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Jean-Noël KAPFERER, Rumeurs, te plus vieux média du monde

Publié le 21/06/2012

Extrait du document

 

La rumeur est partout, quelles que soient les sphères de notre vie

sociale.

Elle est aussi le plus ancien des mass médias. Avant que n'existe l'écriture,

le bouche-à-oreille était le seul canal de communication dans les

sociétés. La rumeur véhiculait les nouvelles, faisait et défaisait les réputations,

précipitait les émeutes ou les guerres. L'avènement de la presse,

puis de la radio et enfin l'explosion de l'audiovisuel ne l'ont pourtant

pas éteinte. Malgré les médias, le public continue à tirer une partie de

son information du bouche-à-oreille. L'émergence des premiers, loin

de supprimer la rumeur, l'a seulement rendue plus spécialisée : chacun

a désormais son territoire de communication.

« RÉSUMÉ QUESTIONS DE VOCABULAIRE DISCUSSION qu'une seule façon de prévenir les rumeurs : en interdisant aux gens de parler.

Le souci apparemment légitime de ne voir circuler que des informations fiables mène droit au contrôle de l'information, puis à celui de la parole : les médias deviendraient la seule source d'informa­ tions autorisée.

Alors il n'existerait plus que des informations officielles.

Nous sommes là au cœur de la raison d'être des rumeurs.

La rumeur n'est pas nécessairement« fausse » : en revanche, elle est nécessaire­ ment non officielle.

En marge et parfois en opposition elle conteste la réalité officielle en proposant d'autres réalités.

C'est pourquoi les mass médias ne l'ont pas supprimée.

Pendant longtemps, on a cru que la rumeur était un ersatz : faute de médias fiables et contrôlés, il fallait bien trouver un média de subs­ titution, un pis-aller.

La coexistence des mass médias et des rumeurs démontre l'inverse : celles-ci sont un média complémentaire, celui d'une autre réalité.

C'est logique : les mass médias s'inscrivent toujours dans une logique de communication descendante, de haut en bas, de ceux qui savent à ceux qui ne savent pas.

Le public ne reçoit donc que ce qu'on veut bien lui dire.

La rumeur est une information parallèle, donc non contrôlée.

Pour l'ingénieur, le technicien, le journaliste, cette absence de con­ trôle évoque le spectre d'une défaillance sur l'autel de la fiabilité de l'information.

Il faut donc la supprimer.

Pour l'homme politique, le citoyen, absence de contrôle signifie absence de censure, la levée du secret et l'accès à une réalité cachée.

Il faut donc la préserver.

La conception négative associant rumeur et fausseté est d'ordre tech­ nologique : il n'est de bonne communication que contrôlée.

La rumeur oppose une autre valeur : il n'est de bonne communication que libre, même si la fiabilité doit en souffrir.

En d'autres termes, les« fausses » rumeurs sont le prix à payer pour les rumeurs fondées.

Sur un plan épistémologique, l'étude des rumeurs jette une lumière acide sur une question fondamentale : pourquoi croyons-nous ce que nous croyons ? En effet, nous vivons tous avec un bagage d'idées, d'opinions, d'images et de croyances sur le monde qui nous entoure.

Or, celles-ci ont souvent été acquises par le bouche-à-oreille, par ouï­ dire.

Nous n'avons pas conscience de ce processus d'acquisition :il est lent, occasionnel et imperceptible.

La rumeur fournit une occasion extraordinaire : elle recrée ce processus lent et invisible, mais de façon accélérée.

Il devient enfin observable.

Or, que constatons-nous ? Des informations totalement infondées peuvent traverser la société aussi facilement que des informations fon­ dées et déclencher les mêmes effets mobilisateurs.

Les brefs moments de lucidité que procure l'étude des rumeurs débouchent sur le constat de la fragilité du savoir.

Peut-être une grande partie de nos connais­ sances n'ont-elles aucun fondement, sans que nous en ayons conscience.

Les rumeurs nous rappellent l'évidence : nous ne croyons pas nos connaissances parce qu'elles sont vraies, fondées ou prouvées.

Toute. »

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