Jean-Louis Hue, Le chat dans tous ses états.

Le chat.    Comme ces arbres qui profitent du tiède couvercle des villes pour anticiper leur printemps, le chat s'épanouit dans la chimie urbaine. Il naît d'un mélange d'ombres et d'oxyde de carbone, dans un espace d'une étroitesse d'éprouvette, fossé, caniveau, nid-de-poule, palissade mal jointée, soupirail entrouvert. Partout où la ville se relâche, s'effondre et pourrit, il jaillit. Il comble nécessairement le vide, occupant les interstices qui sont comme des parenthèses providentielles dans le discours de l'ordre et de la propreté.    La pierre, sur laquelle la ville est fondée, ne l'effarouche pas, pourvu qu'elle se décompose. Il aime les gravats frais et les crépis défaits. Petite cariatide de ruines, dès qu'il se montre, les poutres font la génuflexion. Une voilette de toiles d'araignées sur la tête, le poil amidonné de plâtre sale, il a pris le bancal des pierres et, du chat ou de l'édifice, on ne sait plus lequel s'appuie sur l'autre. Le désordre des chantiers le protège. Le matin, un rayon de soleil le couche contre des moellons couleur de sorbet vanille. Le chat dort en paix, ses draps viennent d'être changés.    Il s'enfonce dans les caves, sous les vides sanitaires, et jusqu'au plus profond des caveaux de famille où des gens attentionnés le sauvent à l'aide de filets de pêcheur. Il se tasse contre des pneus de voitures en stationnement et sur leur capot encore chaud. De vieux cartons l'hébergent, et des tranchées, des dépotoirs, des bouches d'aération, une poussette abandonnée, le rebord des fenêtres où il rivalise d'endurance avec le lierre. Il habite les quartiers pauvres, pactisant avec la misère, le suranné, tout ce qui doit être démoli.    Jean-Louis Hue, Le chat dans tous ses états.    Vous ferez de ce texte un commentaire composé. Vous pourriez montrer par exemple, à partir d'une étude du style, comment l'auteur nous donne une image originale du monde moderne, tout en rendant sensible la présence mystérieuse de l'animal.