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La Macédoine, cocktail explosif de nationalités

Publié le 22/02/2012

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8 avril 1993 -   Une identité nationale commune est-elle en train de se forger en République de Macédoine, cocktail de nationalités qui a prouvé, dans le passé, son caractère explosif ? Le gouvernement de Skopje réussira-t-il une intégration qui a, jusqu'à présent, toujours échoué ? Ou le calme prévalant actuellement dans cette ancienne République yougoslave, enclavée au centre d'un ensemble d'Etats aux appétits non négligeables, est-il celui qui annonce la tempête, une sorte d'armistice avant le règlement de comptes final ?    Pour Muhamed Halili, l'un des principaux responsables du parti albanais dominant, le Parti de la prospérité démocratique, cette formation " recherche l'intégration totale (de la communauté albanaise), car la Macédoine est un Etat commun, pour l'indépendance duquel les Albanais ont beaucoup fait ".    Le langage tenu aujourd'hui par ce député albanais de souche tranche singulièrement avec celui qu'il tenait il y a à peine un an, lorsqu'il évoquait la menace d'une autonomie albanaise, qui aurait inévitablement fait éclater le pays, la communauté albanaise représentant entre 21 % (chiffre gouvernemental) et plus de 40 % (chiffre avancé dans certains milieux albanais) de la population de la République, aux côtés de Macédoniens slaves, de Turcs, de Tziganes, de Valaques, de Serbes.    " Notre slogan politique : égalité complète " entre les différentes composantes de la République de Macédoine, martèle Muhamed Halili, qui assure que " l'autonomie n'est pas un but à atteindre ", pour, toutefois, ajouter dans l'instant : " pour le moment, car rien n'est éternel en politique ". En tout cas, M. Halili affiche une certitude : " Il n'y a pas de risque d'explosion ethnique " en Macédoine. Une opinion que partage le ministre de l'intérieur, Ljubomir Frchovski, pour qui " nous avons dépassé le moment le plus difficile et entrons dans des eaux plus calmes ". " Le consensus intérieur est plus solide qu'auparavant, malgré quelques tensions qui ne déboucheront pas sur un conflit ", ajoute M. Frchovski, jeune professeur de droit dont l'épouse est Albanaise de souche. " Deux sociétés parallèles "    Ces propos peuvent, cependant, paraître d'un trop bel optimisme, compte tenu de la situation réelle. En premier lieu, certaines réflexions entendues régulièrement à Skopje n'augurent pas forcément d'une stabilité durable, étant donné l'agitation ambiante dans les Balkans. Ainsi, Albanais et Macédoniens vivent-ils comme " deux sociétés parallèles ", " dans une sorte d'indifférence ", voire, pour certains d'entre eux, " dans une crainte mutuelle ".    Il y a très peu de mariages mixtes en République de Macédoine, témoigne-t-on, et, généralement, les Macédoniens (slaves) ne parlent pas l'albanais, tandis que les Albanais parlent à peu près tous macédonien. Pendant longtemps, les policiers - d'origine macédonienne dans leur écrasante majorité - ont eu tendance à traiter les Albanais en inférieurs, même si leur attitude à leur encontre était peut-être moins brutale que celle de leurs homologues serbes au Kosovo.    Mais, il y a plus grave. Il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que l'on annonce la découverte d'un réseau de trafic d'armes. Cette activité, reconnaît le ministre de l'intérieur, est " permanente ". Certains trafiquants n'ont qu'un but lucratif  mais d'autres ont un objectif politique. Ainsi du groupe paramilitaire albanais appréhendé en octobre dernier. Une dizaine de personnes ont été impliquées, dont l'un des responsables du... ministère de la défense.    