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Léon Schwarzenberg, professeur de médecine, a écrit : «Un pays dans lequel n'existe plus, le soir, une chambre dans laquelle un enfant apprend le grec ou le violon, est un pays perdu. » Dites comment vous comprenez cette affirmation, et ce que vous en pensez.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Introduction L'auteur de cette formule n'est pas un écrivain ou un artiste, un professionnel de la culture au sens traditionnel du terme, réduite à la littérature et aux beaux-arts, à la philosophie et à l'histoire. C'est un médecin, donc le détenteur d'un savoir « utile » par excellence. Il défend pourtant ici la survivance d'une culture gratuite, désintéressée (le grec et le violon sont choisis symboliquement pour leur « inutilité » sociale). Il exprime ici une inquiétude, voire un pessimisme, qui semblent confirmés par les évolutions récentes : transformation radicale des pratiques et des modèles culturels' ; mutation accélérée des systèmes éducatifs dans le sens d'une rentabilisation accrue... Amorce de discussion : la formule désenchantée de L. Schwarzenberg ne va pas sans un risque de nostalgie, de passéisme ; — surtout, elle s'inscrit finalement dans la coupure utile/inutile en matière de connaissance et de culture, même si c'est pour revendiquer les droits du second.

« et en grande masse des producteurs et des consommateurs.

C'est le type de développement qui s'est imposé àl'époque et qui a tendu à dévaloriser les occupations gratuites ou marginales, le culte du passé, le goût de la culture« pure » et adaptée aux aspirations de l'individu pris en particulier.

En somme, il s'agissait de promouvoir un autretype de culture qui peut aussi apparaître comme une « décultivation » par rapport aux formes traditionnelles (le grecet le violon, justement...).

On peut se rapporter ici aux romans de G.

Perec (les Choses), de C.

Rochefort, voire auxchansons de Léo Ferré (« L'âge du plastique...

») ; ou encore à l'angoisse exprimée par les oeuvres du romancier etcinéaste italien P.

P.

Pasolini ; à la recherche à la fois ironique et nostalgique d'un passé proche et déjà révolu dansles films de F.

Fellini (Huit et demi; Roma; Amarcord; Vogue le navire).

Réciproquement, d'ailleurs, le retour à laculture désintéressée pourrait actuellement apparaître comme une réponse ou un remède face à la récession et à lacrise qui ont quelque peu inversé le mouvement de la société.

La pratique, dans une chambre, du violon ou du grecseraient alors des formes sublimées de compensation ou d'évasion. II.

Discussion 1.

Pourquoi un pays perdu ?En tout cas, L.

Schwarzenberg met l'accent sur un risque majeur : l'hégémonie d'une modèle culturel dans lequell'innovation technologique se distingue parfois mal du « gadget », tout en marginalisant des disciplines un peu tropfacilement vues comme archaïques ; et où les moyens de diffusion de masse conduisent à la standardisation desindividus et au conformisme.D'autre part, sa préoccupation va bien au-delà du désir de préserver les prédilections raffinées d'un petit nombre.S'il parie' d'un « pays perdu », c'est qu'il redoute à juste titre l'étroitesse d'un projet de société axé sur la rentabilitéimmédiate.

Voltaire, déjà, parlait très sérieusement du «superflu, luxe si nécessaire ». 2.

Cela dit, cette formule implique encore la sublime inutilité du grec et du violon — et des formes culturellestraditionnelles et désintéressées en général.

Si on l'examine à la loupe, on peut remarquer sur le moment choisi poursituer l'exemple (« le soir, une chambre ») les ramène justement à des activités de luxe et de loisir, de délassementaux travaux « utiles » de la journée...

La culture reste encore un supplément d'âme — sans lequel, assurément, lemonde devient invivable.Enfin la pratique culturelle ainsi envisagée représente, bon gré mal gré, l'individu séparé, isolé.

En tout cas, il nefaudrait pas gauchir la formule jusqu'à en revenir à la vieille conception élitiste et individualiste de la culture d'unepetit nombre d'âmes bien nées.

A.

Thiers ne disait-il pas : « la culture est un privilège comme la richesse ». 3.

De ce point de vue, il ne faudrait pas oublier non plus que, non seulement les disciplines scientifiques, mais laformation technologique, le travail productif, l'ensemble des rapports sociaux ne sont pas simplement des objetssocialement utiles, mais sont également porteurs de culture.Et surtout, on peut souhaiter donner à celle-ci une finalité beaucoup plus essentielle encore que l'affinement desindividus.

J.-P.

Sartre, par exemple, écrit (dans Situations) : «Je ne dis pas qu'un homme est cultivé lorsqu'il connaîtRacine et Théocrite2, mais lorsqu'il dispose du savoir et des méthodes qui lui permettent de comprendre sa situationdans le monde ». 4.

Dans cette perspective d'une culture non étriquée et formelle, fermée sur elle-même, mais vaste, globalisante etouverte sur le monde, active aussi (comprendre sa situation, c'est se donner les moyens d'agir), quelle peut doncêtre la place du violon et du grec, pour privilégier les exemples mêmes de L.

Schwarzenberg ?D'abord ils donnent accès à des formes d'expression qui sont partie intégrante du patrimoine moral et sensible del'humanité.

Non seulement mieux comprendre l'Acropole d'Athènes ou le sanctuaire d'Olympie nous aident à nousreconnaître dans l'histoire humaine ; mais nous avons toujours à réfléchir à partir de l'Antigone de Sophoclemontrant le conflit entre la raison d'État et les lois non écrites du devoir envers chaque individu ; ou sur la terribleprophétie d'Euripide à la fin des Troyennes : «Faites la guerre, mortels imbéciles, vous en créverez, tous.

» Mais nepeut-on pas trouver aussi dans les sonates et les partitas pour violon de J.

S.

Bach un véritable panorama desémotions humaines — et de la raison qui les organise pour les rendre communicables ? Conclusion Ainsi, les pratiques apparemment les plus gratuites, trouvent, à condition de se placer dans une définition large etactive de la culture, une finalité humaine essentielle.

A.

Siegfried (Technique et culture dans la civilisation du xxsiècle) ne disait-il pas : «La culture est une prise de conscience par l'individu de sa personnalité d'être pensant,mais aussi de ses rapports avec les autres hommes et avec le milieu naturel...

Pour être un homme cultivé, il fautavoir assimilé, consciemment ou inconsciemment, tout l'apport séculaire de la civilisation, tout ce que la civilisationdes siècles antérieurs a donné à l'homme.

Cette assimilation peut se faire par la lecture, par l'enseignement, par laconversation, par une espèce d'osmose, en respirant un certain climat...

l'homme appartenant à une civilisation estformé par l'air même qu'il respire, par les maîtres qu'il a, par les amis qu'il rencontre ; j'en reviens donc à cetteconception que l'opération essentielle ici, c'est la prise d'individualité, quel que soit le moyen par où vous l'obtenez.. »

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