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LOTI APRÈS PÊCHEUR D'ISLANDE

Publié le 22/03/2011

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   De même que Brunetière s'était inquiété après Mon Frère Yves, par admiration et par sympathie, de l'évolution, où il sentait des dangers, que pourrait suivre le talent de Pierre Loti- de même après Pêcheur d'Islande Edmond Scherer avait peur que l'écrivain ne fût épuisé, et surtout qu'il n'abusât des répétitions et du procédé, dont, à son témoignage, l'œuvre portait déjà des traces ; il craignait que « sa conscience ne fût moins exigeante «. La clairvoyance du critique du Temps était en défaut. Pierre Loti ne pouvait se répéter que dans la mesure, commune à tous les hommes, où l'on ne sort jamais de soi-même. Mais il s'écoula trois ans, entre Pécheur d'Islande et Au Maroc, avant qu'une œuvre fût digne dans toutes ses parties du génie de l'auteur.    Pendant ces trois ans, il publia un roman : Madame Chrysanthème (1887) et deux recueils : Propos d'Exil (1887) et Japoneries d'automne (1889).

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« commande et moi-même, ose écrire cette phrase : « L'Amiral est un soldat, l'autre n'est qu'un artiste.

» Il lesconnaît sans doute bien peu, les soldats, pour laisser échapper dans un article, qui en somme ne semble pas avoird'intention malveillante, la phrase la plus blessante qu'on puisse dire à qui porte un sabre.

Il se trompe d'ailleurs detout point ; cet amiral dont il parle avec une si belle désinvolture, n'est plus un soldat, mais un «Chef de soldats»,ce qui est plus difficile et plus rare.

Quant à l'autre, Monsieur, l'autre est un soldat simplement ; mais il tientbeaucoup à ce titre, et il lui est fort pénible qu'on y touche, même en le remplaçant par celui d'artiste que vousvoulez bien lui donner.

» Il y a dans cette lettre, restée jusqu'ici dans les papiers privés de Pierre Loti, un accent de fierté et de dignité dontaucun de ceux qui l'ont connu ne peut éprouver la moindre surprise.

Le passage sur les guerres coloniales estd'autant plus précieux à retenir que jusque dans Prime Jeunesse publié en 1919, il continuait à dénoncer l'expéditiondu Tonkin comme « absurde et folle, néfaste et stérile ».

C'était une erreur, que les leçons mêmes de la guerreauraient dû épargner à l'ancien officier de marine.

Mais il arrivait à ses jugements de n'être pas toujours libérés deses rancunes, et la courte disgrâce que lui avaient value les articles du Figaro sur la prise de Hué avait laissé dansson cœur meurtri de terribles ressentiments.

Ils ne s'étendaient pas à l'amiral Courbet.

Le grand « chef de soldats »n'avait rien brusqué pour aggraver la situation où s'était mis le lieutenant de vaisseau de l'Atalante et l'on peutmême penser que, sans le bruit fait à Paris par cet incident, il l'aurait réduit à sa juste mesure et terminé par unsimple rappel aux règlements militaires. Toujours est-il que les pages Sur la Mort de l'Amiral Courbet comptent parmi les plus belles que Pierre Loti aitécrites.

Publiées, —en volume, — après Pêcheur d'Islande, mais écrites avant, elles sont surtout émouvantes parleur simplicité et leur sobriété.

L'artiste y montre un goût, un tact et une mesure qu'on ne saurait trop admirer. C'est le 11 juin 1885, quelques jours avant la paix, que l'Amiral Courbet était mort, à bord du Bayard, dont la devise« inscrite à l'arrière du vaisseau au milieu des dorures aurait aussi bien pu être la sienne ».

Pierre Loti, embarqué surla Triomphante, partit pour le Japon.

Il eut à Nagasaki, pendant trois mois, avec une mousmée, une idyllematrimoniale qui fait tout le sujet menu et ténu de Madame Chrysanthème.

Cet amour exotique ne ressemble pas àceux qu'il a décrits dans Aziyadé, dans le Mariage ou dans le Roman d'un Spahi.

Cette « jeune personne du pays deslanternes peintes et des arbres nains », qui vit dans une maison de papier, sous une moustiquaire de gaze verte, nerappelle ni l'esclave Circassienne ni Rarahu ni Fatour-Gaye.

Elle est plus un bibelot qu'une femme.