De tels groupes ont bien été formés au sein de la communauté albanaise, admet Muhamed Halili, mais dans un but d' " auto-défense ". De tels réseaux, indique le député albanais, ont été créés en 1991 pour répondre à " une crainte collective ", au début de l'éclatement de la Yougoslavie  ils étaient censés faire face " au danger venant de l'armée yougoslave ".    " Dans certains villages, explique encore M. Halili, des groupes de protection se sont formés, mais sans armes  il est vrai, toutefois, que certains, au sein de ces groupes, ont essayé de s'armer. " " Ces groupes n'ont rien fait pour déstabiliser la Macédoine ", assure-t-il, ajoutant que l'on a assisté au même phénomène de réseaux paramilitaires du côté macédonien.    Or, relève M. Halili, les Macédoniens arrêtés dans le cadre d'enquêtes sur des trafics d'armes et de groupes paramilitaires ont été, comme par hasard, libérés beaucoup plus rapidement que les Albanais de souche. Pour le ministre de l'intérieur, la proportion de personnes impliquées dans les différents trafics d'armes en Macédoine est de deux Albanais pour un Macédonien. " Les Serbes vendent aux Albanais, les Albanais vendent aux Serbes, les Macédoniens vendent aux deux ", ironise M. Frchovski.    Bien que cherchant à minimiser les risques dus à cette circulation d'armes, le ministre de l'intérieur ne cache pas que cette affaire est " inquiétante " en raison de la composition de la société macédonienne. De plus, " l'ingérence de l'Albanie " dans l'affaire du groupe paramilitaire d'octobre était " évidente ", aux yeux de M.Frchovski, qui en veut pour preuve que les armes découvertes " appartenaient à l'armée albanaise ".    Expliquant que Skopje ne tient pas à " insister, car cela se révélerait contre-productif ", le ministre affecte, paradoxalement, de ne pas être trop " ému " et considère que, finalement, tout cela se retourne contre Tirana.    En revanche, ce qui est " un scandale ", souligne Ljubomir Frchovski, c'est " le contrôle que Tirana tente d'exercer sur les structures politiques en Macédoine ". Il fait allusion aux interférences de l'Albanie dans la vie du principal parti albanais, le Parti de la prospérité démocratique, qui vient d'éclater au terme d'une très grave crise interne. Une crise dans laquelle Tirana a manifestement joué un rôle de premier plan. Ainsi, l'ambassadeur d'Albanie à Skopje a-t-il lui-même participé à des réunions de la direction du Parti, au moment où celui-ci était soumis à une tentative d'OPA de la part de personnalités considérées à Skopje comme une émanation directe du pouvoir albanais.    L'enjeu de ces manoeuvres ? Le contrôle, par Tirana, de la communauté albanaise de Macédoine, répond-on de façon quasi unanime dans la capitale macédonienne. " La scission (au sein du Parti de la prospérité démocratique) s'est faite sous l'influence de forces politiques d'Albanie ", accuse Muhamed Halili, s'interrogeant pudiquement sur l'implication directe du pouvoir albanais : " La question est de savoir si cela s'est fait au su du président Berisha. " En tout cas, des sources dignes de foi à Skopje assurent que les tracts annonçant la scission du parti auraient été imprimés par l'ambassade d'Albanie.    