- L'ironie tragique consiste à favoriser l'exécution du fatum, alors
qu'on a précisément l'intention de le conjurer par l'illusion d'une action
libre. Le tragique est d'autant plus fort lorsqu'est rendue plus sensible la
nécessité prédéterminée de notre action, qui par là échappe à toute liberté
possible, rendue par avance vaine et illusoire. Le destin constitue, ainsi, le
contrepied parfait de toute conception possible de la liberté.
II. La liberté constitue un destin, en raison de son absoluité constitutive
(Sartre).
-L'homme choisit ce qu'il veut être selon un éventail indéfini de possibilités
qui lui sont essentiellement offertes. Il n'y a donc pas de forces
transcendantes qui déterminent son choix, donc pas de prédestination : l'homme
est à lui-même, en tant qu'être fondamentalement libre, son propre destin.
-Or, l'homme ne choisit précisément pas d'être libre : il est contraint d'être
libre, au sens où sa liberté seule n'échoit pas à son choix ; c'est pourquoi la
liberté constitue, non une essence prédéterminée, mais la condition
propre d'un homme qui ne choisit pas la nécessité même de sa liberté. Le vrai
tragique, en ce sens, ne réside pas dans la prédétermination, mais dans la
liberté absolue, tellement absolue qu'elle échappe à cette liberté même. En
effet, on peut choisir de fuir sa liberté, mais on restera toujours responsable
de tout devant tous, quoiqu'on fasse : et c'est dans ce constat existentiel que
se situe toute la tragédie du destin humain.
-La liberté, c'est le sentiment d'être indépendant par rapport à une influence extérieure, donc d'être maître de soi. Etre libre, c'est être maître de sa propre destinée. -Or, le destin, à l'inverse, est souvent entendu comme une prédestination, c'est-à-dire comme la prédétermination de l'action d'un être, dont les faits et gestes s'enchaînent avec une implacable nécessité. -En quel sens pourrait-on donc comprendre la liberté comme constituant notre destin le plus absolu ? La liberté peut-elle parvenir à un tel degré d'absoluité qu'elle en devienne comme "fatale" ? Et n'y aurait-il pas, alors, un mode authentique d'assomption de cette fatalité de la liberté, au sein d'un destin vécu comme responsabilité absolue ?