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La littérature romanesque vers 1756 (exposé)

Publié le 28/04/2011

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   D'ailleurs Rousseau ne pensait pas que ces lettres auraient jamais d'autre lecteur que lui. Songer au métier d'écrire c'était attacher à son rêve les chaînes pesantes des scrupules d'auteur. Surtout c'était se « démentir lui-même «. En faisant sa « réforme « il n'avait pas caché qu'il entendait renoncer aux frivolités de la littérature comme à celles des bas blancs et des longues perruques. Dans ses Discours il avait violemment dénoncé les corruptions des belles-lettres, les dangers de ces fictions du théâtre, de la poésie, du roman qui parent les plus dangereuses passions d'invincibles attraits. En écrivant Narcisse ou le Devin du village il se démentait donc. Mais les démentis étaient minces car les œuvres ne tiraient pas à conséquence. La contradiction aurait été singulièrement plus grave si Rousseau avait publié un roman de passion, le témoignage le plus éclatant de ce que pouvait créer la littérature pour la séduction et par conséquent la perversion des âmes. Tout devait détourner Jean-Jacques d'un pareil démenti. Mais il céda à deux tentations : le désir du succès et l'illusion d'être utile.   

« passion d'amour.

Marivaux, Mme de Tencin, Duclos nous conduisent par les « sentiers » du cœur et « confessent »les amants et les amantes.

Ce sont, presque toujours, il est vrai, des cœurs raffinés et des amants du grand monde.Mais on commence à aimer la nature commune ; le succès de Gil Blas et du Paysan parvenu n'est pas épuisé.Surtout on découvre avec enthousiasme les romans anglais.

On traduit les Aventures de Joseph Andrews etl'Histoire de Tom Jones de Fielding, en 1743 et 1750 ; Pamela, Clarisse Harlowe, Grandisson de Richards on en1742,1751,1755.

Ce ne sont pas, assurément, des romans « roturiers » ni des romans « bas ».

Ni Fielding, niRichardson ne se proposent de nous intéresser à des propos de rustres et des aventures de gens de rien.

Mais cesont bien, presque toujours, des romans « simples » où il n'importe pas à l'auteur que le héros soit baron ouportefaix, l'héroïne duchesse ou servante.

Il lui suffit qu'ils aient de l'intelligence ou de la vertu.

Tom Jones estenfant trouvé, Paméla est servante, et Clarisse pourrait être bourgeoise aussi bien qu'elle est de noblesse. C'est qu'il importe non pas de plaire mais d'instruire.

Les romanciers anglais, Richardson surtout, ne sont pas deshommes de lettres.

Ils se préoccupent peu des scrupules des puristes, des bienséances et du « bon ton ».

Ilsignorent les petits maîtres comme les Académies.

Ils veulent nous faire détester le vice et adorer la vertu.

Ilsécrivent des romans comme ils prononceraient des sermons.

Et ce sont ces sermons qui ont ravi les beaux espritsfrançais tout autant que la belle humeur de Tom Jones et le pathétique de Clarisse.

On a lu les romans anglaiscomme on lisait Addison ou Shaftesbury, pour y prendre des leçons de morale, pour y trouver des règles de vie.

Lesromanciers français commencent à se piquer au jeu.

Ils ne veulent plus être accusés de corruption ni même defrivolité.

Sans doute, il y a toujours des lecteurs pervertis et des gens qui les corrompent.

Crébillon le fils, la Morlièreet d'autres écrivent leurs Sophas et leurs Angolas et les lecteurs ne leur manquent pas.

Mais on commence à neplus avouer qu'on les lit.

On commence, quand on est romancier, à se vanter de ne pas leur ressembler.

Mouhy,l'abbé Lambert, Mme de Graffigny et d'autres écrivent pour « célébrer la vertu ».

Le roman tend à devenir une «école de morale ». Il tend même à devenir une « école de sentiment ».

Le sentiment n'était pas nouveau dans le roman français.

Lestrois quarts des romans qui se publient dans la première moitié du XVIIIe siècle sont des études de sentiment.

Maison l'étudiait pour l'analyser et tout au plus pour le peindre, et non pas pour le partager.

Il fallait saisir les «mouvements du cœur » bien plutôt qu'émouvoir celui des lecteurs.

Le plaisir de la lecture était raisonnable,philosophique et même « géométrique » ; il ne touchait que l'intelligence.

Peu à peu, cependant, on se lasse decette « géométrie ».

Le sentiment qui n'était plus qu'un « sujet de conversations » devient une raison de vivre.Parmi les êtres « tout spirituels » qu'étaient les contemporains du marquis d'Argenson, on découvre des « gens àsentiments ».

C'est pour eux que des romanciers commencent à composer.

Mme Riccoboni, avant la NouvelleHéloïse, publie les Lettres de mistress Fanni Butlerd (1757), l'Histoire de M.

le marquis de Cressé (1758), les Lettresde miladi Juliette Catesby (1759).

Ce ne sont pas des romans romantiques, mais ce ne sont pas non plus des romansromanesques, ni du bel esprit.

On n'y vit que pour aimer, de toute son âme, pour ne goûter la vie que si l'on estaimé.

Le bonheur et le désespoir y gardent d'ailleurs une discrétion de bonne compagnie.

Mais d'autres, avant laNouvelle Héloïse, dédaignent ces réserves.

On commence à vouloir exprimer « la force des passions » et à leur «prêter leur langage ».

On atteste qu'elles ne sont pas vraies si elles ne font pas oublier la prudence et lesbienséances.

On écrit pour « exciter ce tendre frémissement, ces agitations si terribles et en même temps siagréables pour ceux qui sont dominés par le sentiment ».

Sans doute ces romanciers frémissants sont des gens sanstalent et fort dignes d'être oubliés.

Si l'on en excepte les émouvantes Lettres d'amour d'une religieuse portugaise,que l'on tenait pour un roman et dont le succès ne s'était pas démenti depuis la fin du XVIIe siècle, ils s'appellentGuillot de la Chassagne, Mouhy, Bastide, Baculard d'Arnaud, Mlle de la Guesnerie, etc...

Mais s'ils manquent detalent, ils ne manquent pas d'ardeur et de conviction.

Et tout au long de leurs romans déclamatoires il est curieuxde retrouver sans cesse les déclamations sentimentales, le ton de Rousseau, ses termes mêmes et parfois jusqu'auxformules qu'il a fait voler par les bouches des hommes.

On y savoure le « poison » des passions ; on y passe de «délires » en « frénésies » ; on y connaît les « douceurs funestes », les « amères délices » ; on y exalte et on ymaudit le « fatal présent du ciel ».

Avant Rousseau on y est déjà « tout Rousseau ».. »

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