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On lit dans la correspondance de Flaubert : «Il n'y a pas de beau sujet d'art, Yvetot vaut Constantinople.» Expliquez et discutez cette boutade.

Publié le 30/01/2011

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flaubert

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« 2 Le beau sujet risque d'arrêter l'artiste à la surface des choses.

L'exemple cité de Proust montre bien un autre danger du beau sujet : même s'il y avait effectivement de beaux sujets dans le réel, ils empêcheraient le regardd'aller au-delà.

En effet, devant une belle sculpture, il n'y a pas pour le regard à creuser la pierre et à s'interrogersur son opacité mystérieuse d'objet, puisque précisément un autre l'a fait pour nous et lui a donné une significationque nous avons à rechercher en référence, non à l'opacité de la pierre, mais aux intentions de l'artiste ; tandis qu'enface d'un objet sans finalité, d'un rayon de soleil sur les ardoises d'un clocher (les clochers de Martinville) ou biend'une cuiller en bois aux formes étranges, découverte au Marché aux Puces (Breton, L'Amour fou, Gallimard, coll. Folio, p.

38 sqq.), notre esprit peut travailler librement sur tout ce que cela lui suggère et faire alors pour soncompte le travail de création artistique.

Flaubert annonce en somme cette idée chère à Proust, à Maurois (cf.

sujet 28), aux surréalistes, quelles que soient par ailleurs leurs différencesesthétiques, que la beauté n'est pas dans les choses, mais derrière les choses, sorte de prisonnière toujours prête àbondir de sa cachette sous le regard de qui la sollicite. 3 Yvetot et la nature morte.

En réalité lorsque Haubert attire notre attention sur l'intérêt artistique d'Yvetot, il songe à ce qu'il y a toujours pour un artiste authentique de fascinant dans un objet quotidien, sans beautéimmédiate, mais dont la présence lourde et inévitable semble un défi à notre permanente interrogation : d'où lesuccès immémorial et toujours renouvelé de la nature morte en art, aussi bien en littérature qu'en peinture ; celacommence en réalité avec Homère qui décrit longuement un vase, une arme, le gréement d'un navire et cela estplus actuel que jamais avec des poètes comme Ponge (cf.

XXe Siècle, p.

567), des romanciers comme Sartre (la racine de marronnier dans La Nausée, Ibidem, p.

464), Claude Simon (un cheval mort dans La Route des Flandres, Ibidem, p.

538), Robbe-Grillet (une pelote de ficelle dans Le Voyeur, Ibidem, p.

541), Butor (une cuisine dans Passage de Milan, Ibidem, p.

548) - et dans l'intervalle songer par exemple à la robe d'un pédant décrite par Régnier, à la chambre de Jean Bedout dans Le Roman bourgeois de Furetière, Ibidem p.

59, à la peinture hollandaise, à Chardin, etc.

Et qu'on ne dise pas que la description ou la peinture embellissent et transfigurent lesujet de la nature morte, car Haubert ne songe certainement pas à la vieille idée que l'art embellit tout ce qu'iltouche (ce qui serait un retour à un idéalisme et à un académisme peu conformes aux vues esthétiques deFlaubert), mais plutôt à cette sensation, presque ontologique, que donne une nature morte, d'interrogation sur lepourquoi de ce qui existe : pourquoi cette timbale près de cette cruche ? pourquoi les choses ? pourquoi MadameBovary contemple-t-elle toujours le même paysage depuis sa fenêtre ? etc. III Contre Flaubert Si séduisante et si «moderne» que soit cette remarque de Haubert, n'est-elle quand même pas un peu un paradoxedont il faut marquer les limites ? 1 L'art et l'absolu.

Si le but de l'art est une enquête phénoménologique, une interrogation ontologique à niveau d'existence, nul doute que Haubert n'ait raison et qu'Yvetot vaille Constantinople.

Mais si, comme le veulent parexemple les poètes de la Pléiade, certains romantiques et les symbolistes, le but de l'art est la conquête d'unAbsolu, d'un monde d'Idées pures, Yvetot ne vaut peut-être pas Constantinople : en d'autres termes certains objetsréels sont sans doute des intermédiaires plus favorables que d'autres, des symboles meilleurs pour ce chemin versl'Absolu..

Si Pétrarque chante la belle Laure de Noves et Ronsard la noble Cassandre, et non ces vieilles maquerelleshorribles que dépeint Régnier dans ses Satires, c'est probablement que pour eux Laure et Cassandre sont de meilleures étapes sur cette route de la Beauté pure, des idées platoniciennes qu'ils entendent suivre.

Même un Baudelaire qui intègre dansl'art l'horreur et le dégoût (cf.

Une Charogne, pièce 29) sait bien qu'une chevelure brune et opulente, un parfum, un «beau ciel d'automne clair et rose» sont des moyens de choix pour parvenir à ce «Ciel antérieur où fleurit labeauté». 2 L'art et les thèmes.

Même si l'on ne partage pas une conception aussi mystique de l'art, il semble difficile de nier qu'il y ait, en littérature notamment, des sujets traditionnellement prêts pour l'exploitation littéraire et que, de cepoint de vue, Constantinople ne vaille pas mieux qu'Yvetot.

Bien sûr, le danger de toujours peindre Constantinopleet de se refuser à voir Yvetot serait très grand, car on aboutirait à une thématique artistique refermée sur elle-même, mais à ne traiter qu'Yvetot ne serait-ce pas la mort de la littérature, car pour bien parler d'Yvetot il faut toutcréer, aucune tradition littéraire et artistique ne guide et n'oriente l'auteur ? Du reste Flaubert semble l'avoir biensenti et, à côté de ses romans «sur Yvetot» (Madame Bovary, L'Éducation sentimentale, Un Coeur simple), il a écrit bon nombre d'oeuvres «sur Constantinople» (Tentation de Saint-Antoine, Salammbô, Hérodias), et cela sans doute parce qu'il a compris qu'il y a une très grande richesse artistique à exploiter dans la beauté, déjà constituéedepuis des siècles, de sujets qui par eux-mêmes ont une valeur esthétique.

D'ailleurs Haubert ne dit pas qu'Yvetotexclut Constantinople, mais vaut Constantinople (sur cette idée que l'artiste ne crée pas à partir de rien et travaillemoins sur le réel fruste que sur des thèmes déjà élaborés par d'autres artistes). 3 Le choix profond.

Enfin ce n'est peut-être pas pour de pures raisons esthétiques extérieures qu'on choisit Yvetot ou Constantinople : en d'autres termes, il y a peut-être dans ce choix une question d'univers propre à l'artiste (cf.sujet 16) ; choisir Constantinople, c'est porter en soi un univers somptueux, coloré, architecturé, antique, etc.

;choisir Yvetot, c'est exprimer un univers gris, horizontal, monotone, etc. Conclusion. »

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