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Le Jeu de l'amour et du hasard. Scène 2 Acte III

Publié le 09/06/2012

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Marivaux décide donc, avec cette scène (que l’on pourrait élargir à la pièce entière), de critiquer implicitement l’état d’esprit dans lequel se trouve la noblesse et la bourgeoisie du XVIII ème siècle, et, par voie de conséquence, son public. Ainsi ce même public vérifie cette thèse en ne comprenant pas que les personnages (nobles cela va de soi) puissent se faire duper par le déguisement d’Arlequin ou de Dorante, selon lui, le noble devrait logiquement reconnaitre un maître d’un valet par observation du langage et du charisme. Cependant, Marivaux ne proclame pas l’égalité des classes dans sa pièce (il suffit de regarder le dénouement, les nobles et les domestiques demeurent entre eux) mais il perturbe, rend flou les préjugés fixes de ses contemporains ; par le jeu des masques évidemment, mais aussi en maintenant une ambiguïté quant à des qualifications sociales : le terme de « noble « peut être interpréter comme d’origine ou de cœur. La seconde proposition, plus humaine que la stricte considération généalogique est, tout en restant dans le cadre de la « nature « de chacun, davantage proche de la position de Marivaux quant à ses personnages dont la psychologie est infiniment plus importante que leur origine sociale.

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« qui lui est propre : sa noblesse de cœur et sa dialectique subtile, traits qu'il partage d'ailleurs avec Silvia. Quand au second protagoniste de la scène, Mario, il se présente comme le rival de Dorante.

Stéréotype du rivalamoureux, c'est cependant un rôle qu'il adopte dans un double-jeu.

Mario le répète : il prend plaisir à assister àcette comédie de masques, mais il ne se borne pas à en voir le déroulement comme son père le fait, il « jouera »avec les couples de protagonistes, et cette scène en est un exemple.

Dans une première image il se présenteracomme un contrevenant à la poursuite de l'action mais il se révèle vite que son stratagème est un moteur à l'actiondramatique.Dès son arrivée, Mario déclare son hostilité à Dorante : au verbe d'action qu'émet Dorante – « Allons voir si… » - iloppose un impératif –« Arrêtez, Bourguignon »-, il interrompt ainsi sa démarche, tout en étant quelque peumenaçant : l'euphémisme « avoir un mot à vous dire » inquiète déjà, on sent que, justement, cela ne sera pas qu'« un mot » et qu'il ne sera pas de peu d'importance.

C'est sur ce pied que commence un interrogatoire, lui-mêmeassez violent et direct.

La première question « Vous en contez à Lisette ? » expose explicitement l'objet del'intervention: sur cinq mots, la présence des trois sèmes VOUS (seconde source du problème) CONTER (actionproblématique) LISETTE (source du problème), question lapidaire qui se poursuit, sur le même mode, par une autrequestion « Comment reçoit-elle ce que vous lui dîtes ? » dont la qualité très méthodique (rapports Dorante ->Lisette, puis Lisette -> Dorante) nous laisse entrevoir un Mario contenu et froid, preuve en est, il n'y a aucuneinterjection, aucune digression pour parasiter l'information.Cependant, il y a un net changement de ton qui se produit très rapidement (à la quatrième réplique).

Mario se met àparler à Dorante à la deuxième personne « tu » alors qu'il employait initialement le « vous » (« Tu as de l'esprit », «ce que tu me réponds », « tu me disais »).

Mario distancie ainsi le valet qu'est Bourguignon d'avec sa supérioritéaristocratique.

De plus on remarque que Mario semble sortir de ses gongs, une ponctuation plus vive (« Du goûtpour lui ! », « Comment, Morbleu ! »), des interjections (« Eh bien », « Ah, le voici »), une syntaxe approximative(tu me disais que Lisette eu du goût pour toi… Après ? »), tout cela dénote une montée d'agressivité, sans compterles propos hyperboliques et démesurés – « c'est sans doute avec ces petites délicatesses-là que vous attaquezLisette ».

Mario se fait donc beaucoup plus menaçant et querelleur.

Il ira jusqu'à prendre une autre sourced'attaques, celle de l'insulte et du mépris des classes inférieures.En effet, Mario va profiter de sa position sociale pour mépriser son interlocuteur pour le « traiter de ridicule » commele dit Dorante : il emploie, après le pronom « tu », familier, celui, méprisant, de la troisième personne « il » et sonréfléchi « lui » -« Du goût pour lui ! », « Il prendra patience.

