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Laitière et le pot au lait

Publié le 28/05/2011

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Introduction

 C’est une des fables les plus connues de La Fontaine, et pour cause : elle est exceptionnelle dans le corpus de l’auteur dans la mesure où le personnage est humain – une femme. Dans ce tableau rustique, la fable se construit uniquement sur des glissements. Elle rejoint le débat sur le rôle de l’imagination : l’auteur nous communique ici toute une réflexion sur la méditation. Qu’est-ce que l’imagination ? A quoi nous porte-t-elle ? C’est le pouvoir contradictoire de la raison (désigné par la folle du logis)[1].  La structure est assez close : la fable s’arrête au vers 29, puis une longue méditation s’étend des vers 30 à 43.

I – Présentation de la jeune fille

  A – Portrait physique

 Dans les six premiers vers, Perrette est décrite comme une jeune femme séduisante. Le nom de Perrette est rustique en lui-même et pose immédiatement le décor. Elle a gardé ses habits de paysanne mais s’est habillée un peu différemment pour la ville. Le narrateur insiste sur sa séduction. Sa silhouette est tout en souplesse ; agile, elle est sûre de sa démarche. Le pot ai lait paraît en sûreté (v.2) et est posé sur la tête, siège des pensés. Le verbe prétendre (v.3), insiste sur ce qui va arriver : l’effet d’annonce d’une catastrophe maintient le lecteur en haleine.

  B – Portrait moral

 Des vers 7 à 11, La Fontaine passe aux mouvements intérieurs de la pensée et de l’imagination. La jeune femme fait une projection d’investissement et de rendement, une véritable prospective financière dans la mesure où elle estime déjà son profit. Le champ lexical de l’argent est représenté par six expressions en quatre vers : comptoit, prix, argent... A la célérité de sa marche (v.4), répond la vitesse de son esprit. La Fontaine dénonce cette anticipation (déjà, v.8). Trousser et pensée sont mis en rime, ce qui insiste sur l’aspect superficiel de la jeune fille, à mille lieues des réalités. Le pronom possessif notre (v.7) nous met en connivence avec cette jeune femme, et le narrateur nous implique ainsi affectivement dans une certaine familiarité envers Perrette.

II – Evolution du projet

  A – L’élaboration

 Le deuxième temps s’articule des vers 12 à 22. Nous entendons parler Perrette. La construction euphorique se poursuit, son imagination s’emballe. En bonne prévoyante, Perrette évoque même les pertes possibles ; elle enregistre l’absence de contrainte : personne ne pourra m’empêcher, et suit une logique comptable. Le futur d’hypothèse est ici utilisé.  L’euphorie est visible à travers de nombreux adjectifs possessifs ou des termes tels que facile (v.12), raisonnable (v.17). Transportée (v. 22) spirituellement, la jeune femme ne touche plus terre physiquement ; son esprit et son corps s’emballent : le lecteur pressent la catastrophe. On notera alors le rôle comique de la répétition ; la jeune femme saute et trébuche. La chute ruine ses espoirs dès la vente du lait qui n’existe plus.

  B – Désillusion et retour au réel

 Le troisième temps va du vers 23 au vers 29. La Fontaine y démonte sa construction mentale (v.29). Il part du plus important : l’apogée de son espoir, incarnée par le veau (v.23) puis va selon une importance décroissante, en finissant par la couvée. Le vers est rapide, mimétique de la chute, et marque le retour au réel. L’expression la dame (v. 24) est curieuse : elle insiste sur le rôle maîtresse-femme, sur l’existence d’un pouvoir illusoire que poursuit les jeux de mot sur fortune (v.25) et mari (v.24 et 26). L’échec implique en effet le retour à la maison sans aucune indépendance féminine. La conséquence sera l’affrontement du mari, l’explication à fournir et donc à trouver. Perrette s’en retourne déshonorée : La Fontaine retourne ici aux sources de la farce populaire. Les vers 28 et 29 marquent une transition du récit vers la méditation.

III – Rôle de l’imagination dans l’existence

  A – Un rôle universel

 Perrette s’éloigne et La Fontaine prend de la distance vis-à-vis de sa fable en faisant référence à des sources historiques. La suite est donc assez inattendue. L’auteur ne veut pas de ton sec ou sentencieux mais recherche la sympathie au travers de proverbes (v.30-31). Il pose également quelques questions rhétoriques au lecteur qui n’ont pour but que d’amener ce dernier à réfléchir.  Un cortège de personnages est alors convoqué. Le poète nous rappelle qu’au chapitre 33 de Gargantua, Picrochole veut conquérir le monde ; le Pyrrhus de Plutarque partage ce désir. Ainsi, La Fontaine affirme que personne n’échappe à l’imagination, et que nous somme tous des êtres imaginatifs. L’histoire se répète, l’universalité du problème est démontrée (v. 33). On note alors un glissement de tous (v. 32) à chacun (v.34) : le narrateur recentre le discours sur l’individu. En dénonçant le songe éveillé, c’est le piège de l’imagination flatteuse (v. 34-35), et partant l’emprise des pouvoirs – comme le politique – que fustige l’auteur.

  B – L’imagination : satisfaction des désirs

 La source profonde de tout n’est-elle pas ce désir de pouvoir que nous satisferions par l’imagination ? Curieusement, La Fontaine va, des vers 38 à 43, rédiger une variation sur le motif même du récit, sur le thème du matamore, personnage fanfaron prétendant être capable d’exploits extraordinaires sans jamais les accomplir, et qui va glisser vers l’idiot. Sophi est facile à vaincre en rêve ! Le champ lexical de l’honneur se déroule devant nos yeux : flatteuse, bien, honneurs, défi...  Perrette ne serait-elle pas alors à l’image du poète ? Le littéraire est celui qui imagine, se projette en espérant non seulement être lu mais aussi recevoir le succès. La pire des menaces pour l’écrivain n’est-elle pas d’échafauder une projection glorieuse ? Ne peut-on pas déceler ici une certaine connivence de La Fontaine ? L’imprévu surgit toujours : la morale est que la réalité revient toujours, nous y sommes ramenés par des chutes brutales, métaphoriques ou réelles.

Conclusion

 L’originalité de la fable, outre la présence d’un personnage humain et féminin, tient dans son découpage qui laisse la part belle à une longue méditation. Ce processus démontre que la fable tend à l’universel. La Fontaine lui-même ne s’exclut pas en tant qu’écrivain ; il rit de lui-même par une auto-ironie implicite. Mais le lecteur est également concerné au travers de ce chacun et de ce tous. Le pouvoir – ou la tyrannie ? – de l’imagination est doux et donc vicieux, ambigu. L’auteur ne critique pas l’imagination en tant que telle mais la naïveté de croire, de se projeter dans ce qu’elle procure : une illusion de puissance, la satisfaction de l’appétit de pouvoir. Il attire l’attention du lecteur sur le plaisir de l’imagination qui constitue une pente glissante où il est difficile de se maîtriser.  Cette fable peut alors être reliée à la suivante, Le Curé et le mort : on y retrouve les mêmes thèmes et la même chute. La morale y est de toute manière complexe. Elle dénonce le pouvoir de l’homme et célèbre, par la littérature, la douceur des songes. C’est donc une fable atypique, de même que Les Devineresses. ----------------------- [1]  Cf. Pensée de Blaise Pascal : L’imagination, maîtresse d’erreur et de fausseté.

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