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Lecture analytique du Philosophe Scythe-La Fontaine

Publié le 10/12/2010

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INTRODUCTION

- Contexte: Jean de La Fontaine est le fabuliste le plus connu en France.

Dans la seconde moitié du XVII siècle, il publie plusieurs recueils de fables qui connaîtront un vif succès.

D’après lui, la fable est un moyen d’instruire tout en plaisant, ce qui en fait une œuvre fidèle à l’idéal classique.

L’admiration pour l’Antiquité explique que La Fontaine trouve une part de son inspiration dans des textes appartenant à des fabulistes antiques comme Ésope ou Phèdre, eux-mêmes imprégnés des différents courants philosophiques. Il n’est donc pas étonnant qu’une réflexion portant sur le bonheur fasse référence aux stoïciens et aux épicuriens.

- Situation: La fable 20 du livre XII, Le Philosophe Scythe, dédiée au duc de Bourgogne, fait partie du deuxième recueil des Fables, plus tourné vers la satire sociale et plus destiné aux adultes que le premier recueil. L’auteur met en scène la rencontre de deux personnages opposés en un court récit très animé et qui se termine, comme de coutume, par une morale. Située dans une Antiquité imprécise, la scène explicite deux conceptions du bonheur et délivre une morale qui permet au lecteur de faire et de justifier son propre choix, guidé par le fabuliste. L’auteur critique ici les courants dévots ou oratoires ayant cours au 17ème siècle et essaie d’y opposer une sagesse simple, sans excès, qui consiste à cultiver la nature et son jardin avec respect et sans excès (on sait que La Fontaine était, par son métier, très proche des choses de la nature. En 1652, il fut reçu en qualité de Maître des Eaux et Forêts. Il faut dire que le métier de son père, Maître des Eaux et Forêts et Capitaine des Chasses, l’y avait prédisposé)

- Lecture du texte:

 

 

Un philosophe austère, et né dans la Scythie (1),

Se proposant de suivre une plus douce vie,

Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux

Un sage assez semblable au vieillard de Virgile (2),

5 Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,

Et, comme ces derniers satisfait et tranquille.

Son bonheur consistait aux beautés d’un Jardin.

Le Scythe l’y trouva, qui la serpe à la main,

De ses arbres à fruit retranchait l’inutile,

10 Ebranchait, émondait (3), ôtait ceci, cela,

Corrigeant partout la Nature,

Excessive à payer ses soins avec usure(4).

Le Scythe alors lui demanda :

Pourquoi cette ruine. Etait-il d’homme sage

15 De mutiler ainsi ces pauvres habitants (5)?

Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage ;

Laissez agir la faux du temps :

Ils iront aussi tôt border le noir rivage(6).

- J’ôte le superflu, dit l’autre, et l’abattant (7),

20 Le reste en profite d’autant.

Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,

Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ;

Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis

Un universel abatis (8).

25 Il ôte de chez lui les branches les plus belles,

Il tronque son Verger contre toute raison,

Sans observer temps ni saison,

Lunes (9) ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien

30 Un indiscret (10) Stoïcien (11) :

Celui qui retranche de l’âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,

Jusqu’aux plus innocents souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.

35 Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort ;

Ils font cesser de vivre avant que l’on soit mort.

 

 

(1) La Scythie est un pays situé au nord de la mer Noire et dont les habitants passaient pour

particulièrement rudes et presque sauvages.

(2) Le vieillard de Virgile : allusion à un vieillard de Coryce, sur le fleuve Galèse, qui

cultivait avec bonheur quelques arpents de terrain.

(3) Emondait : coupait les branches superflues ainsi que les rameaux morts.

(4) Payer avec usure : payer largement, sans compter.

(5) Ces pauvres habitants : les arbres.

(6) Le noir rivage : du fleuve entourant le séjour des morts selon les Grecs.

(7) L’abattant : lorsque je l’abats.

(8) Abattis : les branches et rameaux abattus.

(9) Lunes : la taille traditionnelle, comme les semis, les plantations ou les récoltes, tient

compte des diverses phases de la lune.

(10) Un indiscret : qui manque de sens critique, qui ne sait pas juger avec discernement.

(11) Les stoïciens : ce sont des penseurs partisans d’une philosophie (le stoïcisme, fondé à

Athènes par Zénon de Kition) qui recommandent de supprimer tant les passions que les

désirs et de faire preuve en toute circonstance, et particulièrement dans le malheur ou

dans la douleur, d’une impassibilité courageuse (ils s’opposent aux épicuriens)

 

- Problématique: Comment, dans cette fable, La Fontaine met-il en pratique son affirmation à propos des fables : « En ces sortes de feinte, il faut instruire et plaire. « ?