»- il utilise même le terme de « Bourguignon » et de« garçon de [cette] espèce », afin d'ajouter encore à ce fossé qui sépare le valet du maître.

Ce sont tous destermes hautement péjoratifs : « espèce » connote la nature radicalement différente des deux opposants, le fossén'est plus social mais génétique, comme le fossé qui sépare l'homme de l'animal, « garçon » employé à la place d'« homme » (pourrait-on le supposer) est un appui à cet ad personam récurrent dans la bouche de Mario.

Celui-cid'ailleurs ne fait pas que faire ressentir sa supériorité, il l'exécute, d'où les très nombreux impératifs et interdictions– « modère-toi un peu », « je te défends de t'adresser… ». Mario se présente donc comme le rival stéréotypique insultant, agressif et belliqueux, celui-là même que l'onretrouve maintes fois dans la littérature.

Mais il ne fait ici que représenter une image, et comme il l'avoue dans lascène suivante, il « joue ici un joli personnage ».

Il va d'ailleurs desserrer, dans une seconde phase, la pression qu'ilexerce sur Dorante.En effet, il suffit que Dorante lui pose à son tour des questions pour qu'il entre dans une sphère personnelle : «Dorante : Mais, Monsieur, vous l'aimez donc beaucoup ? Mario : Assez pour m'attacher sérieusement à elle, dès quej'aurais pris certaines mesures ».

Grâce à cela, Dorante en apprend plus sur les projets et les intentions de sonrival ; en fait, tout ce qu'a appris Mario de la part de Dorante, celui-ci le retrouve dans les confidences de Mario.Ainsi apprend-t-il que Mario compte acquérir Lisette grâce à sa position sociale et à sa fortune.

Mario va mêmejusqu'à laisser une ouverture à Dorante lorsqu'il lui apprend que Lisette n'est pas sensible à son « charme », celaétonne son rival qui ne voit plus le Mario tel qu'il était au début de l'entretien mais un Mario comme affaibli.

De plusle ton qu'il prend est beaucoup plus empathique : Mario lui « pardonne » son effronterie (« La réponse est de bonsens, je te la pardonne.

») alors qu'il aurait dû logiquement souligner ce trait d'esprit certainement déplaisant, ilutilise des termes moins forts pour répéter sa supériorité (« ta livrée n'est pas propre à faire pencher la balance enta faveur »), il permet même à Dorante de commenter ses projets – « Qu'en penses-tu ? Est-ce que je ne vaux pasla peine d'être aimé ?», et quand ils se quittent, il lui dit même : « Adieu, retire-toi sans bruit », cette phrase sonnecomme une confidence sincère, d'ami à ami, chose qui contraste fortement d'avec ses premières paroles.Si Mario change aussi radicalement de registre, c'est par pures raisons stratégiques.

En effet, Dorante ayant abattules préjugés sociaux en projetant de faire d'une soubrette son épouse, la force dramatique n'est plus la même,d'autant plus que Mario apprend par sa sœur que Dorante a déjà révélé son identité (scène 12 et 13 de l'acte II).Ainsi va-t-il créer un nouvel obstacle à cet amour trop facile qui ne devrait pas l'être.

Cette nouvelle barrière quitourmentera l'amoureux ajoute une nouvelle impulsion dramatique, elle fera naître jalousie, doute et résignation ;d'où la scène 8 de l'acte III où l'amour presque achevé est au bord du gouffre lorsque Dorante hésite à partirlaissant place à Mario qui « l'a devancé ».

Ainsi le dénouement est retardé, le public est tenu en haleine, Dorantecèdera-t-il ou non à Mario ?, la question des rapports amoureux sont prolongés, la psychologie de Doranteapprofondie.On voit donc non pas un, mais deux Mario, l'un, fictif, représentant une image bien connue du rival amoureux :agressif, menaçant et méprisant, l'autre, personnage latéral à l'action, à la fois public et acteur de la pièce ; ilemploie son « don de voir » à des fins stratégiques : il est, en quelque sorte, un moteur du drame. Mais ce double emploi de Mario n'est pas anodin, si Marivaux le travestit en rival, ce n'est pas par gratuité, maispour conjuguer à la fois une rivalité sociale entre le maître et le valet et une rivalité amoureuse entre la raison et la. »

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