Et la situation ne manque pas de piquant : les scissionnistes - apparemment très minoritaires - refusent de créer un parti sous un autre nom et se présentent toujours sous l'étiquette du Parti de la prospérité démocratique, qu'ils entendent conserver  et ce, malgré l'opposition totale de la direction " historique " du parti. Pour celle-ci, c'est volontairement que les " néos " cherchent à entretenir la confusion au sein de l'électorat albanais de souche. Le programme politique de ces derniers est, d'ailleurs, exactement identique à celui du Parti de la prospérité démocratique. " Eviter de mettre le feu aux poudres "    Toujours très optimiste, le ministre de l'intérieur consent à trouver le jeu de Tirana " dangereux ", mais pour estimer dans la foulée que " l'Albanie est, finalement, perdante ", que " son ingérence s'est retournée contre elle ", que " son influence dans la société albanaise de Macédoine a diminué, ainsi que le prouve le fait que le courant suivant Tirana s'est affaibli par rapport à la ligne officielle du Parti de la prospérité qui a, elle, gagné du terrain ". Il est vrai que des responsables politiques albanais de souche ont dénoncé publiquement cette tentative de mainmise sur le parti, au grand dam de Tirana, pour qui ces responsables sont devenus des " bêtes noires ".    Si le pouvoir macédonien cherche tant à minimiser l'impact des manoeuvres de l'Albanie - tout en protestant régulièrement auprès de Tirana - , c'est qu'il veut à tout prix " éviter tout ce qui pourrait mettre le feu aux poudres ", commente un journaliste macédonien. En outre, pour celui-ci, " l'objectif du président Gligorov est d'impliquer au maximum les Albanais de souche dans la vie publique de façon à ce qu'ils ne regardent pas du côté de l'Albanie ".    Reste que, pour le Parti de la prospérité démocratique, les autorités macédoniennes ont encore du chemin à parcourir avant que les Albanais de souche soient " correctement représentés dans les institutions de l'Etat ". C'est qu'un profond différend oppose les deux communautés sur cette représentation, les chiffres sur la composition de la société macédonienne donnant lieu à polémique en raison du boycottage du recensement de 1991 par la communauté albanaise. Un nouveau recensement est en principe prévu pour juin de manière à mettre fin à ce différend lourd de dangers. Mais les Albanais de souche cherchent ostensiblement à repousser l'échéance.    Pour Muhamed Halili, par exemple, le recensement ne pourra avoir lieu que dans un an et non dans un mois, si l'on veut que toutes les conditions soient réunies pour que l'opération soit " sérieuse ". Dans les milieux politiques macédoniens, on attribue cette attitude au fait que les responsables albanais ne tiennent pas particulièrement à ce que l'incertitude régnant sur l'importance de leur communauté soit dissipée et préfèrent continuer à jouer sur des chiffres " gonflés ".    La Macédoine a réussi à se tenir, jusqu'à présent, à l'écart de la guerre qui ravage l'ancienne Yougoslavie.    Mais personne, à Skopje, ne se risquerait à crier victoire.    Cocktail de nationalités et problèmes économiques à l'intérieur, pressions (embargo grec, ingérences albanaises) de la part de voisins réservés sur l'existence même d'une Macédoine de création récente - désignée à Belgrade sous le nom de " Serbie du sud ", reconnue par la Bulgarie voisine qui refuse, toutefois, de reconnaître le peuple macédonien - : les risques de déstabilisation ne manquent pas  sans parler des répercussions immédiates qu'aurait, ici, tout conflit ouvert au Kosovo. Mais chacun, à Skopje, a en tête l'expérience dramatique de la Bosnie-Herzégovine... YVES HELLER Le Monde du 28 avril 1994

