Jean TARDIEU : Le Fleuve caché

« Photo Gastaud 1 Sipa-Press La poésie de J ean Tar dieu ne recher­ che jamais la com ­ plexité inutile ; bien au contraire, elle se rapproche souvent du langage parlé : "Qui c'es t qu'e st là 1 quand je n'y suis pas ? ./ C' es t-i l'bureau ? 1 C' est-i la porte? ..

Jean Tardi eu était un grand mélomane ; il fut l'un des créa­ teurs d'un véritable programm e musical s ur les ondes fran­ ça ises.

li dirigea le pro gramm e Fran ce­ Mu sique pendant de nombreuses années.

Le livre De la peur du vide au bonheur des mots L e Fleuv e cac hé est un recueil qui se compose d 'œuvres diverses par leur ins piration ; les poème s d'Accen ts, deT ém oin in visibl e ou des Jo urs pétrifiés ont une tonalité métaphysique très marquée, alors que les texte s extraits de Mon sieur Monsieur , de Une voix sans personne ou des Histoires obscures semblent plus légers, parfois comiques.

Leurs parutions s'échelonnent sur près de vingt-trois années, ce qui explique leur apparente hétérogénéité .

De 1938 à 1961 , le s mêmes angoisses , les mêmes interrogations continuent d'habiter Jean Tardieu : le monde est irrémédiablement instable, incertain, inconnu.

Les choses ne connaissent pas de lien ; entre elles subsiste un vide obsédant, un silence que seule la poésie peut tenter de combler; aussi le langage tient-il un grand rôle dans ces poèmes qui le mettent en scène de façon directe.

En ce sens, jouer avec les mots permet au poète de conjurer, d'oublier la peur métaphysique qui le possède.

Le secret de la présence C e qui frappe à la lecture de ce grand poète quelque peu oublié , c'est l'extraordinaire sensibilité de son style ; cette finesse d'analyse rejaillit sur sa perception du monde et d e ses vibrations intérieures, des ses flux secrets qu'illustre bien la métaphore du " fleuve caché ".

Cette instabilité des choses se traduit par une incertitude de soi, une porosité de l 'être intime : "Je vois le PRÉSENT fuir avec tous ses se­ crets", confirme même Jean Tardieu.

A la fragi lité du poète corre spond l'absence, le caractère insaisissable de la moindre pous sière : dans le tremblement des portes se dissimule tou­ jour s une "frange d'invisible " que Tardieu tente d'isoler, de capturer par le moyen des mots.

"Les mots , écrit Tardieu , dan s l 'arg ument d'A ccents, choses semblables aux choses , passent au ssitôt formées l'image qu' ils révèlent " et n'o nt d'a utre fonc­ tion que de rendre l'évanescence du monde par leur fébrilité , sa stabilité par leur fermeté.

Le rythme poétique "contente par ces temp s forts le désir de solidité, et par ces flottement s l'ap­ pel vers une disparition générale .. »