Lettres portugaises
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
En 1669, paraît à Paris un petit livre mystérieux, intitulé Lettres portugaises, composé de cinq lettres traduites en français. Une annotation désigne comme auteur « Mariana Alcoforado, religieuse de Beja « . Le véritable auteur en fut cependant Gabriel de Lavergne, comte de Guilleragues, lettré mondain et grand ami de Racine. L'anonymat conservé par Guilleragues et la fiction d' une religieuse abandonnée donnaient aux Lettres une grande saveur ainsi que le sentiment confus pour le lecteur du xvne siècle de pénétrer dans l'intimité d'un dialogue confidentiel. D'où leur immense succès.
«
«Ma passion
augmente à chaque
moment.
Ah! que j'ai de choses à vous dire ! »
EXTRAITS
La confrontation solitaire
avec
l'amour trahi
Considère, mon amour, jusqu'à quel excès
tu as manqué de prévoyance.
Ah ! malheu
reux! tu as été trahi, et tu m'as trahie par
des espérances trompeuses.
Une
passion sur laquelle tu avais fait
tant de projets de plaisirs ne te
cause présentement qu'un mortel
désespoir, qui ne peut être com
paré
qu'à la cruauté de l'absence
qui le cause.
Quoi ? cette ab
sence, à laquelle ma douleur, tout
ingénieuse
qu'elle est, ne peut
donner un nom assez funeste, me
privera donc pour toujours de re
garder ces yeux dans lesquels je
voyais tant d'amour, et qui me
fais aient connaître des mouve
ments qui
me comblaient de joie,
qui me tenaient lieu de toutes
choses,
et qui enfin me suffi
saient ? Hélas ! les miens sont privés de
la
seule lumière qui les animait, il ne leur reste
que des larmes,
et je ne les ai employés à
aucun usage
qu'à pleurer sans cesse, depuis
que j'appris que vous étiez enfin résolu à un
éloignement qui
m'est si insupportable, qu'il
me fera mourir en peu de temps.
Lettre n° 1
Un personnage tragique entre lucidité
et impuissance
Je vous conjure de me dire pourquoi vous
vous êtes attaché à m'enchanter comme vous
avez fait, puisque vous saviez bien que vous
deviez
m'abandonner ? Et pourquoi avez
vous été si acharné à
me rendre malheu
reuse? que ne me laissiez-vous en repos dans
mon cloître ? vous avais-je fait quelque in
jure ? Mais
je vous demande pardon: je ne
vous impute rien ;
je ne suis pas en état de
penser à ma vengeance, et j'accuse simple
ment
la rigueur de mon destin.
Il me semble
qu'en nous séparant, il nous a fait tout
le mal que
nous pouvions craindre ; il ne saurait
séparer nos cœurs ; l'amour, qui est plus puis
sant que lui, les a unis pour toute notre vie.
Lettre n° 1
L'imagination persécutée par la passion
Je ne sais ni ce que je suis, ni ce que je fais,
ni ce que
je désire : je suis déchirée par mille
mouvements contraires.
Peut-on s'imaginer
un état si déplorable ? Je vous aime éperdu
ment, et
je vous ménage assez pour n'oser,
peut-être, souhaiter que vous soyez agité des
mêmes transports : je me tuerais, ou je
mourrais de douleur sans me tuer, si j'étais
assurée que vous n'avez jamais aucun repos,
que votre vie n'est que trouble et qu'agita
tion, que vous pleure z sans cesse, et que tout
vous est odieux.
Lettre n° 3
«Je me sens ( ...
) en état de brûler et de
déchirer ces gages de votre amour qui
m'étaient si chers ...
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Le roman baroque était profusion , le
roman classique suppose distance et
transposition.
Les
Lettres portugaises, dans
leur splendide isolement, représentent
l'extrême du dépouillement et de
l'immédiat.
D'où la fascination qu'elles
exercent encore.
»Pierre Brunel, Histoire
de
la littérature française, Bordas, 1972.
la
page des seules lettres d'une femme,
concrétise pour le lecteur ce qu'était la
situation d'écri ture pour la femme, à savoir
isolement et solitude.
Et cette solitude de
l'acte d'écriture,
à son tour, symbolise une
solitude morale, car la séparation physique
de la femme et de son interlocuteur
représente aussi la séparation psychologique
qui résultera de l'échec de la tentative de
dialogue que sont les lettres.
» Frédéric
Deloffre et Jacques Rougeot , introduction
critique des
Lettres portugaises.
« Les cinq Lettres marquent l'évolution
d 'un amour-passion abandonné à lui-même ,
laissé presque sans nourriture de la part de
l'objet de cette passion , mourant pour ainsi
dire d'inanition sentimentale.
« La formule monophonique , la présence sur
1, 2, 3 gra v.
de Marianne Clouzot, Marcel Lubineau éd ., Pari s, 1960 /B .
N .
» Les cinq Lettres sont comme les cinq
actes condensés
d'un drame respectant les
unités classiques,
à situations variant peu,
consistant entièrement en monologues
intérieurs.
» Leo Spitzer , Romanische
Forschungen,
n° 65, 1954.
GUILLERAGUES 02.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Lettres portugaises de Guilleragues (résumé & analyse)
- Les lettres portugaises
- Lettres portugaises traduites en français de Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de Guilleragues
- LETTRES PORTUGAISES
- Lettres portugaises [Guilleragues] - Fiche de lecture.