« Expliquant que Skopje ne tient pas à " insister, car cela se révélerait contre-productif ", le ministre affecte, paradoxalement, dene pas être trop " ému " et considère que, finalement, tout cela se retourne contre Tirana. En revanche, ce qui est " un scandale ", souligne Ljubomir Frchovski, c'est " le contrôle que Tirana tente d'exercer sur lesstructures politiques en Macédoine ".

Il fait allusion aux interférences de l'Albanie dans la vie du principal parti albanais, le Partide la prospérité démocratique, qui vient d'éclater au terme d'une très grave crise interne.

Une crise dans laquelle Tirana amanifestement joué un rôle de premier plan.

Ainsi, l'ambassadeur d'Albanie à Skopje a-t-il lui-même participé à des réunions dela direction du Parti, au moment où celui-ci était soumis à une tentative d'OPA de la part de personnalités considérées à Skopjecomme une émanation directe du pouvoir albanais. L'enjeu de ces manoeuvres ? Le contrôle, par Tirana, de la communauté albanaise de Macédoine, répond-on de façon quasiunanime dans la capitale macédonienne.

" La scission (au sein du Parti de la prospérité démocratique) s'est faite sous l'influencede forces politiques d'Albanie ", accuse Muhamed Halili, s'interrogeant pudiquement sur l'implication directe du pouvoir albanais :" La question est de savoir si cela s'est fait au su du président Berisha.

" En tout cas, des sources dignes de foi à Skopje assurentque les tracts annonçant la scission du parti auraient été imprimés par l'ambassade d'Albanie. Et la situation ne manque pas de piquant : les scissionnistes - apparemment très minoritaires - refusent de créer un parti sous unautre nom et se présentent toujours sous l'étiquette du Parti de la prospérité démocratique, qu'ils entendent conserver et ce,malgré l'opposition totale de la direction " historique " du parti.

Pour celle-ci, c'est volontairement que les " néos " cherchent àentretenir la confusion au sein de l'électorat albanais de souche.

Le programme politique de ces derniers est, d'ailleurs,exactement identique à celui du Parti de la prospérité démocratique. " Eviter de mettre le feu aux poudres " Toujours très optimiste, le ministre de l'intérieur consent à trouver le jeu de Tirana " dangereux ", mais pour estimer dans lafoulée que " l'Albanie est, finalement, perdante ", que " son ingérence s'est retournée contre elle ", que " son influence dans lasociété albanaise de Macédoine a diminué, ainsi que le prouve le fait que le courant suivant Tirana s'est affaibli par rapport à laligne officielle du Parti de la prospérité qui a, elle, gagné du terrain ".

Il est vrai que des responsables politiques albanais desouche ont dénoncé publiquement cette tentative de mainmise sur le parti, au grand dam de Tirana, pour qui ces responsablessont devenus des " bêtes noires ". Si le pouvoir macédonien cherche tant à minimiser l'impact des manoeuvres de l'Albanie - tout en protestant régulièrementauprès de Tirana - , c'est qu'il veut à tout prix " éviter tout ce qui pourrait mettre le feu aux poudres ", commente un journalistemacédonien.

En outre, pour celui-ci, " l'objectif du président Gligorov est d'impliquer au maximum les Albanais de souche dans lavie publique de façon à ce qu'ils ne regardent pas du côté de l'Albanie ". Reste que, pour le Parti de la prospérité démocratique, les autorités macédoniennes ont encore du chemin à parcourir avantque les Albanais de souche soient " correctement représentés dans les institutions de l'Etat ".

C'est qu'un profond différendoppose les deux communautés sur cette représentation, les chiffres sur la composition de la société macédonienne donnant lieu àpolémique en raison du boycottage du recensement de 1991 par la communauté albanaise.

Un nouveau recensement est enprincipe prévu pour juin de manière à mettre fin à ce différend lourd de dangers.

Mais les Albanais de souche cherchentostensiblement à repousser l'échéance. Pour Muhamed Halili, par exemple, le recensement ne pourra avoir lieu que dans un an et non dans un mois, si l'on veut quetoutes les conditions soient réunies pour que l'opération soit " sérieuse ".

Dans les milieux politiques macédoniens, on attribuecette attitude au fait que les responsables albanais ne tiennent pas particulièrement à ce que l'incertitude régnant sur l'importancede leur communauté soit dissipée et préfèrent continuer à jouer sur des chiffres " gonflés ". La Macédoine a réussi à se tenir, jusqu'à présent, à l'écart de la guerre qui ravage l'ancienne Yougoslavie. Mais personne, à Skopje, ne se risquerait à crier victoire. Cocktail de nationalités et problèmes économiques à l'intérieur, pressions (embargo grec, ingérences albanaises) de la part devoisins réservés sur l'existence même d'une Macédoine de création récente - désignée à Belgrade sous le nom de " Serbie dusud ", reconnue par la Bulgarie voisine qui refuse, toutefois, de reconnaître le peuple macédonien - : les risques de déstabilisationne manquent pas sans parler des répercussions immédiates qu'aurait, ici, tout conflit ouvert au Kosovo.

Mais chacun, à Skopje,a en tête l'expérience dramatique de la Bosnie-Herzégovine.... »

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