- Plan: I. L'art du récit et de la versification: le récit d'une rencontre

II. Une double conception de la vie et du bonheur

III. La leçon

 

I- L’ART DU RÉCIT ET DE LA VERSIFICATION : LE RECIT D'UNE RENCONTRE

- Cette rencontre est évoquée à travers le récit d’une comédie dont l’évolution est précise dans le temps et dans l’espace mais située dans une Antiquité imprécise.

- La fable est écrite comme un récit court et vivant d’une rencontre entre deux personnages opposés, non seulement dans leur nature, mais aussi dans leur comportement : en quatre vers, les deux personnages sont évoqués ainsi que les lieux et les circonstances (vers 2 : de suivre une vie plus douce).

 

A. Un récit court et vivant

- Alors que la description initiale se fait au passé simple, la présentation du sage se fait à l’imparfait (vers 5 à 7), ce qui a comme conséquence voulue de ralentir l’action.

Le récit se poursuit du vers 8 au vers 13, avec l’action du philosophe scythe évoquée au passé simple tandis que celle du sage l’est à l’imparfait.

- À partir du vers 14 et jusqu’au vers 20, l’auteur met en place à un dialogue qui expose un échange vif de deux points de vue opposés, l’un orienté vers la mort (vers 14 à 18), l’autre vers la vie (vers 19 et 20).

- Du vers 21 au vers 33, le récit souligne le philosophe en action dans un récit d’abord au passé qui insiste sur les actions, par ailleurs entrecoupées de dialogue.

>>> Toutes ces modalités confèrent au récit une grande efficacité.

>>> La totalité de la fable montre des personnages en action. L’alternance de l’auditif et du visuel dynamise le récit, accentué par sa brièvement et la diversité métrique.

>> La diversité narrative, par l’influence d’un jeu d’oppositions, est mise au service de la double conception de la vie.

Dans la morale (vers 34 à 36), en prenant la parole, l’auteur expose ce qui donne, pour lui, un sens à la vie.

 

B. Deux natures opposées

- Dès le début de la fable, les personnages ne sont pas identifiés mais caractérisés par des adjectifs et situés géographiquement :

  1.  
    • vers 1 : Un philosophe, originaire de Scythie, région

considérée dans l’Antiquité comme rude et sauvage. Du reste, le vers 21, avec sa triste demeure, confirme cette notion.

  1.  
    • vers 4 : Un sage, associé à la Grèce et au Jardin (vers 7),

cité de lumière. De plus, l’enjambement des vers 3 et 4 met en valeur « le sage « par son rejet au début du vers 4.

- L’opposition traditionnelle des lieux (pays barbare / pays civilisé) se retrouve dans l’opposition des caractères des deux personnages : à l’adjectif austère (vers 1) correspond l’image des beautés d’un Jardin (vers 7), traduction d’un bonheur simple renforcé par les adjectifs du vers 6 satisfait et tranquille. L’auteur utilise un rapport métonymique région / personne qui permet aux adjectifs de la région de s’appliquer aux personnes.

Les deux personnages sont ainsi présentés dans un système d’opposition terme à terme de leur caractéristiques : à austère du vers 1 correspond égalant les Rois du vers 5.

Puis, l’opposition de nature des deux personnages va faire place à une opposition de leurs comportements.

 

C. Des comportements opposés

- L’opposition est facile à relever dans la mesure où le premier applique les conseils du second. Cette perception est renforcée par les différences entre les activités des deux personnages et les termes qu’ils emploient, que l’auteur évoque sous forme antithétique :

 

  1.  
    • le sage :

.il est présenté en train de jardiner et suggère un contexte paisible, serein et heureux : Jardin (vers 7), beautés (vers 7), arbres à fruit (vers 9).

.son activité est plaisante, évoquée par la succession des verbes du vers 10 ébranchait, émondait, ôtait, que l’imparfait renforce

.des choix possibles et des hésitations, rendus par ceci, cela (vers 10) qui témoignent d’une activité réfléchie et tranquille.

 

  1.  
    • le philosophe :

.les termes qu’il utilise pour évoquer le sage et ses gestes : vers 14 ruine, vers 16 dommage, sont des termes à connotation violente associés à l’idée de nuisance.

.les périphrases qu’il évoque en attestent également : la faux du temps (vers 17) pour désigner la mort, et, le noir rivage (vers 18) pour l’enfer.

. La Fontaine se plait à souligner l’ampleur systématique des dégâts par des figures de rhétorique variées : des hyperboles (à toute heure, vers 22 ; universel abatis, vers 24), l’anaphore de tout au vers 29, l’emploi de sonorités cassantes (coupe, vers 22 ; taille, vers 22 ; tronque, vers 26) qui s’opposent et font écho aux verbes qui qualifient l’action du sage au vers 10 ; et enfin la succession des négations aux vers 27 et 28.

