Les« lecteurs de roman » ne cherchent-ils « qu'une distraction, un rafraîchissement, un repos de la vie courante » ?
Publié le 14/10/2011
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Thibaudet déclare, dans ses Réflexions sur le roman : « Ceux que nous avons appelés les lecteurs de romans ne demandent au roman qu'une distraction, un rafraîchissement, un repos de la vie courante. « Cette assertion pose le problème du rôle et de la signification de l'art, de la manière dont ils sont perçus par le public.
«
chevalerie, qui sous la forme des remaniements et de la bibliothèque
Bleue
trouva à peu près jusqu'au XVIII• siècle la même masse relative
ment épaisse de lecteurs à distraire.
Les romans de Dumas et Eugène
Sue, que le cinéma adopte et adapte volontiers, sont appelés à durer
dans des conditions
analogues.
Mais si, au-dessus de ces couches
tranquilles, de cette pluie régulière absorbée docilement par la terre
qui
l'attend, il existe un monde aérien où les nuages passent, où ies
pluies
se forment, où les climats se créent, je veux dire celui d'une lit
térature vivante, c'est que les lecteurs de romans ne tiennent pas
toute la place, et qu'il y a les liseurs.
Les liseUJS de romans, ils se
recrutent dans un ordre où la littérature existe, non comme un diver
tissement
accidentel, mais comme une fin essentielle, et qui peut sai
sir
l'homme entier aussi profondément que les autres fins humaines.
Au premier rang de ces liseurs proprement dits, il faudrait mettre
l'homme que j'appellerai viveur de romans.
Tout roman, toute fiction
narrative ou dramatique , est destinée plus ou moins à nous faire vivre
une autre vie que
la nôtre, à nous imposer et à nous suggérer la
croyance dans le monde créé par l'artiste.
Mais il y a des degrés et
dans l'œuvre et dans le lecteur.
Le degré rudimentaire, c'est la simple crédulité, qui témoigne sim
plement de la sottise du liseur.
Par exemple, Cervantès nous montre
d'honnêtes servantes qui croient à la réalité de ce qui est conté dans
les romans ...
Cette crédulité en quelque sorte mécanique n'a rien
assurément de
la suggestion qui gouverne le monde de l'art et de la
vie.
Et cette suggestion vraie, celle qui fait le viveur de romans,
l'homme qui vit les romans, qui vit romanesquement, Cervantès l'a
héroïsé dans Don Quichotte.
Si Don Quichotte croit que le monde des
romans de
chevalerie existe, ce n'est pas parce qu'il lui est garanti par
le privilège officiel du libraire.
C'est parce que ce monde seul répond
aux aspirations de
sa nature, et à son idée héroïque de l' humanité.
Ce
qui répond au contraire pour lui à la catégorie de l'illusoire et du faux,
c'est précisément la réalité mesquine, ridicule et pratique en laquelle
se résolvent toujours les magnifiques départs et les romanesques
aventures,
et qu'il attribue au prestige d'enchanteurs mal intention
nés.
Et
s'il connaît dans le monde romanesque le monde réel, c'est
qu'il projette en ce monde romanesque son monde intérieur et spiri
tuel.
Pour que le roman soit vécu par le lecteur, pour que la crédibilité
technique devienne suggestion vivante, deux moyens sont possibles,.
»
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