A-t-elle une âme ?Pense-t-elle même en avoir une ? Son « enfantillage » et sa « légèreté d'oiseau » amusent la curiosité mais ils neprennent pas le cœur de l'officier de marine, qui se complaît surtout à rendre dans de petits tableaux exquisl'intérieur de la vie nippone, « si mièvre, si petite, si artificielle » et à dessiner « en quelques traits mystérieux », despaysages « divins » (A.

France).

C'est de ces tableaux, tels un repas en miniature chez Madame Chrysanthème ouun cortège funèbre de mousmés, et de ces paysages, telle l'arrivée saisissante en vue de Nagasaki, que le romantire son charme pénétrant et rare.

Il faut prendre le livre tel que Pierre Loti l'a voulu — et prolongé, dix-huit ansaprès, dans La troisième Jeunesse de Madame Prune — sans y chercher et surtout sans y exiger ce qu'il n'a jamaiseu le dessein d'y mettre.

Certes il a vu et il a noté le contraste entre le vieux Japon auquel allaient ses goûtsd'artiste, et l'invasion de cette civilisation européenne qui devait rendre « ennuyeuse à habiter la terre, pareille d'unbout à l'autre ».

Mais ce n'était ni son métier, ni son rôle, ni son goût de constater ou de prévoir es transformationspolitiques et sociales qui préparaient l'entrée du Japon, pour un tout premier rôle, dans les grandes puissances dumonde.

Il voyageait « pour se distraire un peu », n'ayant ni une mission militaire ni une mission diplomatique, — etpour nous distraire.

Ce double but a été atteint.

S'il est impossible d'égaler Madame Chrysanthème à Pêcheurd'Islande et de comparer une série de délicieux tableaux de chevalet à une immense fresque, il ne faut pas rabaisserce roman, d'ailleurs aimé du public, au rang d'une mièvrerie insignifiante ; il compte et il durera. Les Japoneries d'Automne en sont la suite.

C'est le journal des dernières semaines que Pierre Loti passa au Japon,après avoir rompu, avec une dignité exempte de tristesse, le lien éphémère, mais officiellement conjugal, qui l'avaituni à Mademoiselle Okané-San, âgée de dix-sept ans, devant les autorités du pays, en présence de son frère Yveset de deux familles assemblées.

Il ne s'était pas retourné pour regarder en arrière et il écrivait à Mme Adam, afin dese faire pardonner ce nouveau « mariage », que cette « petite aventure finie ne serait jamais recommencée ».

Ilrevint au Japon au mois de septembre 1885.

C'est au cours de ce nouveau voyage qu'il fit un pèlerinage à Kioto, laville Sainte ; qu'il parcourut quarante lieues pour aller visiter la Sainte Montagne de Nikko, la Mecque du Japon ; qu'ils'assit à la table de « l'invisible impératrice », et qu'il assista, à Yeddo, à un bal extraordinaire donné, à l'occasion dela naissance de S.

M.

l'Empereur Mitzu-Kito, au Rokou Meïkan, par le ministre des Affaires étrangères et la comtesseSobeska.

Ce sont ces Voyages et ces cérémonies « garantis fidèles comme ceux d'une photographie avant lesretouches », qui font l'essentiel des Japoneries d'Automne.

Le recueil avait plu à Anatole France, dont j'invoque àdessein, aussi souvent que je le puis, l'autorité et le jugement.

C'est une satisfaction qui m'est chère de relevertoutes les occasions où la clairvoyance désintéressée de cet autre grand écrivain s'est appliquée aux œuvres dePierre Loti.

Il en avait pénétré le sens et fixé la place dans la vie littéraire de son époque avec une profondeursingulière, qui a devancé le verdict de la postérité. Il était perspicace, impartial et bienveillant.

Mon Frère Yves et Pêcheur d'Islande lui semblaient « deux grands chefs-d'œuvre ».

Mais ni Madame Chrysanthème, ni les Japoneries d'Automne ne le laissèrent indifférent.

A l'occasion dupremier de ces livres, il avait, comme je l'ai dit, découvert sous la frivolité des apparences la tristesse dont l'âme dePierre Loti était pleine.

Les Japoneries d'Automne, pour lesquelles on sent qu'il avait une préférence, fortifièrentcette impression.

Elle s'avoue dès les premières lignes...

« Ce sont des pages exquises, infiniment tristes.

Qu'ildécrive Kioto, la ville sainte, et ses temples, habités par des monstres séculaires ; qu'il nous montre la belle sociétéd'Yeddo déguisée à l'Européenne et dansant nos quadrilles, ou qu'il évoque l'impératrice Harcu-Ko dans sa grâce. »

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