- Cette opposition des comportements souligne l’absence de discernement et de réflexion et l’application sentencieuse et systématique des conseils du sage. II. UNE DOUBLE CONCEPTION DE LA VIE ET DU BONHEUR

De la même façon que la fable met en scène deux personnages aux natures et aux comportements opposés, la lecture permet de percevoir deux conceptions philosophiques de la vie différentes derrière chacun d’eux. A. Des références philosophiques et culturelles claires - Le premier personnage peut être associé à un stoïcien :

Du temps de La Fontaine, on ne trouvait plus guère de partisans de cette philosophie, mais le fabuliste vise en fait d’autres ascétismes dévots, bien vivants de son temps.

Tout ce qui se rapporte à ce personnage connote l’austérité et une certaine forme de violence : pays d’origine, comportements et caractéristiques. Il personnifie l’image du destructeur bien que n’étant pas parfaitement identifié. - Le second personnage incarne les valeurs de

l’épicurisme : Le pays d’origine, à travers le terme Grecs du vers 3, le différencie de la « sauvagerie « du premier en donnant à percevoir une manière de vivre plus civilisée en prenant goût aux plaisirs de la vie.

B. Deux conceptions antagonistes de la vie et du bonheur

L’auteur évoque bien ici deux conceptions opposées de la vie, de la mort et du bonheur. L’opposition des deux personnages est ici illustrée par celle des deux conceptions : - La première, celle du sage, est représentée par l’image

de la satisfaction tranquille : celle de la simplicité des plaisirs comme le jardinage mais aussi celle de l’esthétique rappelée par le terme beautés du vers 7 et du vers 11, Corrigeant partout la Nature, qui implique l’orientation humaine imposée à la nature. - La seconde, celle du philosophe, est intransigeante,

dogmatique : dans le même contexte de jardin, il exprime le refus du comportement observé. Elle s’oppose à la précédente par la violence et la démesure d’une personne insensible qui finit par détruire son environnement naturel et humain.

>> À ce stade de la fable, l’auteur est neutre et on ne sait qu’elle est sa sensibilité. III. LA LEÇON

L’auteur présente deux personnages qui incarnent deux modes de vie et deux systèmes philosophiques. Il nous fait comprendre bien avant la morale l’orientation de sa préférence. A. Une préférence personnelle visible

- La Fontaine, par le vocabulaire et les connotations choisies, oriente le lecteur bien avant la morale dans laquelle il expose explicitement sa préférence. Le sage et son environnement sont toujours évoqués favorablement avec un vocabulaire choisi, tandis qu’il est péjoratif pour le philosophe.

- La Fontaine met clairement en valeur l’art de vivre, la sensation de plénitude, de perfection et de bonheur du sage :

>>> la désignation même de sage correspond à un art de vivre meilleur >> le vers 5 permet d’entendre un balancement régulier, judicieusement évocateur de ce bonheur et de cette harmonie >> toujours au vers 5, l’anaphore du mot homme ainsi que la double évocation des Rois et des Dieux sont les témoins les plus évidents de cette plénitude.

- L’auteur fait ainsi du sage, l’archétype de l’homme mesuré par excellence.

Le Scythe est explicitement évoqué dans la première partie de la moralité.

- L’auteur, aux vers 31 et 32, utilisent les termes âme, désirs et passions qui renvoient à la spiritualité de l’homme, les adjectifs du vers 32, bon et mauvais, ajoutant des connotations morales. B. Une p rise de position personnelle

- D’abord suggérée, la préférence de l’auteur est clairement exposée dans la deuxième partie de la moralité (vers 34 à 36), exprimée par une gradation négative croissante, et manifestée par le moi et le je du vers 34. La prise de position est catégorique, renforcée par le présent, le verbe réclame du vers 34 et le dernier vers grâce à la régularité de ses deux hémistiches et la présence de deux termes opposés : vivre / mort (ce qui lui permet d’être entendu comme une vérité générale).

 

 

CONCLUSION

 

Récit allégorique par excellence, Le Philosophe Scythe doit son succès à la mise en scène violente, à l’instar d’une comédie, permise par l’alternance d’une narration entrecoupée de dialogues. L’auteur donne deux conceptions de l’homme qui s’opposent et le lecteur est libre de faire son choix. Mais La Fontaine accorde sa préférence à une vie plaisante, d’autant plus notable qu’elle est exprimée dans un siècle moraliste et janséniste qui s’opposa à la morale jugée trop complaisante des jésuites. Cette morale exprimée au 17ème siècle, à travers une fable ayant pour cadre l’Antiquité, est en fait valable à toute époque : une morale souriante et humaine est toujours préférable à l’intransigeance des puristes.

En ce sens, La Fontaine rejoint Molière dans ce choix d’un art de vivre plaisant, fondé sur le désir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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