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LUX de Victor HUGO (Les Châtiments)

Publié le 04/10/2010

Extrait du document

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Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée. Ce qu'apporta le flux sera dans la journée Repris par le reflux. Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre, Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre, Diront : cela n'est plus ! Les temps heureux luiront, non pour la seule France, Mais pour tous. On verra, dans cette délivrance, Funeste au seul passé, Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte, Comme un maître qui rentre en sa maison déserte, Dont on l'avait chassé. Les tyrans s'éteindront comme des météores. Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores Dans le même ciel bleu, Nous vous verrons sortir de ce gouffre où nous sommes, Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes, Paternité de Dieu ! Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète, Car le clairon redit ce que dit la trompette, Tout sera paix et jour ! Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire ! O sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre Majestueux amour ! L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique, Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique, Sur le passé détruit, Et, laissant l'Ether pur luire à travers ses branches, Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches, Plein d'étoiles, la nuit. Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être, Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître, Vivront, plus fiers, plus beaux, Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, Nous nous réveillerons pour baiser sa racine Au fond de nos tombeaux ! Jersey, septembre 1853

 

 

Hugo retrouve pour fermer son recueil l'inspiration d'Agrippa d'Aubigné, dont Les Tragiques (oeuvre à la fois satirique et prophétique sur les guerres de religion , publiée en 1616), s'achèvent sur la vision mystique de la résurrection des martyrs, victimes de la Saint-Barthélemy: « Mais quoi! c'est trop chanté, il faut tourner les yeux / Éblouis de rayons dans le chemin des cieux. / C'est fait, Dieu vient régner; de toute prophétie / Se voit la période à ce point accomplie. / La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux / Naissent des enterrés les visages nouveaux.«

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« ne clôt pas, il ouvre un nouveau cycle de parole. La vérité de la prophétie se trouve clairement affirmée par l'usage du futur de l'indicatif, le mode du réel.

Le dernierprésent du texte, « avoisine», peut exprimer une vérité générale, intemporelle, comme dans «le clairon redit ce que dit», ou poser comme déjà accomplie la réalisation de la vision. Les martyrs.

La venue de la lumière se fera au prix du sacrifice des « bannis», trois fois nommés à l'ouverture comme en une prière (cette triple invocation évoque par son rythme les paroles du prophète Isaïe lors de sa vision[Isaïe, 6, 3] : «Saint, saint, saint...

»).

Hugo rappelle une dernière fois leurs souffrances: la mort — et l'adjectif «saignants» prolonge l'écho des car nages qui ponctuaient le recueil —, « l'exil» — et son temps interminable rythmé par la marée de la première strophe —, mais surtout l'incertitude du retour dans la patrie que souligne le «peut-être» en contre-rejet. Le Poète-Messie.

Tel le nouveau Messie (équivalent hébreux du mot grec « christ », désignant le libérateur choisi par Dieu), le poète annonce la résurrection, ou la nouvelle naissance, thème qui sous-tend l'ensemble des sixstrophes (voir les mots «délivrance», « naissait», « sortir», « apparaîtra», ,< réveillerons »).

Dès le premier poème du recueil, Hugo l'avait affirmé : « Ceux qui sont morts s'éveilleront» et il avait donné à la fin du premier livre la parole aux « cadavres».

Se faisant le porte-voix de la parole divine, il s'exclamait dans «Au peuple » (II, 2) : « Lazare! Lazare! Lazare! / Lève-toi !», reprenant les paroles mêmes du Christ.

Comme dans les Évangiles, il recourt ici à la parabole avec l'image du « maître qui rentre en sa maison déserte».

De même les « colombes blanches» rappellent l'Esprit Saint. Un avenir radieux Proche du chant, ce texte exalte l'avènement des «temps heureux» où la question du crime comme du châtiment apparaîtra vaine car c'est l'ordre même du monde qui aura changé. « Bien après les jours et les saisons...».

Le futur qu'évoque le texte, bien réel, correspond cependant à un au- delà du temps et de l'Histoire.

Le temps linéaire aura laissé place à un modèle cyclique, figuré par l'image du flux etreflux (v.

2), que rendent de façon suggestive le rythme de l'alexandrin coupé à l'hémistiche, et l'enjambementmettant en valeur «Repris» et son écho « reflux».

La fin du temps correspond au dépassement de la mort évoqué dans la dernière strophe : de même que « les hommes / Vivront», les « morts» se « réveiller (ont)». « et les pays...».

De même, les distinctions spatiales auront disparu.

Il n'y aura plus de place pour « la seule France», et même le fossé entre continents sera comblé.

Si «Europe» et « Amérique» sont encore séparées dans le vers, l'anaphore du verbe « couvrant» les réunit déjà.

C'est qu'entre-temps ont été posés « le même ciel bleu» et « la terre» toute entière. « et les êtres...».

Pour marquer l'accession à l'universel, le texte procède en deux temps ponctués par le mot « maître».

Dans le premier, « les peuples» sont réunis par le mot « tous», repris par « Toute l'humanité», deux expressions mises en valeur par les rejets.

C'est elle qui sera désormais « le maître».

Dans le second temps, c'est la distinction entre les « hommes» eux-mêmes qui disparaîtra grâce à la «fraternité».

La singularité est une dernière fois rappelée et niée dans le même mouvement: «plus de serf et plus de prolétaire», avant qu'apparaissent finalement « les hommes, sans maître». Réconciliation sociale et harmonie cosmique La «République universelle» annoncée dans la première partie de « Lux » dépasse le cadre politique et social.

C'est la nature tout entière, l'humanité et la divinité qui se trouveront en fin de compte réconciliées dans une harmonieéternelle. La démocratie.

Au-delà de l'Histoire, ce n'est pas seulement Napoléon III qui aura disparu mais tous « Les tyrans». Les idéaux républicains seront réalisés (la «fraternité», la « Liberté» et même l'« égalité », sous-entendue par la disparition des différences sociales de « serf» ou «prolétaire»), mais la République ne représente qu'une étape, déjà dépassée ici. L'absence du terme «peuple » est ici à souligner.

C'est que le peuple, force immense à l'instar de l'océan, partageavec ce dernier une ambivalence qui en fait l'instrument de l'Histoire, des révolutions, mais n'a plus sa place dans leTemps de la prophétie. La paix.

Dans ce temps ultime, toute violence aura également disparu.

Le poème résonne comme un véritable Hymne à la joie — le nom de Beethoven apparaissait ailleurs dans le recueil: dans « Patria» — comme l'atteste le vocabulaire «joyeux», « heureux», « doux», « paix», « sourire», « amour», et son cortège d'images: chants, «fleurs», « ciel bleu», « colombes». La montée.

Le texte présente un mouvement ascendant.

Si dans la première strophe, les hommes « se pench (ent)» encore sur « l'ombre», dans la troisième, on les voit « sortir du gouffre», le regard dirigé désormais vers « le ciel bleu», et dans la strophe suivante, « la terre» est désormais reliée aux « cieux» par « L'arbre saint du progrès». L'image de l'arbre, que le poète emprunte à la Bible et qu'on retrouvera dans «Booz endormi», apparaît comme le dépassement de l'échec de la tour de Babel, cette première tentative humaine pour rejoindre la divinité.. »

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