion majeure
que
« Dieu est le plus court
chemin du zéro à l'in
fini » ...
Et voilà toute la
verve « ubuesque » que
Jarry
exprimait précoce
ment en composant dès
1888 la pièce légendaire et
bouffonne qui devait
l'im
mortaliser, Ubu roi.
Créée
aù théâtre de l'Œuvre le
10
décembre 1896, c'est, sur
le mode de la parodie lou
foque des pièces à grand
spectacle, la farce plaisante
et féroce de l'accession au
trône de Pologne du père
Ubu,
et de son règne éphé
mère marqué par la course
aux
« Phynances », le dé
cervelage des nobles, la ré
Marionnette du roi Ubu
volte du peuple et la fuite d'Ubu.
Le
dernier mot du drame, définitif, re
vient à Ubu, qui
l'avait ouvert sur
un
« Merdre ! »retentissant : « S'il
n'y avait pas de Pologne, il n'y au
rait pas de Polonais
! » Il faut en
tendre,
derrière le canular, la satire :
Manuscrit d'Ubu roi
Ubu, personnage bouffon et trivial,
c'est Joseph Prudhomme poussé
jusqu'au délire, la caricature de
Monnier aggravée
jusqu'à l'absur
de : le bourgeois devenu enragé, pol
tron
et sauvage, le garde national
mégalomane et
ivre.« Ce n'est pas,
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Malgré son érudition profonde et variée,
Jarry
fut toujours un garçon simple et naïf,
content
de tout et de lui-même.
»
Jean Saltas, cité par Paul Chauveau dans
Alfred Jarry ou la Naissance, la vie et la
mort du père Ubu, Mercure de France, 1932.
« Vêtu en traditionnel Gugusse
d'hippodrome, tout, en Jarry, sentait
l'apprêt ; sa façon
de parler surtout,
qu'imitaient à l'envi plusieurs Argonautes,
« La pataphysique est la
science des solutions
imaginaires
••• ,.
martelant les syllabes, inventant de bizarres
mots, en estropiant bizarrement certains
autres ; mais il
n'y avait vraiment que Jarry
lui-même
pour·obtenir cette voix sans
timbre, sans chaleur, sans intonation, sans
.
relief.
» André Gide, Les Faux
M onnayeurs, Gallimard, 1925.
« La théorie de l'acte gratuit couronne la
revendication de la liberté absolue.
Qu'importe si, pour finir, cette liberté se
résume dans la solitude que définit Jarry :
" Lorsque j'aurai pris toute la phynance, je
!, 2, 3, 4, 5, 6 ill.
tirées du catalogue édité par le Musée-Galerie de la SEITA (1989) I D.R.
commentera Jarry, exactement
Monsieur
Thiers, ni le bourgeois,
ni le mufle : ce serait plutôt l'anar
chiste parfait, avec ceci qui em
pêche que nous devenions jamais
l'anarchiste parfait, que c'est un
homme, d'où couardise, saleté,
laideur, etc.
» ( Paralipomènes
d'Ubu).
Jarry s'est toute sa vie ef
forcé de
s'identifier à Ubu, culti
vant violemment
l'excentricité et
la révolte contre la bêtise et la lâ
cheté triomphantes des adultes.
Jarry après Jarry
A
la disparition de la Revue
blanche (1903), à laquelle il
collaborait régulièrement depuis
1896, Jarry se trouve démuni
et
désemparé.
Ne vivant qu'au prix des
pires privations, la santé ruinée par
l'alcool, il ne peut qu'esquisser
son dernier roman, La Dragonne.
Frappé d'une méningite tubercu
leuse, il est transporté de Laval, où
il avait trouvé refuge au
printemps de 1906, à
Paris, où il meurt le
1er
novembre 1907 à l'hôpi
tal de la Charité, après
avoir réclamé
...
un cure
dent.
Il laisse les pre
mières pièces de la
« machine à chavirer l'es
prit» [Aragon] qu'impro
visera Dada.
Rabelaisien,
romantique
et absurde,
sceptique
jusque dans
l'anarchisme, Jarry an
nonce la révolte surréa
liste dont il demeurera,
avec trente ans d'avance,
sinon l'incarnation la plus
convaincante, du moins la
plus résolue.
tuerai tout le monde
etje m'en irai."
L'essentiel est que les entraves soient niées
et l'irrationnel triomphant.
Que signifie en
effet cette apologie du meurtre, sinon que,
dans un monde sans signification et sans
honneur, seul le désir d'être, sous toutes
ses formes, est légitime? L'élan
de la vie,
la poussée de l'inconscient, le cri
de
l'irrationnel sont les seules vérités pures
qu'il faille favoriser.
Tout ce qui s'oppose
au désir, et principalement la société, doit
donc être détruit sans merci.
» Albert
Camus,
L'Homme révolté, Gallimard, 1951.
JARRYOI.
»
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