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LEIBNIZ et la nécessité...

Publié le 22/02/2012

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(...) M. Hobbes veut que même la prescience divine seule suffirait pour établir une nécessité absolue des événements, ce qui était aussi le sentiment de Wiclef et même de Luther, lorsqu'il écrivit De servo arbitrio, ou du moins ils parlaient ainsi. Mais on reconnaît assez aujourd'hui que cette espèce de nécessité qu'on appelle hypothétique, qui vient de la prescience ou d'autres raisons antérieures, n'a rien dont on se doive alarmer; au lieu qu'il en serait tout autrement, si la chose était nécessaire par elle-même, en sorte que le contraire impliquât contradiction. M. Hobbes ne veut pas non plus entendre parler d'une nécessité morale, parce que en effet tout arrive par des causes physiques. Mais on a raison cependant de faire une grande différence entre la nécessité qui oblige le sage à bien faire, qu'on appelle morale, et qui a lieu même par rapport à Dieu, et entre cette nécessité aveugle, par laquelle Épicure, Straton, Spinoza, et peut-être M. Hobbes ont cru que les choses existaient sans intelligence et sans choix, et par conséquent sans Dieu, dont en effet on n'aurait point besoin, selon eux, puisque suivant cette nécessité tout existerait par sa propre essence, aussi nécessairement qu'il faut que deux et trois fassent cinq. Et cette nécessité est absolue, parce que tout ce qu'elle porte avec elle doit arriver quoi qu'on fasse; au lieu que ce qui arrive par une nécessité hypothétique arrive ensuite de la supposition que ceci ou cela a été prévu ou résolu, ou fait par avance, et que la nécessité morale porte une obligation de raison, qui a toujours son effet dans le Sage. Cette espèce de nécessité est heureuse et souhaitable, lorsqu'on est porté par de bonnes raisons à agir comme l'on fait; mais la nécessité aveugle et absolue renverserait la piété et la morale. Il y a plus de raison dans le discours de M. Hobbes, lorsqu'il accorde que nos actions sont en notre pouvoir, en sorte que nous faisons ce que nous voulons, quand nous en avons le pouvoir, et quand il n'y a point d'empêchement, et soutient pourtant que nos volitions mêmes ne sont pas en notre pouvoir, en telle sorte que nous puissions nous donner sans difficulté, et suivant notre bon plaisir, des inclinations et des voluptés que nous pourrions désirer. (...) La vérité est que nous avons quelque pouvoir encore sur nos volitions, mais d'une manière oblique, et non pas absolument et indifféremment. Essais de Théodicée, Réflexions sur l'ouvrage que M. Hobbes a publié en anglais, de la Liberté, de la Nécessité et du Hasard, §§ 3-4 (1710), Paris, Éd. J. Brunschwig, Garnier-Flammarion, 1969, p. 376-377.
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« le point de vue, qu'on dirait volontiers matérialiste, d'Épicure, Straton, Spinoza, et peut-être Hobbes (dans son De Corpore)...

Reste (Et cette nécessité est absolue...

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la piété et la morale) à réfléchir et définir une dernière fois ces distinctions internes à l'ordre de la nécessité.

Il y aurait donc trois sortes de « déterminations » : l'inévitable (ou l'inexorable) de la nécessité nue (et aveugle); le conditionné de la supposition;l'indispensable (et le souhaitable) de l'obligation.

Celle-ci serait bienfaisante autant que la première seraitmalfaisante (annulant toute possibilité de bien agir).

En un deuxième temps, Leibniz retrouve Hobbes sur laquestion de l'action volontaire : et même, d'abord, il le rejoint sur la distinction entre « pouvoir d'agir » et «pouvoir de vouloir » (Il y a plus de raison...

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nous pourrions désirer); mais c'est pour apporter unerectification (où le mot important est le dernier mot : indifféremment), qui oriente la critique de Leibniz, commeon le verra, dans une autre direction. 3.

Revenons sur ce qui fait le fond du débat dans la partie principale du texte.

Ce que vise Leibniz, c'est cequ'on appellera le nécessitarisme, qu'il soit théologique ou philosophique.

Voici que des penseurs modernes réactualisent à leur façon (en tirant, de leur concept de l'Absolu divin ou de la « machine » de l'Univers, ou desdeux à la fois, une infaillible consécution des choses et des événements) des thèses antiques auxquelles n'acessé de s'alimenter un sophisme que les Anciens eux-mêmes appelaient la raison paresseuse, parce qu'il incite à ne plus agir vraiment.

Il revient à conclure, de ce qu'« il y a une vérité dans l'événement futur, qui est prédéterminé par les causes » et de ce que « Dieu la préétablit en établissant les causes ») (ainsi que l'écrit Leibniz dans sa Préface déjà citée), qu'il n'y a rien à faire (qu'à s'abandonner au présent) puisque, l'avenir étant nécessaire, « ce qui doit arriver arrivera quoi que je puisse faire ».

