LE LECTEUR ET LA LECTURE
Publié le 05/11/2011
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La lecture, le lecteur : quoi de plus simple que ces mots qu'il semble inutile de définir parce qu'ils entraînent dans leur sillage une foule d'images familières. On apprend à lire à l'école et le code du déchiffrement étant acquis, on devient, pour le restant de ses jours, un lecteur. Les livres, les journaux, les affiches, tout passe par l'oeil du lecteur. La lecture, « ce vice impuni «, comme disait Valéry Larbaud, est une expérience quotidienne et qui ne semble guère mériter une définition, pas plus que celui qui la pratique.
Ce n'est pas tellement évident. Cette espèce d'innocence de la lecture existe-t-elle dans la réalité ? En 1981, l'enseignement obligatoire sera centenaire ; ce sera l'occasion de mesurer la place de la lecture dans la société du xxe siècle. Mais cet anniversaire se produira juste au moment où, sous l'effet de l'audio-visuel, la lecture est en perte de vitesse. Alors, on peut reprendre la question autrement : qu'est-ce que lire et quel est le rôle de la lecture dans le développement de la culture ?
«
UN VICE PLUS RÉPANDU
On peut, comme il est coutume de le faire.
Appe ler les statistiques à la rescousse.
Elles démontrent
que la lecture est loin d'ètre un vice répandu et qu'il
l'est d'autant moins que les conditions de vie
deviennent de plus en plus astreignantes, comme
dans la société rurale en France, par exemple ; ou
que èe vice a tendance à disparaître au profit
d'au tres, comme aux États-Unis, où le nombre des lec teurs de livres n'atteint pas un pourcentage de
quatre pour dix.
Plus de cinquante pour cent des
Français n'ouvrent jamais un livre et soixante quinze pour cent des ouvrages publiés n'atteignent
qu'un public réduit : moins de quinze pour cent de
la population.
Lire est un geste volontaire et actif, et on
com prend que tout le monde ne soit pas disponible.
Mais c'est cela qu'il s'agirait d'expliquer.
Pourquoi
justement ce peu d'attrait ou de curiosité à l'égard
de la chose imprimée ? Porteuse de rève, sujet de
réflexion, moyen de connaissance, elle est signe de
liberté.
C'est bien ce qu'ont toujours compris les
régimes tyranniques en prétendant interdire sinon
la lecture tout entière, du moins certain ouvrages,
en brûlant, comme les jeunes nazis naguère, toute
la littérature d'origine israélite.
C'est aussi ce que
savent les États modernes qui ont à leur disposition
tous les moyens d'information de masse, la radio et
la télévison en particulier, car l'image et la parole
La lecture
nous sollicite
de
toutes parts, même inconsciemment les panneaux
publicitaires, dans la
rue, cpnstituent un élément d'attraction à quoi le regard
n'échappe guère.
(Musée Carnavalet
- photo J .-L.
Charmet)
sont beaucoup plus aliénantes que ne l'est l'écrit .
Celui-ci permet l'arrèt, le retour en arrière et la cri tique.
C'est là le problème essentiel du lecteur et
des rapports qu'il entretient avec la chose impri mée: lire c'est dialoguer avec un auteur, entrer
dans son univers en mème temps que le faire entrer
dans soi-mème.
C'est le jeu qui définit une hiérar chie depuis celui qui ne lit jamais et celui qui ne
fait que cela.
On se rappelle Montaigne parlant des livres de
sa « librairie » : « J'en jouys comme les avaricieux
des thrésors, pour savoir que j'en jouyrai quand il me plaira ; mon âme se rassasie et contente de ce
droit de possession.
Je ne voyage sans livres ni en paix ni en guerre [ ...
] ; ils sont à mon côté pour me
donner du plaisir à mon heure et à reconnoistre
combien
il portent de secours à ma vie.
C'est la
meilleure munition que j'aye trouvée à cet humain
voyage.»
Un tel propos met le livre au niveau de l'élite ; il est l'expression de la culture.
De là, dans les famil les, la nécessité de posséder une bibliothèque où,
par tradition on doit trouver les textes classiques et
ce qu'il est convenu d'appeler les
« bons » auteurs,
ceux qui ont fait leurs preuves.
Le livre a tendance
a devenir ainsi un signe de richesse intellectuelle.
C'est si vrai qu'on voit des personnes acquérir des
ouvrages qu'elles ne liront jamais pour
le seul plai sir de les exposer chez elles, au regard des visiteurs,
et se donner ainsi de l'esprit sans nécessairement en avoir..
»
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