A ce fatalisme (où Leibniz distingue un fatum mahumetanum et un fatum stoicum) il s'agit d'opposer un fatum christianum qui restitue sa raison à l'action. Telle est donc la thèse que, dans de nombreux textes, Leibniz s'efforcera d'accréditer : tout ce qui doit arriver nepeut arriver que par notre volonté; certes celle-ci, comme toute chose, est prévue par Dieu, mais elle ne l'est quecomme possible, non comme absolument nécessaire, en ce sens que le contraire pourrait se produire sanscontradiction — et c'est ici l'essentiel, car on échappe de la sorte à la juridiction du principe de contradiction (seulesource de la nécessité absolue) pour se soumettre à la règle de la compossibilité (ce qui est une tout autre affaire).L'action à venir (et qui appartient, dès le décret initial de Dieu, à la définition de l'individu comme le prédicatappartient au sujet, selon la conception qu'a Leibniz de la « substance singulière ») pourra être dite certaine, elle ne sera pas pour autant nécessaire : « Rien n'est nécessaire dont l'opposé est possible ».

il était « assuré », mais «non nécessaire en soi-même », que César franchirait le Rubicon, qu'Adam aurait cette postérité, ou encore queSpinoza lui-même mourrait à La Haye plutôt qu'à Leide... La grande idée de Leibniz, c'est qu'il existe une prescience/prévision de la Providence qui incline sans nécessiter dès qu'on est dans l'existence, c'est-à-dire dans un ordre qui est en lui-même contingent, parce qu'il dépend du libre-arbitre de Dieu (les décrets de sa volonté), et pas seulement de son entendement.

Ainsi peut-on être tout à la fois (pré)déterminé et libre (sans que le principe de contradiction y trouve à redire); aussi n'y a-t-il pas lieu de s'alarmer (pour le sort de la morale et de la piété) : «Quoiqu'il soit enfermé dans ma notion que je ferai ce voyage, il y est enfermé aussi que je le ferai librement » .

Cet autre « déterminisme », c'est la nécessité morale.

S'il faut accéder à sa pleine légitimité, on doit la concevoir comme convenance, la rapporter au principe de raison suffisante, et de là au principe du meilleur (de l'optimum) et à l'harmonie préétablie.

Oncomprend que le Sage soit d'autant plus parfaitement (et toujours) déterminé par cette obligation de raison qu'il est à mêmed'en saisir distinctement la « nature ». 4.

Cette remarque nous introduit d'ailleurs à l'ultime considération sur la volonté.

Hobbes est rigoureux dans sa conception desrapports du vouloir et du pouvoir : on peut ce qu'on veut, pour autant qu'on veut ce qu'on peut — dans la mesure donc de ses forces,et tant qu'on n'est pas limité de l'extérieur par des contraintes.

Il va jusqu'à écrire, dans son Léviathan : « Si un homme me parlait d'un quadrilatère rond, (...) ou d'un sujet libre, ou d'une volonté libre, ou de quoi que ce soit de libre, sinon au sens de : libéré de l'empêchement constitué par une opposition, je ne dirais pas qu'il est dans l'erreur, mais que ses paroles ne veulent rien dire,et, en d'autres termes, sont absurdes.

8 » Dans le « mécanisme » des déterminations, nous ne pouvons donc pas forcer une volition àautre chose que ce à quoi elle est poussée quand elle ne rencontre pas d'obstacle; il n'y a pas d'arbitraire du libre-arbitre possible.Sous cet angle, Leibniz n'a rien à objecter; le mécanisme, pour lui aussi, gouverne tous les corps.

Mais il n'est universel que pensésous le finalisme et selon le principe du meilleur.

« On ne saurait vouloir que ce qu'on trouve bon », écrit Leibniz dans ses NouveauxEssais sur l'entendement humain, « et selon que la faculté d'entendre est avancée, le choix de la volonté est meilleur9 ».

Avec de laméthode et avec le temps, on peut arriver à « faire ce que nous voudrions vouloir, et que la raison ordonne ».

Il y a donc moyen, parces médiations, de façon indirecte (et non pas absolument) et certaine (quoique non nécessaire), d'avoir prise, par la raison dumeilleur, sur nos volitions, de diriger ce que Leibniz appelle les « volontés conséquentes ».

L'essentiel pour lui, dans cette affaire, estque la liberté ne puisse être entendue comme liberté d'in-différence (celle-ci étant elle-même ramenée à l'indifférence d'équilibre) : leprincipe des indiscernables, cette fois, s'y oppose.

Et ici, sont visés les disciples de Scot, ceux de Molina, mais aussi les Cartésiens.D'une certaine façon, Leibniz prêche d'exemple : ce qu'il pourrait « vouloir » comme Hobbes, il le rectifie par une intelligence quidistingue toujours plus avant, toujours mieux, dans l'équivoque des notions.

Par quoi il s'autorise à dire, dans une volition plus parfaite: on a raison de..., ou la vérité est que.... »

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